Explosion du e-commerce, avènement des entrepôts multi-formats, variabilité des pics et des creux… Autant de tendances qui impactent la logistique et favorisent le déploiement d’innovations, comme la mécanisation des entrepôts, les chariots intelligents ou la réalité augmentée.
Points de Vente: Le contexte de la crise sanitaire a-t-il favorisé l’apparition de nouvelles tendances logistiques ?
Eric Hemar: Clairement oui. La crise de la Covid-19 a surtout accéléré les tendances logistiques déjà émergentes. Je pense en particulier au e-commerce. Tous les acteurs ont développé ce canal, quasiment 100 % du retail et une majeure partie des marques. Cette explosion du commerce en ligne a eu des répercussions importantes sur la logistique. D’abord parce que les modèles de préparation de commandes sont différents de ceux d’une supply chain classique. Au lieu de servir des magasins, non pas forcément en palettes homogènes, mais au moins en regroupements avec des éléments à la couche, le e-commerce implique une préparation à la pièce. Il y a aussi un impact important sur la profondeur de gamme. Globalement, nous passons d’entrepôts de 10 000 à 15 000 références à des plateformes qui doivent en gérer plus de 40 000.
La deuxième tendance que nous observons découle de la première. C’est l’apparition d’entrepôts multi-formats pour répondre aux besoins des retailers et des marques qui offrent un parcours client de plus en plus multicanal. Il faut donc adapter l’organisation logistique afin qu’elle puisse prendre en charge les flux issus de ces différents canaux, ce qui demande une flexibilité beaucoup plus importante.
Enfin, nous constatons que les périodes de pics et de creux sont de plus en plus fortes avec une variabilité à la journée, à la semaine, beaucoup plus marquée. Il nous faut, par exemple, nous adapter à des opérations commerciales comme le Black Friday qui sont devenues majeures, le tout dans un contexte de crise sanitaire qui complexifie les prévisions sur les ouvertures, les fermetures, les réouvertures des magasins physiques.
Quand on cumule le e-commerce, devenu le sujet de tous, le multi-formats de plus en plus répandu, et l’extrême variabilité de pics et de creux de plus en plus forts, on ne peut que constater que notre métier est vraiment en train de changer de façon importante. C’est vraiment très structurant pour nous.
PDV: Quelles innovations peuvent répondre à ces nouvelles tendances ?
EH: L’entrepôt devient, effectivement, un vecteur d’innovations. La première d’entre elle est, incontestablement, une plus grande mécanisation des plateformes. C’est vraiment en train de devenir prédominant. C’est ce que nous appelons les gammes de shuttles, c’est-à-dire toutes les gammes d’entrepôts mécanisés, plutôt dédiées aux petites pièces, qui répondent aux problématiques de profondeur de gamme. Très souvent, ils sont implantés en mix avec des espaces de stockage classiques dans lesquels des cellules sont réservées pour les produits de petite taille à faible rotation avec des systèmes complètement automatisés afin de densifier les opérations et atteindre un niveau de productivité correct. Nous sommes en train de déployer un grand entrepôt pour les marques de LVMH avec toute une partie en shuttle, notamment sur les gammes cosmétiques. Et nous avons réalisé le même projet en Allemagne, pour le groupe Coty, pour ses marques de luxe.
PDV: Vous avez aussi développé un chariot intelligent ?
