Entre inflation et guerre en Ukraine qui s’enlise, les Français effectuent des arbitrages dans leurs achats. S’il n’est pas question pour eux de se priver de sucre, ils se tournent davantage vers des références basiques, tout en étant vigilants sur leur origine. Par Sidonie Wathier
A retenir: l’enjeu majeur de l’engagement des marques, sur fond d’inflation
La France se classe en tête des pays producteurs de sucre. Ça tombe bien, les Français aiment en consommer. S’ils apprennent de mieux en mieux à gérer les quantités absorbées, en raison notamment des campagnes de communication du ministère de la Santé, ils continuent à en acheter. Même si les niveaux atteints pendant la pandémie ne sont plus d’actualité. Après deux années de crise sanitaire particulièrement favorables, grâce, notamment, à l’engouement pour le “fait maison”, le marché du sucre décroche à nouveau. Il enregistre, ainsi, une baisse de -4,1 % en valeur et -6,3 % en volume (source IRI CAM juillet 2022). Les spécialités et les essentiels tirent leur épingle du jeu. “Avant l’inflation, et après deux années de Covid-19, les Français souhaitaient de la praticité : ils cherchaient à gagner du temps, avec des produits prêts à utiliser, avec une facilité dans les usages et les emballages”, commente Capucine Duchesne, chef de groupe marketing Tereos France. En raison de la situation géopolitique et économique particulière, les références classiques performent, avec un engouement plus marqué pour les sachets de grande contenance. “52 % des foyers français effectuent des arbitrages dans leur consommation depuis six mois et cela ne risque pas de s’arranger dans les semaines qui viennent”, prévient Matthieu Simonin, directeur des opérations marketing Cristalco.
Une envie de simplicité
Dans ce contexte tendu, et alors que la rentrée s’annonce socialement difficile, les consommateurs dépensent prudemment. “Avec la guerre en Ukraine et l’explosion des coûts, les ménages sont très attentifs à ce qu’ils achètent. L’inflation est plus importante sur le sucre que sur les PGC”, glisse Capucine Duchesne. “Depuis quelques mois, nous assistons à une remontée des ventes de produits basiques et des sucres courants. C’est intéressant de voir comment les sucres de betterave progressent”, ajoute Matthieu Simonin. Selon le directeur des opérations marketing, le dynamisme de ce segment passe par les marques et les MDD. Au sein du linéaire, la question de l’assortiment représente, d’ailleurs, un nouvel enjeu. En effet, pourquoi proposer aux Français une offre de 1er prix, des références MDD et des marques nationales ? Cristalco, après avoir lancé de nombreuses innovations en pleine pandémie, mise cette année sur une de ses dernières nouveautés : un sucre vendu en format de 1,5 kg. “Cette offre d’accessibilité prend tout son sens aujourd’hui. Pour nous, 2022-2023 va être orienté sur ce produit qui va représenter une alternative aux premiers prix. Après huit mois de vente, les indices d’achats dans les foyers modestes, et ceux de 3 personnes et plus, sont très forts”, remarque Matthieu Simonin.
Parallèlement à cette recherche de simplicité, les consommateurs poursuivent leurs expériences culinaires à domicile. Pas une semaine sans qu’ils ne préparent des gâteaux ou autres desserts sucrés. Une manière pour eux de contrôler la liste des ingrédients et de préférer les matières brutes. “Le Covid-19 a renforcé cet attrait pour le bien manger avec la santé au cœur des tendances et le contrôle des origines. Par exemple, un produit bio du Brésil est devenu moins bien perçu qu’un produit français”, estime Capucine Duchesne.
Dans un contexte où les Français passent plus de temps chez eux, rien d’étonnant à ce que le segment des sucres pour confitures performe toujours aussi bien. Saint Louis Sucre, leader avec 49,1 % des parts de marché, ne cesse d’innover. L’an dernier, l’intervenant a lancé Confisuc Extra Fruits et c’est un succès. Cette recette en format 500 g permet d’obtenir des préparations à partir de 1 kg de fruits en 4 minutes de cuisson. “Soucieuse de répondre le plus précisément possible aux attentes de tous ceux qui souhaitent diminuer la quantité de sucre dans leurs préparations “maison”, Saint Louis les accompagne pour réaliser des recettes plus fruitées et savoureuses”, indique Jessica Cahitte, senior products manager. Toutefois, si le plaisir reste au cœur des attentes, les Français veulent aussi des marques engagées. “Pour les moins de 35 ans, la transition écologique est un must-have”, glisse Capucine Duchesne. La durabilité s’impose, désormais, comme un pilier incontournable dans la stratégie de développement des fabricants.
