Deux ONG, Bloom et foodwatch, lancent une alerte sur une contamination généralisée au mercure de boîtes de thon en conserve au niveau européen. Que dit la réglementation ? Et la filière ?
Les deux ONG Bloom et foodwatch lancent une alerte sur les dangers pour la santé de la contamination généralisée au mercure relevé dans les boîtes de thon au niveau européen, suite à une enquête de Bloom baptisée « Du poison au poisson. Chronique d’un scandale de santé publique ». Les deux organisations demandent à la grande distribution, dans une pétition commune, ainsi qu’aux pouvoirs publics, de prendre des mesures d’urgence.
Des contaminations diverses
Le test réalisé en laboratoire par Bloom révèle que sur 148 boîtes de thon achetées en France, Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie, 100% des produits sont contaminés par du mercure et 57% dépassent la teneur de 0,3 mg / kilo de produit qui est celle appliquée aux autres poissons (non prédateurs).
Le produit le plus contaminé en Europe est celui d’une marque française, Petit Navire, avec 3,9 mg/kg de thon (soit 13 fois plus élevée que les espèces soumises aux taux de 0,3 mg/kg ), dont la boîte de thon blanc au naturel a été achetée dans un Carrefour City à Paris. Les deux autres produits les plus contaminés, de marque Carrefour, ont été achetés à Marseille. Ils concernent tous les deux le même produit, du thon en tranches au naturel, et affichent des résultats différents (de 1,87 mg/kg et de 1,94 mg/kg), ce qui peut sembler logique dans la mesure où les zones de pêches, plus ou moins polluées, ne sont pas les mêmes. Sachant aussi que plus un thon est âgé, plus il a accumulé des métaux lourds. Enfin, 11 autres produits dépassent le seuil de 0,3 mg de mercure / kilo : Reflets de France, Carrefour, Petit Navire, Chancerelle et Nixe.
Que dit la réglementation ?
Le phénomène n’est pas nouveau. Les alertes non plus. Globalement, les règles relatives aux quantités maximales autorisées de certains contaminants dans les aliments sont fixées au niveau européen, initialement dans un règlement adopté en février 1993. La limite de mercure avait alors été fixée pour le ton à 1 mg/kg, et à 0,5 mg/kg pour les autres poissons. Plus tard, en 2022, ces limites ont été modifiées par le biais d’un nouveau règlement adopté en 2006. Un nouveau plafond de 0,3 mg/kg a été fixé pour les poissons non prédateurs les plus faiblement contaminés. Mais les limites pour le thon sont restées celles adoptées en 93, avec une quantité maximale de mercure de 1mg/kg. À ceci près que depuis avril 2023, un règlement européen précise que ces teneurs s’appliquent au poids frais et non au produit fini. « Si un produit a été concentré, comme c’est le cas pour la mise en conserve lors de laquelle le ton est déshydraté, comparé au thon frais, c’est la teneur en mercure du thon frais initial -donc inférieur à celle du produit fini – qui compte pour déterminer si une conserve dépasse les teneurs maximales autorisées ou non, estime Bloom dans son enquête. Ainsi, entre le thon frais et le thon en boîte, la concentration en mercure peut théoriquement passer de 1 mg/kg à 2,7 mg/kg ». L’ONG a calculé, d’après les résultats des analyses sur les 148 conserves, que la chair du thon perd 50% d’eau pendant l’appertisation (la teneur en eau passe à 20%) et le mercure se retrouve, ainsi concentré, dans la boîte.
« L’ensemble des boîtes de conserve dépassant la norme de 0,3 mg/kg devraient être interdites à la vente, estime Bloom qui relève que « pour définir les teneurs maximales en mercure des thons, aucune méthode ne prenant en compte les conséquences sur la santé des adultes et des enfants n’est utilisée. Les pouvoirs publics européens choisissent contraire une approche en complète opposition avec le devoir de protection de la santé publique : ils partent de la contamination réelle en mercure des tons pour établir un seuil qui est sur la commercialisation de 95% d’entre eux. Avoir agi en amont sur les seuils réglementaires permet des armes aux industriels et la grande distribution de vendre des produits contaminés en toute légalité ».
