
« C’est le moment idéal pour acheter ! » avait lancé Donald Trump sur son réseau Truth Social juste avant d’annoncer une pause en suspendant pour 90 jours ses surtaxes douanières, sauf pour la Chine. Quelles réactions et quels impacts sur les produits de grande consommation ?
Nouveau rebondissement dans la guerre commerciale déclarée par les Etats-Unis au monde entier. Sous la pression des marchés et de la menace d’une crise financière majeure, le président américain a fait volte-face, mercredi 9 avril, et annoncé une « pause » de 90 jours des droits de douane dits réciproques en vue d’une renégociation. Pendant cette période, les taxes douanières à l’entrée du marché américain ont été uniformisées à 10% pour tous les pays, sauf pour la Chine pour laquelle elles montent à 125%, en réplique à la propre riposte de Pékin, quelques heures plus tôt, avec des surtaxes de rétorsion de 84% sur les produits américains dès le 10 avril (au lieu de 34% comme initialement prévu). Au lendemain du revirement de Donald Trump, les Bourses européennes ont ouvert en forte hausse : +6,27% pour Paris, +7,81% pour Francfort et +5,91% pour Londres.
Rappel des faits
Les États-Unis frappaient, depuis le 9 avril, les produits d’une soixantaine de pays, d’une nouvelle vague d’augmentation des droits de douane, particulièrement punitive envers la Chine (104%). La Chine avait d’ailleurs saisi l’Organisation mondiale du commerce contre ces nouvelles taxes, provoquant le courroux de Donald Trump. Le président américain avait déjà, le 8 avril, annoncé un triplement des droits de douane sur les petits colis à compter du 2 mai, visant les plateformes de e-commerce comme Temu ou Shein, les faisant passer de 30% à 90%. En rétorsion, La Chine a aussi a annoncé qu’elle allait porter ses surtaxes contre les produits américains à 84%, et non pas à 34% comme initialement prévu.
De son côté, l’Union européenne a adopté sa première riposte aux droits de droits d’américains lors d’un vote, le 9 avril, où les 27 ont donné leur accord à la taxation d’une première liste de plus de 20Mds d’euros de produits américains avec une entrée en vigueur mi-mai : soja, volaille, jus d’orange, vêtements, tabac, riz, maquillage, produits électroniques… Le bourbon avait été épargné sous la pression de plusieurs pays producteurs de vins et spiritueux, comme la France, l’Irlande ou l’Italie, dans la crainte de représailles, après la menace de Washington d’imposer des droits de douane de 200% au secteur.
La filière vins et spiritueux inquiète
Dès le 2 avril, jour du « Liberation Day » décrété par Donald Trump, où tous les pays seront visés par des droits de douane d’au moins 10% (une soixantaine d’entre eux davantage sous le prétexte d’un déficit commercial plus élevé, avec un mode de calcul nébuleux, soit 20% sur toutes les marchandises en provenance de l’Union européenne), les réactions se sont enchaînées. La FEVS, a averti que ces mesures allaient entraîner « des conséquences extrêmement lourdes sur le secteur des vins et spiritueux », y compris « un impact extrêmement négatif sur les importateurs, grossistes et détaillants américains ». La Fédération des exportateurs de vins & spiritueux de France, alertait sur un potentiel recul des exportations d’environ 800 M€, ce chiffre passant à 1,6 Md€ pour l’UE. La FEVS avait logiquement défendu l’importance de conserver un dialogue bilatéral ouvert et constructif, autour d’un agenda positif sur les sujets de commerce transatlantique. « Depuis 30 ans, les spiritueux ont opté pour l’élimination complète des droits de douane entre les États-Unis et l’Union européenne, aux bénéfices les producteurs des deux côtés de l’Atlantique, a rappelé Gabriel Picard, président de la FEVS. Nous pouvons faire de même pour les vins : nous avons proposé à la Commission européenne un Reciprocal and fair trade agreement on wines and spirits. Nous souhaitons que la Commission l’intègre dès maintenant dans son agenda positif de discussion avec les États-Unis, de sorte qu’avec les spiritueux, les vins participent à la construction d’une relation commerciale positive entre les États-Unis et l’Union européenne ».
