
Dans une lettre ouverte au gouvernement, les fédérations professionnelles du commerce alertent sur les dangers des plateformes comme Shein, Temu ou AliExpress et demandent leur déréférencement.
« Temu, Shein, AliExpress : la France doit cesser de fermer les yeux ». C’est la première phrase de la lettre ouverte au gouvernement cosignée par le Conseil du Commerce de France, la Confédération des commerçants de France et leurs fédérations adhérentes, associées à 14 fédérations autres, mais également à plus de 230 enseignes et détaillants. Les représentants du commerce demandent le déréférencement des plateformes comme Shein, Temu et AliExpress. « Il y a urgence sécuritaire, environnementale, économique et juridique à agir », souligne le communiqué.
94% de produits non conformes
S’appuyant sur des chiffres dénoncés par le gouvernement en marge d’un déplacement à Roissy auprès des services des Douanes, au cours duquel il a été souligné que 94% des produits expédiés par les plateformes extra-européennes, et contrôlés, sont non conformes, dont 66% pour dangerosité, les deux présidents et leurs représentants tirent la sonnette d’alarme sur l’inégalité de traitement évidente, et la double peine que cela inflige au commerçant français : « si une telle situation était avérée chez un commerçant français, ce dernier verrait son magasin fermé sur le champ ! » soulignent-ils. Ils réclament donc une égalité de traitement entre tous les acteurs et annoncent le lancement d’une campagne digitale « Tous à la même enseigne ! ».
Que les règles s’appliquent à tous
« Faire croire aux Français que Shein est une entreprise vertueuse et responsable, car elle ne fabriquerait qu’à la demande de ses clients, n’aurait que très peu de stocks et répondrait aux attentes des populations les plus éloignées des villes, aux revenus modestes, c’est être irrespectueux des Français qui restent attachés à leurs commerces qui, eux, doivent respecter les normes et obligations tant en matière de sécurité et d’environnement », s’indigne Yves Audo, président du Conseil du Commerce de France.
« Quand une économie ferme les yeux sur l’illégalité de certains acteurs, elle ouvre la porte à l’effondrement de tout un écosystème. Nous ne demandons pas de privilèges, mais une chose simple : que les règles s’appliquent à tous, avec les mêmes exigences et dans les mêmes délais », ajoute Pierre Bosche, président de la Confédération des Commerçants de France.
Agir vite
Les représentants du commerce estiment qu’il faut agir vite en attendant l’accord de tous les États membres pour avancer la réforme du code douanier qui devrait supprimer l’exonération des droits de douane pour les inférieurs à 150€. Le commissaire européen au commerce, Maros Sefcovic, a proposé également d’instaurer des frais forfaitaires de 2€ sur chaque petit colis importé dans l’Union européenne, mais sans donner de date d’application effective.
Les fédérations appellent les parlementaires, qui examineront à compter de cette semaine la proposition de loi dite « Fast fashion » à veiller scrupuleusement à éviter toute distorsion de concurrence, « toute concurrence déloyale qui se ferait au détriment des marques déjà installées sur le territoire français par des acteurs qui ne jouent pas le jeu. Notre tissu économique local, le dynamisme de nos territoires, Les emplois installés dans nos commerces physiques ou e-commerçants sont en jeu », souligne le communiqué.
Lettre ouverte au gouvernement
Dans une lettre ouverte envoyée au gouvernement le 3 juin, les représentants du commerce rappellent que la loi française donne déjà les moyens d’action. Le Code de la consommation permet à la DGCCRF, en cas de manquements graves et persistants, d’ordonner le déréférencement, la suspension ou même le blocage de l’accès à un site. « Il est urgent pour le gouvernement d’agir pour faire cesser ces manquements, alertent-ils. Ces plateformes chinoises de vente en ligne ne sont plus marginales : elles inondent le marché français de millions de produits à bas prix, souvent non contrôlés, au détriment de la sécurité, de la transparence et de l’équité. Le textile et les chaussures qui dominent l’offre de ces géants, sont particulièrement concernés. D’autres secteurs comme le bricolage, le jardinage, l’électroménager, la décoration etc. commencent à subir cette concurrence déloyale. Les contrôles révèlent des vêtements contenant des substances interdites, des tenues ou chaussures non conformes, sans traçabilité ni étiquetage réglementaire. Matériaux inflammables, semelle instable, teintures à risque… Ces produits franchissent nos frontières sans filtre », précise la lettre ouverte.
Les auteurs soulignent que la situation est d’autant plus préoccupante que de nombreux articles s’adressent directement aux enfants, avec des produits qui échappent aux règles censées les protéger : présence de substances toxiques, pièces détachables risquant l’étouffement, absence de marquage CE… La Toy Industry Europe a d’ailleurs déclaré, en février dernier, que 100% des jouets testés ne respectaient pas les normes européennes et que 95% d’entre eux présentaient un risque réel pour la sécurité des plus fragiles.
Distorsion de concurrence
La lettre ouverte ajoute que la menace n’est pas que sécuritaire : « Ces plateformes éludent la TVA, échappent aux droits de douane, contournent les périodes de soldes, violent les règles d’étiquetage et de transparence commerciale. Elles tirent un avantage concurrentiel déloyal au détriment des commerçants français, des marketplaces responsables, des PME qui investissent dans la conformité. Le principe de loyauté des transactions commerciales, pourtant inscrit dans le Code de la consommation, est piétiné. Cette distorsion de concurrence est insoutenable et économiquement destructrice. »
Une jurisprudence établie
La lettre précise également que la Cour de cassation, dans un arrêt de 2023, a levé toute ambiguïté : « Ces plateformes e-commerce sont des éditeurs, et non de simples hébergeurs. Elles choisissent, organisent, promeuvent les ventes et tirent profit des contenus. Elles ne peuvent plus prétendre à la neutralité. Elles doivent répondre de leurs actes ».
Un précédent existe : en 2021, la DGCCRF a décidé le déréférencement de la plateforme Wish. « Cette décision, pleinement dans ses prérogatives, a été confirmée par la justice. Le cadre juridique existe. Le chemin est balisé. Il est temps de l’emprunter à nouveau. Le contexte international renforce encore l’urgence ».
C.B.