Les demandes de l’ONG Bloom
L’ONG appelle à la mise en place de plusieurs mesures dans l’ensemble de l’Union européenne. Elle demande, notamment, à ce que les distributeurs s’engagent à ne commercialiser que le thon ne dépassant pas la norme en mercure la plus protectrice (0,3 mg/kg), afin de réduire l’exposition des consommateurs à cette contamination. Elle demande également aussi à ce que fabricants et distributeurs cessent toute promotion sur le thon et avertissent, via tous leurs canaux d’information, les consommateurs du risque auquel ils s’exposent. Selon l’ONG, l’État français doit aussi activer une clause de sauvegarde européenne pour interdire la commercialisation des produits à base de thon dépassant 0,3 mg/kg de mercure au niveau national. Elle attend aussi de l’État français et des collectivités le bannissement des cantines scolaires, des crèches, les maisons de retraite, des maternités et des hôpitaux, de tous les produits contenant du thon. D’après Julie Guterman, Chercheuse et autrice principale de l’étude de Bloom, « on ne devrait pas parler de « seuils sanitaires » pour le mercure dans les produits de la mer, mais de « seuils de contamination ». Cela fait plus de 30 ans que la grande distribution profite largement de ces normes faussées pour vendre des quantités astronomiques de thon contaminé au mercure. Suite à nos révélations, les supermarchés ne peuvent plus s’abriter derrière une loi inique. En tant que maillon final de la chaîne de commercialisation des thons, les enseignes de supermarché ont le devoir moral et éthique de s’assurer que les produits qu’elles commercialisent sont sains et sûrs pour la santé humaine ». Et Camille Dorioz, directeur des campagnes chez foodwatch de renchérir : « Nous exigeons que les pouvoirs publics renforcent la réglementation et, sans attendre, que les distributeurs ne commercialisent que des produits en dessous du seuil le plus protecteur. En tant que dernier maillon de la chaîne, ils ont la responsabilité des produits qu’ils mettent dans leurs rayons ».
Les réponses de la filière
Dans un communiqué, les professionnels de la filière du thon ont démenti les conclusions portées par l’ONG Bloom. « Les boîtes de thon en conserves mises sur le marché ne sont pas dangereuse pour la santé », a affirmé la Fédération des industriels d’aliments conservés (Fiac) et dénonce « une campagne de communication ». La Fiac souligne que tous les professionnels du secteur conduit préventivement ou et très régulièrement des centaines d’analyses chaque année réalisées par ou avec le support de laboratoire indépendant et accrédités. Les résultats de ces analyses sont collectés partagés dans le cadre de l’institut technique CITPPM (Confédération des industries du traitement des produits des pêches maritimes et de l’aquaculture) afin de mutualiser les données et de les communiquer aux autorités sanitaires françaises. « A ce jour, cette base compte plus de 2700 résultats d’analyses collectées depuis 8 ans au niveau français. La teneur en mercure se situe en moyenne à 0,2 mg/kg, soit nettement sous la limite de 1,0 mg/kg autorisée pour assurer la sécurité des consommateurs. Les résultats obtenus sont ainsi très en deçà de ceux diffusés de façon alarmiste par les associations militantes qui n’ont testé que 148 échantillons pour toute l’Europe », affirme la Fiac. Bataille de chiffres très particulière, donc…
De son côté, toujours dans un communiqué, la marque Petit Navire (Thai Union Frozen) a également réagi. Le voici en intégralité :
« La consommation de produits Petit Navire et parfaitement sûr pour les consommateurs. La sécurité et le bien-être de nos consommateurs sont une priorité absolue chez Petit Navire. Nous veillons à cet égard à ce que tous nos produits soient conformes aux réglementations françaises et européennes en vigueur.
Les autorités de régulation et instances scientifiques d’évaluation des risques comme l’EFSA, établissent des règles de sécurité sanitaire strictes pour protéger la santé des consommateurs que nous respectons avec la plus grande rigueur. S’agissant du thon, la réglementation européenne imposant un seuil maximal de mercure de1 mg/kg sur la matière première.
Dans ce cadre, nous réalisons régulièrement des tests sur nos espèces de thon dans nos différentes zones d’approvisionnement pour vérifier la conformité des poissons que nous achetons et garantir la sécurité de nos produits. Ces contrôles sont réalisés par ou avec le support de laboratoires indépendants et accrédités par les autorités sanitaires françaises et européennes.
Au cours des trois dernières années, nous avons réalisé 270 contrôles. Les résultats de ces contrôles n’ont jamais révélé de taux de mercure supérieurs aux normes européennes en vigueur et sont en moyenne compris entre 0,2 et 0,3 mg/kg, soit 70 à 80% de moins que la limite autorisée.
Nous réaffirmons notre vigilance continue quant au strict respect des normes en matière de santé publique. Nous faisons confiance aux autorités de régulation et aux instances scientifiques d’évaluation des risques pour établir des règles de sécurité optimales et harmonisées, applicables à tous. »
C.B.