De son côté, la filière des vins de Bourgogne avait l’impression d’avoir échappé au pire, dans la mesure où des droits de douane à 200% avaient été annoncés le 13 mars dernier, puis ramenés, le 2 avril, à hauteur de 20% : « Le sentiment dans le vignoble est toutefois partagé entre sidération et un certain soulagement », souligne le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne. L’impact pourrait, toutefois, avoisiner 100 M€. La filière espère compter sur ses partenaires américains. « Le système d’importation de vins aux USA est assez complexe, avec une distribution en 3 étapes obligatoires : importateur, grossiste puis détaillant, explique Laurent Delaunay, président du BIVB. Cela alourdit déjà la facture pour le client final. Le risque de ces taxes supplémentaires et de faire franchir une barrière psychologique au prix de nos vins. Je pense que beaucoup de producteurs vont fournir un effort pour baisser un peu les prix des vins au départ de la cave. Mais il faudra aussi que nos partenaires américains prennent leur part en réduisant un peu leurs marges pour que les prix des vins restent dans une fourchette acceptable par le consommateur. Ce que nous redoutons aussi, c’est l’effet récessif et ses conséquences sur le pouvoir d’achat aux USA qui viendraient s’ajouter à l’effet direct de la hausse des droits de douane ».
Le secteur de la cosmétique en alerte
De son côté, La Fédération des entreprises de la beauté, a également déploré la décision prise le 2 avril par l’administration américaine d’instaurer un droit de douane additionnel de 20% sur les importations de biens en provenance de l’Union européenne. La FEBEA avait prévenu que la mesure aurait nécessairement un impact sur l’industrie cosmétique française. Avec près de 3 milliards d’euros de produits exportés en 2024 – dont la moitié en parfumerie -, Les États-Unis représentent à eux seuls 13% des exportations du secteur. « La guerre commerciale ne fait que des perdants : elle pénalise les consommateurs américains, confrontés à une offre réduite ou des prix plus élevés, tout en fragilisant les entreprises européennes par une baisse de leur compétitivité ou de leurs marges », souligne la fédération qui observe, par ailleurs, que d’autres pays exportateurs de cosmétiques sont également touchés : la Corée (25%), le Japon (24%) et la Chine (34%). « Au-delà des difficultés d’accès au marché américain, cette reconfiguration risque d’accentuer la pression concurrentielle sur les autres marchés mondiaux », ajoute-t-elle.
Risque d’inflation structurelle
Interviewé sur RMC et BFMTV le 8 avril, Michel-Edouard Leclerc, craint « une inflation structurelle » après la hausse des droits de douane imposés par les Etats-Unis. Selon le président du comité stratégique des centres E.Leclerc, il s’agira d’abord d’une inflation pour les consommateurs américains sur les produits étrangers. « Je ne suis pas certain qu’ils aient très bien compris, mais ce sont des impôts. Les Américains vont payer ces 20% de plus sur les produits importés. L’inflation va atteindre 4 à 5% à la fin de l’année », prévoit-il.
En France, certains marchés américains vont se fermer. « Le secteur du luxe arrivera sans doute à amortir ces droits de douane, ou à la renégocier. Mais, par exemple, nos producteurs laitiers sont coincés. Les Etats-Unis sont de très gros importateurs de poudre de lait. Dans un premier temps, la fermeture de ce marché va faire chuter le prix du lait. Mais il ne faut pas se réjouir, c’est du court terme. Parce qu’ensuite, ce marché étant perdu, on va demander aux éleveurs de produire moins de lait, peut-être licencier ou fermer des usines de fabrication de fromages. C’est un jeu de domino », alerte-t-il au micro d’Appoline de Malherbe. D’autant, selon lui, qu’à partir de 2026, suite aux renégociations qui auront eu lieu, « tous les produits du Vietnam, de Corée, du sud-est asiatique vont essayer de rentrer vers l’Europe. Cela pourrait avoir un effet déflationniste et entraîner du chômage, des licenciements et des faillites ».
Le 10 avril, l’Union européenne a déclaré qu’elle va « prendre le temps qu’il faudra pour évaluer ces récentes évolutions, en consultant les pays membres et le secteur de l’industrie, avant de se mettre d’accord sur les prochaines étapes ». Un peu plus tard, en milieu de journée, elle a annoncé suspendre sa riposte aux droits de douane imposés par les Etats-Unis pour 90 jours « afin de donner une chance aux négociations ».
C.B.