
Entretien avec Bernard Guntz, directeur technique et patrimoine Auchan France et international
Interview exclusive de Bernard Guntz, directeur technique et patrimoine Auchan France et international. Il dévoile la stratégie ambitieuse d’Auchan pour réduire sa consommation énergétique de 40 % d’ici 2030. Entre intelligence artificielle, photovoltaïque, froid optimisé et LED généralisées, chaque site devient un laboratoire d’efficacité. Auchan investit massivement – 200 millions d’euros par an pendant les trois prochaines années – pour piloter cette transformation.
Comment Auchan a-t-il structuré sa stratégie énergétique et quels résultats concrets avez-vous obtenus ?
Bernard Guntz : Notre stratégie énergétique n’a pas changé depuis la COP21 de 2015. Nous avions défini une trajectoire de décarbonation et de sobriété jusqu’en 2030. L’un des engagements majeurs était de réduire l’intensité énergétique de -40 % conformément à la loi, avec un palier intermédiaire de -20 % à l’horizon 2020. Puis nous avons atteint -26 % en 2022. Cette année, nous serons peu ou prou à -30 %. C’est une stratégie pérenne car elle repose sur une maîtrise très fine de nos consommations, indiquant la puissance moyenne consommée toutes les 10 minutes, et sur un pilotage de site à site. Nous travaillons depuis quatre ans avec la start-up Advizeo, via une plateforme de pilotage énergétique intégrant l’intelligence artificielle. Tous nos compteurs sont connectés et transmettent des données automatiquement. En 2023, grâce à cette rigueur, nous avons évité des erreurs coûteuses : sur un budget de 150 à 170 millions d’euros d’énergie par an, seuls 500 000 euros de consommation ont été mal évalués. En sobriété, cela représente 7 millions d’euros d’économies pour 2024 par rapport à 2023.
Quels sont les grands axes techniques que vous développez pour améliorer l’efficacité énergétique de vos magasins ?
Notre priorité est toujours le froid alimentaire, car c’est le poste le plus énergivore. Nous avons engagé la transformation de vingt hypermarchés avec des meubles froids plus performants en lançant des appels d’offre tous les deux ans. Les groupes logés nous semblent intéressants. Nous les avons testés dans un supermarché et sur un hypermarché où 100 % des meubles étaient en groupe logé. Leur consommation d’énergie liée au froid a été réduite de 50 % et ils sont efficaces. Le seul point de vigilance est la chaleur dégagée avec un mix énergétique global à vérifier avec le CVC (chauffage, ventilation, climatisation).
Ensuite, nous nous attaquons au CVC en intégrant l’IA sur nos sous-compteurs. Nous pilotons l’inertie des bâtiments et pratiquons l’effacement électrique (réduction temporaire de la consommation), ce qui peut réduire de 50 % les 15 % de consommation liés au CVC.
Où en êtes-vous sur les panneaux solaires et l’éclairage ?
Concernant le photovoltaïque, nous avons 44 sites équipés. En France, les contraintes de bâtiments anciens nous orientent quasi exclusivement vers des installations sur parkings. Le développement se fait par tiers-investisseurs, avec actuellement 13 magasins dans un appel d’offres. À l’échelle de certains pays, nous atteignons déjà 25 % d’autoconsommation par magasins. En France, nous visons 100 % d’énergie verte d’ici 2030. Le véritable enjeu à venir est le stockage de l’électricité dans des grandes batteries : nous travaillons sur des projets de batteries capables de couvrir les consommations liées au froid durant la nuit, créant ainsi un effacement « vert ».
L’éclairage est aujourd’hui en 100 % LED sur l’ensemble de notre parc. Nous avons même rehaussé l’intensité lumineuse à 1 000 lux dans certains magasins comme Fréjus et Mandelieu (contre 800 lux habituellement), en consommant moins pour renforcer l’attractivité commerciale. Côté fournisseurs, nous travaillons avec Signify et Trilux Oktalite.
Y a-t-il des différences entre les hypermarchés et les supermarchés dans la mise en œuvre de vos actions ?
Bien sûr, les formats de magasins conditionnent la vitesse et le coût des transformations. Pour un hypermarché, on parle d’un investissement de l’ordre de 1,8 million d’euros, contre 800 000 euros pour un supermarché. Le planning est aussi différent : entre six et huit mois pour rénover un hyper, contre trois mois pour un super. Le traitement des installations techniques est toujours global et en pilotage 360°, avec une prise en compte simultanée du froid, de la CVC, de l’éclairage et du mix énergétique.
Comment pilotez-vous cette stratégie à l’échelle nationale et internationale ?
Tout part du site et du commerce, mais avec un pilotage très resserré au niveau central. Toutes les deux semaines, je fais remonter les données et les actions à la direction générale. Nous avons une équipe dédiée à l’énergie de quatre personnes chez Auchan, et des « data crunchers » (personnes traitant des grandes masses de données pour les rendre analysables) chez notre partenaire. En 2022, nous avons structuré des groupes de travail autour d’une vingtaine de plans d’action sobriété : éclairage, températures, renouvellement d’air, etc. Nous avons aussi signé un accord avec Schneider Electric pour un déploiement technologique de solutions de gestion technique des bâtiments sur l’ensemble de nos sites jusque fin 2026, à hauteur de 13 millions d’euros. Et nous pilotons en interne, avec Auchan Énergie, nos C2E (certificats d’économies d’énergie), ce qui nous permet d’intégrer les aides directement dans nos projets.
Quels sont les investissements engagés et les perspectives à venir pour Auchan sur la transition énergétique ?
Depuis la COP21, nous avons investi environ 200 millions d’euros dans l’efficacité énergétique. En France, nous prévoyons d’investir encore 200 millions d’euros par an sur trois ans, dont la moitié sera consacrée directement à la réduction de la consommation énergétique. Nous avons la certification ISO 50001, que nous renforçons via une certification Afnor pour une meilleure rigueur sur les données. Cela nous permet aussi de répondre aux obligations de la directive européenne CSRD qui renforce les obligations des entreprises en termes de publication d’informations sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance.
En parallèle, nous gérons nos objectifs par fluide (eau, électricité, gaz, fluides frigorigènes), par site, par mois et par an. L’un de nos axes de progrès très « terrain » réside dans la gestion de la glace en poissonnerie. En changeant de meuble, on produit moins de glace, on utilise moins d’eau et on allège la charge de travail des équipes. Toutes ces initiatives sont pilotées avec notre comité climat. Nous sommes convaincus que « tout ce qui se mesure peut s’améliorer ». Et nous allons continuer à injecter massivement de l’IA pour « dérisquer » les magasins et mieux piloter la performance.
Propos recueillis par Jean-Bernard Gallois
























