Après la décision rendue en octobre dernier par laquelle l’Autorité avait accepté les engagements pris par Auchan, Casino, Metro et Schiever, réduisant le périmètre de leurs achats en commun concernant les marques de distributeurs, elle a rendu une nouvelle décision concernant l’accord à l’achat conclu entre Carrefour et Tesco sur leurs marques de distributeurs.
L’Autorité rend obligatoires les engagements pris par Carrefour et le distributeur britannique Tesco, qui excluent certaines familles de produits (des fruits et légumes) de l’accord concernant les marques de distributeurs, limitent leur coopération pour d’autres familles de produits (coton, fromage frais, fromage persillé…) et garantissent aux PME la possibilité de candidater aux appels d’offres lancés par les deux groupes pour leur approvisionnement en marques de distributeurs.
L’accord à l’achat Carrefour/Tesco
En août 2018, Carrefour et Tesco, distributeur leader au Royaume-Uni mais ne disposant pas de magasins en France, ont conclu un accord de coopération, portant notamment1 sur l’approvisionnement en produits de marques de distributeurs (MDD2).
L’accord consiste à organiser des appels d’offres conduits par Carrefour ou Tesco pour le compte des deux distributeurs, en vue de faire fabriquer en commun des produits MDD. Plus de 130 familles de produits étaient initialement concernées par l’accord, parmi lesquelles des produits alimentaires – dont des produits frais non transformés, comme les fruits et légumes – et des produits non alimentaires, comme par exemple l’aluminium et les films alimentaires ou l’essuie-tout.
Cette alliance s’est nouée dans un contexte de rapprochements à l’achat entre plusieurs distributeurs. Après une première vague fin 2014, un mouvement de recomposition a eu lieu en 2018 avec la signature des accords Auchan/Casino/Metro/Shiever ; Carrefour/Tesco ; Carrefour/Système U. L’accord Carrefour/Tesco, comme celui signé entre Auchan/Casino/Metro/Shiever, porte notamment sur les MDD.
Conformément aux dispositions issues de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron), l’accord Carrefour/Tesco a été communiqué à l’Autorité. A la suite de cette transmission, l’Autorité a ouvert une enquête contentieuse sur l’accord et, dans son prolongement, s’est autosaisie au fond en mai 2019, puis en mesures conservatoires en septembre 2019, sur le fondement du dispositif spécifique aux centrales d’achat introduit par la loi Egalim3. L’instruction de l’accord a en effet permis d’identifier des préoccupations de concurrence.
Une fragilisation des fournisseurs
Le marché amont de l’approvisionnement est marqué par des conditions contractuelles plutôt défavorables aux fournisseurs (absence d’exclusivité, contrats de courte durée, absence d’engagements de volumes de la part des distributeurs), ce qui limite leur pouvoir de marché. La rentabilité relativement faible des fournisseurs de MDD illustre leur faible pouvoir de marché. Le secteur a, par ailleurs, été marqué, jusqu’à récemment, par une baisse générale et significative des ventes depuis plusieurs années, qui a pu fragiliser économiquement les fournisseurs de MDD.
En outre, une part significative de l’offre MDD est produite par des entreprises de taille réduite (PME, TPE)4. Ces dernières sont donc plus exposées à un changement brutal des conditions de commercialisation de leurs produits, qu’il s’agisse d’une baisse de prix ou de la perte de volumes.
En diminuant la marge des fournisseurs, les accords pourraient diminuer leur capacité à investir et innover, voire réduire leur incitation à rester sur le marché. Or, si le cahier des charges des produits MDD est in fine défini par le distributeur, son processus d’élaboration fait également intervenir dans certains cas les fournisseurs en amont lors de la phase de définition des produits ; ceux-ci jouent alors un rôle proactif dans l’innovation de certains produits.
La mise en œuvre de l’accord de coopération notifié à l’Autorité risquait de fragiliser des entreprises dont certaines font partie intégrante du processus d’innovation pour les produits MDD. L’Autorité a ainsi identifié un risque de diminution de la capacité, voire de l’incitation des fournisseurs à investir et à innover, ce qui peut nuire au bien-être des consommateurs sur le marché de détail.
Exclusion de certaines familles de produits
En réponse à ces préoccupations de concurrence, Carrefour et Tesco ont proposé des engagements, qui ont été soumis à un test de marché (voir communiqué du 8 octobre 2020) :
- Carrefour et Tesco excluent de l’accord des produits agricoles (fruits et légumes : agrumes, fruits rouges, tomates, raisins, kiwis, melons, pastèques…), achetés principalement auprès des producteurs français et européens ;
- Carrefour et Tesco limitent leur coopération pour 8 catégories de produits (coton, fromages persillés, fromage frais, conserves de tomates…) à un volume correspondant, pour Carrefour, à 15 % de parts de marché à l’achat par famille de produits ;
- Carrefour et Tesco s’engagent à rétablir la possibilité pour les plus petits fournisseurs de répondre aux appels d’offres organisés dans le cadre de la coopération. Aucun fournisseur ne sera ainsi exclu ab initio du champ d’application de l’alliance.
Les enseignes restent libres de coopérer sur l’ensemble des autres catégories de produits.
Ces engagements sont pris pour cinq ans. Ils seront vérifiés par un mandataire agréé par l’Autorité de la concurrence.
Considérant que ces engagements permettent de répondre pleinement et efficacement aux préoccupations de concurrence identifiées, l’Autorité les a accepté et rendu obligatoires.
1L’accord porte aussi sur l’approvisionnement en produits non marchands (produits ou services nécessaires aux parties pour leur activité et non destinés à la revente) et la fourniture de services internationaux.
2Les marques MDD de Carrefour sont Carrefour Classic’ ; Carrefour Extra ; Carrefour Original ; Carrefour Sensation ; et Carrefour le Marché.
3Depuis la loi Egalim du 30 octobre 2018, l’Autorité a en effet la faculté, en matière de rapprochements à l’achat, de se saisir d’office en mesures conservatoires, ce qui peut déboucher sur la suspension des accords.
477 % des références mises en rayon sont fabriquées par les PME/TPE.