EH: Oui. Tous les deux ans environ, nous organisons un Challenge Innovations avec les filiales des 17 pays dans lesquels nous sommes présents. Pour nous, l’innovation ce n’est pas quelqu’un dans un coin de bureau qui travaille sur des projets hypothétiques. Il faut que ce soit collectif et que cela vienne du terrain. Le projet de la filiale polonaise a donc gagné le Grand prix. C’est un chariot intelligent que nous avons développé en partenariat avec nos fournisseurs. Il aide le préparateur de commandes dans la réalisation de ses missions, cette fois en entrepôt classique, en lui indiquant sur quel support déposer le produit prélevé. Le chariot intelligent intègre aussi une solution de vidéo-tracking. Au final, la solution permet de réduire les erreurs et d’augmenter la productivité. Globalement, il y a deux façons d’implémenter les innovations. Soit on peut agir sur l’entrepôt, dans un nouveau site où l’on va déployer des systèmes mécanisés de type shuttle ou équivalent. Soit, si ce n’est pas possible ou non justifié en termes de coûts, on va rendre le chariot intelligent afin d’être certains de répondre à ces problématiques de profondeur de gamme et d’opérations multi-formats. Globalement les chariots intelligents sont déployés dans des entrepôts classiques avec de forts volumes, souvent pour la grande distribution alimentaire, dans lesquels les flux vont vite puisque les rotations de stocks sont en moyenne de 11 à 12 jours. Le chariot ID Smart équipe notamment le tout nouveau dépôt de Carrefour que l’on a ouvert en Pologne.
PDV: Et ce qu’on appelle les AMR, les Autonomous Mobile Robots ?
EH: Ces systèmes prennent de l’ampleur. Amazon était très en avance là-dessus il y a deux ans, sur les toutes petites pièces. Il y avait des dispositifs dans lesquels des plateaux automatisés soulevaient des étagères et les positionnaient devant les préparateurs de commandes afin de leur éviter de se déplacer dans des entrepôts de 50 000 m2. Aujourd’hui, les systèmes sont encore plus perfectionnés avec les AMR et l’on commence à les utiliser dans d’autres logiques d’entrepôts, y compris pour les palettes. C’est notamment le cas dans les opérations de cross-docking où les plateaux automatisés soulèvent les palettes et les amènent au préparateur de commandes. L’environnement est ainsi beaucoup plus sécurisé, en réduisant le nombre d’erreurs mais aussi en évitant d’éventuels accidents grâce une ergonomie retravaillée. Nous avons installé notre premier site en Belgique pour le spécialiste du bricolage Maxeda. Et nous avons un projet qui doit démarrer en juin à Taiwan, pour Carrefour.
PDV: Quelles sont les innovations qui répondent aux problématiques de pics et de creux ?
EH: Nous avons une innovation tout à fait récente pour faire face à la montée en puissance des équipes en période de pics. Pour le Black Friday, par exemple, nous devons multiplier par deux ou trois l’effectif en entrepôt. Nous faisons donc appel à du personnel temporaire. Mais il doit être formé rapidement sur des univers qui se complexifient. Nous avons donc pris l’habitude de nous tourner vers la réalité augmentée qui permet de former de façon opérationnelles les préparateurs de commandes en simulant le travail qu’ils auront à effectuer en entrepôt. Cela permet d’être efficace, performant et aussi d’assurer la sécurité des équipes.
PDV: Et demain ?
EH: L’entrepôt devient vraiment un vecteur d’innovations et cela va s’amplifier. Nous pensons qu’il aura encore plus d’automatisation qu’il y aura de mécanisation. Pour deux raisons. D’abord, comme la crise sanitaire l’a démontré, la logistique, c’est un des nerfs de la guerre. Retailers et marques comprennent qu’il est important de s’appuyer sur un bon outil, que l’investissement en vaut la peine. Il y a clairement une nouvelle maturité qui est en train d’émerger sur ces sujets. Et puis, tandis que le coût de la main-d’œuvre n’a pas baissé en Europe, le prix de la mécanisation est, lui, devenu beaucoup plus accessible. Par exemple, à projet comparable sur les shuttles, les prix ont été divisés par deux en quelques années. En revanche, tout ne sera jamais entièrement mécanisé, sauf cas particuliers. Ce sont des métiers qui doivent conserver une grande flexibilité, ne serait-ce que pour s’adapter aux stratégies et modèles des entreprises qui changent très vite.