Secteur en vogue, porteur de chiffre d’affaires, le marché du luxe entre dans un moment charnière où il doit se réinventer. La poussée du digital, l’insatiable demande chinoise et les attentes des jeunes générations bousculent les codes d’une industrie qui oscille entre tradition et innovation. Aux marques d’intégrer ces changements et de rapidement se positionner. Elles en ont les moyens, reste la volonté de changer (vraiment) pour s’ouvrir à de nouveaux horizons, moins élitistes mais plus riches en opportunités. Prêtes à relever le(s) défi(s) ?
Par Cécile Buffard
Avec 154 Mds€ de chiffre d’affaires réalisés en France en 2019 et 10 000 emplois à pourvoir par an, dans les cinq années à venir, le secteur du luxe se porte très bien. Les résultats annuels du groupe LVMH confirment ces performances, dévoilant 53,7 Mds€ de vente enregistrées l’an dernier, soit une progression de 15 % par rapport à 2018. Louis Vuitton, sacrée marque la plus valorisée en France dans le classement BrandZ TOP 50 2020, tire la croissance du groupe avec son offre de maroquinerie. Au niveau mondial, le marché du luxe devrait atteindre un total de 1 300 milliards d’euros d’ici 2025 avec une croissance estimée à 4,6 %. Une décélération depuis 3 ans qui met fin au cycle des 10 % de croissance annuelle depuis quarante ans. “En 2010, le marché a connu une croissance très forte, profitant d’un rattrapage post-crise financière et du décollage des marchés émergents. Malgré une santé robuste, le ralentissement de ces trois dernières années oblige les
acteurs du secteur à aller chercher de nouvelles poches de croissance et à identifier les enjeux significatifs pour le futur”, analyse Véronique Sonnet, marketing senior specialist chez Bain & Cie. Ce marché florissant, au développement récent, connaîtrait-il déjà ses limites ? Quoique se maintenant entre 2 à 3 points au-dessus du PIB mondial, la croissance du luxe n’est plus aussi spectaculaire qu’avant. En cause, des facteurs sociétaux et géographiques qui, au fil du temps, ont modifié le visage et les motivations des clients du luxe. En effet, le secteur a été porté par plusieurs vagues, comme le rappelle Olivier Abtan, managing director en charge de l’expertise luxe chez Publicis Sapient : ”la première était celle des baby boomers qui ont fait de l’artisanat local une véritable industrie, à l’image des maisons Dior, Chanel et Louis Vuitton ; la seconde vague est venue du japon, pays qui compte le plus grand nombre de fans du luxe français et italien. Le pays est devenu le premier marché des marques qui se sont développées dans le monde pour servir ses concitoyens. Enfin, la troisième vague est Chinoise et celle-ci est sans limite”. Toutefois, le boom de la consommation chinoise s’est, peu à peu, normalisé. “L’anomalie du comportement chinois qui, à ses débuts, était prêt à sacrifier son budget mensuel pour acheter des produits de luxe quel que soit son niveau de revenu s’est effacée pour donner place à des achats plus raisonnés”, ajoute le directeur. Fini de se priver de manger pour s’offrir un sac Gucci : délaissant les réflexes de pays émergents, la clientèle chinoise adopte les attitudes de consommation des pays matures.
La Chine, enjeu géographique La Chine n’en reste pas moins le premier marché du luxe. Aussi, les ventes du secteur dépendront à 40 % du pays d’ici à 2024, indique Boston Consulting Group (BCG). “D’un point de vue géographique, il y a un fort enjeu de développement lié à la situation de la Chine”, note Véronique Sonnet. Pour preuve, la récente épidémie de coronavirus a suffi à faire chuter en Bourse, en quelques semaines, les titres de LVMH, Kering et Hermès. Un marché qui va bien au-delà des frontières chinoises. “Plus des deux tiers des achats mondiaux sont réalisés par des Chinois hors de Chine, ce qui crée une problématique de réception de ces clients dans les capitales d’Orient et d’Occident”, souligne la spécialiste. Le déploiement de points de vente à l’international, intégrant des services dédiés à cette population et des offres et assortiments ajustés, particulièrement dans les segments mode et cosmétiques, représente un enjeu majeur pour les marques. “Les clients du
luxe voyagent beaucoup, il y a donc une volatilité en fonction des effets de change qui s’avère complexe dans la gestion des stocks et des assortiments en boutique, ce qui provoque parfois des files d’attente devant les magasins”, ajoute Véronique Sonnet. De plus, des questions se posent sur la formation du personnel en magasin, ainsi que sur la promotion des marques, dans un écosystème chinois où les plateformes d’achats comme Tmall ou Alibaba et les messageries type WeChat ou Weibo prévalent sur les canaux de vente traditionnels. Un défi tant géographique que digital pour les marques de luxe, d’autant que les jeunes générations de consommateurs sont aussi friandes de e-commerce qu’à la recherche