
L’ObSAF (l’Observatoire des Subventions et Aides Agricoles en France) publie un rapport d’analyse inédit sur les aides publiques allouées à la filière foie gras en Nouvelle-Aquitaine (2022–2025). Il dénonce un secteur sous perfusion financière, à l’administration opaque et manquant de traçabilité.
L’ObSAF (l’Observatoire des Subventions et Aides Agricoles en France) révèle dans un rapport intitulé “Subventions à la filière foie gras en nouvelle-Aquitaine – Analyse économique, politique et éthique d’un modèle agricole sous perfusion publique” l’ampleur et la structure des financements publics versés à la filière foie gras en Nouvelle-Aquitaine, première région productrice de France (56 % de la production nationale en 2023 d’après l’Agreste).
« Cette étude met en lumière un modèle productif structurellement dépendant de l’argent public, marqué par l’intensification des élevages, des crises sanitaires récurrentes et un déficit de transparence dans l’utilisation des fonds. » expose Clémence Peyrot, Présidente de l’ObSAF.
Une filière concentrée et fragilisée
Entre 2010 et 2020, le nombre d’exploitations a diminué de 47 % en Nouvelle-Aquitaine, tandis que la taille moyenne des élevages a presque doublé, signe d’un processus d’intensification et de concentration des moyens de production.
Cette structuration rend la filière particulièrement vulnérable aux crises sanitaires. Les campagnes de vaccination contre l’influenza aviaire, financées par des fonds publics à hauteur de 90 millions d’euros à l’échelle nationale en 2021, 100 millions d’euros entre 2023 et 2024 et 64 millions d’euros en 2025, illustrent la fragilité structurelle du modèle.
« Les aides publiques ne se contentent pas de soutenir la filière : elles compensent les effets d’un modèle devenu lui-même générateur de vulnérabilités », souligne Clémence Peyrot.
Opacité administrative et limites de la traçabilité
L’analyse repose sur l’étude des documents administratifs relatifs aux aides octroyées entre 2022 et 2025 par les départements et la Région Nouvelle-Aquitaine. L’ObSAF a demandé les documents administratifs relatifs aux subventions dédiées à la filière foie gras à la Région Nouvelle-Aquitaine ainsi que l’ensemble de ses départements en janvier 2025. Si l’accès à ces informations est un droit, l’ObSAF a néanmoins été contrainte de saisir à plusieurs reprises la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) face au manque de transparence de certaines administrations.
Selon l’Observatoire, la Région Nouvelle-Aquitaine aurait explicitement refusé de transmettre les documents demandés, obligeant l’ObSAF à s’appuyer uniquement sur les délibérations et annexes mises en ligne. Dans d’autres départements (Landes, Dordogne, Charente-Maritime, Corrèze, Deux-Sèvres), les demandes sont restées sans réponse.
« Cette opacité limite gravement l’évaluation démocratique de l’efficacité des dépenses publiques agricoles. Les citoyens doivent pouvoir savoir comment est utilisé l’argent public. » explique Clémence Peyrot.
De plus, la construction d’une typologie des aides s’est heurtée à deux difficultés majeures :
– l’opacité des filières longues, qui rend difficile l’identification des bénéficiaires effectifs des aides ;
– l’absence de ventilation par atelier, qui empêche d’isoler précisément la part d’aides revenant au foie gras dans les systèmes mixtes.
Une filière sous perfusion financière
Entre 2022 et 2025, 13,8 millions d’euros de subventions ont été mobilisés au bénéfice de la filière foie gras en Nouvelle-Aquitaine : près de 60 % de ces aides sont d’origine européenne, plus de 35 % sont apportés par la Région Nouvelle-Aquitaine.
L’année 2022 concentre à elle seule 63 % de ces montants, en raison des dispositifs exceptionnels mis en place après une grave crise d’influenza aviaire. L’analyse met en évidence une structure très déséquilibrée des financements publics. Les plans de modernisation des élevages concentrent à eux seuls plus de 7 millions d’euros, principalement affectés au renforcement de la biosécurité dans un contexte de crises sanitaires récurrentes.
Or, ces investissements ne modifient aucun des paramètres structurants du modèle de production tels que les densités d’élevage, les flux intégrés ou la forte concentration territoriale. Ils participent ainsi davantage à la reconstruction et au maintien du système intensif existant qu’à une évolution vers des pratiques agroécologiques.
À l’aval, les industries de filière longue captent la majorité des aides à la transformation, consolidant leur position centrale dans la chaîne de valeur. Les ateliers fermiers et modèles artisanaux ne représentent que 3 % des aides à la transformation, à rebours du récit patrimonial souvent mis en avant.
Enfin, les aides à la communication et à la coopération jouent un rôle stratégique dans la stabilisation narrative de la filière en 2024, plus de 315 000 euros ont été consacrés à la seule promotion de l’IGP Sud-Ouest, entretenant une image patrimoniale qui masque les réalités zootechniques (claustration, confinement, standardisation industrielle).
« Les données convergent : l’argent public n’atténue pas les fragilités du modèle dominant, il en assure la continuité », conclut Clémence Peyrot.
Les recommandations de l’ObSAF
Face à ce diagnostic, l’ObSAF propose des recommandations pour une refonte profonde articulée autour de quatre axes.
- Améliorer la transparence et la traçabilité: En garantissant l’effectivité de l’accès aux documents administratifs pour permettre un suivi rigoureux de l’action publique, en imposant une ventilation précise par atelier dans les demandes d’aide, afin d’identifier la part réellement consacrée au foie gras dans les systèmes mixtes et en exigeant des coopératives subventionnées la publication annuelle de la liste des exploitations bénéficiaires, pour lever l’opacité qui entoure la redistribution interne des aides.
- Conditionner les aides à des objectifs environnementaux et éthiques : L’ObSAF préconise d’aligner les aides sur des objectifs clairs de transition écologique et de réduction de la souffrance animale, en cohérence avec les engagements européens (Green Deal, « De la ferme à la table »), nationaux (SNBC, EGAlim) et régionaux (Néo Terra). De mettre fin aux subventions publiques finançant la promotion d’un produit reposant sur le gavage, pratique de plus en plus contestée. Enfin, d’encadrer strictement les communications financées par l’argent public, afin d’éviter la promotion d’images trompeuses.
- Accompagner la transition des exploitations : En soutenant le développement de cultures végétales dans les bassins historiquement spécialisés dans le foie gras, en sécurisant les trajectoires socio-économiques des agriculteurs (revenus, reconversions, formation) et en mobilisant de manière coordonnée la PAC et les Régions pour financer l’innovation, les alternatives et une transition agroécologique viable, préservant les revenus et les emplois.
- Renforcer le contrôle démocratique : L’ObSAF propose de garantir la transparence des activités de lobbying de l’interprofession et de ses relais via des déclarations exhaustives auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. De réaligner les labels officiels sur les pratiques effectivement garanties, pour réduire l’écart entre promesses commerciales et réalité des modes de production et d’introduire une obligation claire d’information du consommateur en cas de claustration prolongée liée à un épisode d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP).
C.Bu