Une attention portée à l’engagement
“L’industrie sucrière est extrêmement énergivore car nous déshydratons un jus de betterave pour cristalliser le sucre. Nous constatons un vrai tournant dans les habitudes des consommateurs qui deviennent plus vigilants. Et les récents feux de forêt, la pénurie d’eau et les températures élevées accentuent cette prise de conscience, lance Matthieu Simonin, directeur des opérations marketing Cristalco. Nos investissements, sur les vingt dernières années, portent sur la réduction d’utilisation d’énergie, le fait de passer du charbon au pétrole et au gaz et cela a un impact majeur”.
Tereos s’investit également beaucoup auprès de la filière. L’intervenant s’appuie, notamment, sur une coopérative de 12 000 agriculteurs, majoritairement installés dans le Nord, et dispose d’un service agronome qui l’accompagne sur son offre. “Nous avons trois filières : conventionnelle, bio et HVE, soutenue par le gouvernement”, précise Capucine Duchesne, chef de groupe marketing Tereos France.
Pour rassurer les consommateurs sur leur engagement, les marques multiplient les références green. Saint Louis se focalise, d’ailleurs, sur le bio cette année avec de nombreuses innovations. Après le lancement des Petits hexagones blonds en 2018 et des Petits hexagones blancs en 2020, le groupe enrichit sa gamme d’une référence bio équitable. “Nos Petits hexagones blonds pure canne non raffiné bio Commerce Equitable atteignent tous leurs objectifs et rencontrent un franc succès en répondant au désir de naturalité des consommateurs, raconte Jessica Cahitte. La consommation responsable, ainsi que la naturalité, sont des demandes généralement motivées par des raisons de santé et une sensibilité environnementale. Saint Louis y répond en déclinant nos principaux produits conventionnels en bio”. L’intervenant propose également un sachet Cristal Bio en format 1 kg, un sucre glace 500 g, et un pack bio de betteraves 650 g dans un coffret carton 100 % recyclable, pratique et facile à refermer.
La question des emballages devient d’ailleurs majeure. Il devient indispensable pour les fabricants de revoir leurs formats et matériaux. Saint Louis a déjà effectué de nombreuses démarches. Par exemple, la suppression des fenêtres plastiques lui a permis de réduire de 100 tonnes le plastique depuis 2015. Le groupe propose également un pack complet incluant le bouchon à trier et du carton issu de forêts éco-gérées. Tereos s’est fixé un objectif de 100 % des emballages recyclables d’ici à 2025. Ces efforts doivent s’accompagner de pédagogie pour expliquer aux Français toutes ces évolutions. “Il est parfois difficile, pour un consommateur, de transformer ses actes d’achat en réduction de plastique, par exemple. De plus, avec tous les labels, ils sont perdus. Or, la simplicité et le bon sens payent. Il faut être vigilant, ne pas singer ce qui se fait ailleurs, toutes ces injonctions qui nous sont données : il faut être capable de simplifier le discours, de revenir à une marque déculpabilisante. Sur notre pack, nous restons simples sur la face, plus bavards au dos, et nous expliquons la réduction -70 % de plastique. C’est ça la pédagogie, les Français sont intelligents”, explique Matthieu Simonin. Il suffit de peu pour rassurer les consommateurs et les inciter à acheter mieux, différemment.
Communication: entre décalage et institutionnel
Pour valoriser leurs produits, les intervenants utilisent différents axes de communication. Ils parient sur la notion de plaisir pour déculpabiliser les consommateurs, avec des messages plus ou moins décalés. Cristalco, avec sa marque Daddy, reste fidèle à un ton atypique. “En mars dernier, nous avons lancé la campagne de pub Sucre Daddy par-dessus tout. Notre souhait, c’est de sortir des sentiers battus. Alors que tout le monde se dit proche de la terre, nous avons réfléchi à la manière d’être percutant, en adoptant un ton vivant et nous sommes revenus avec cette fraise icone de la marque Daddy, raconte Matthieu Simonin, directeur des opérations marketing Cristalco. Les résultats sont très encourageants, nous avons 92 % de taux de notoriété et allons maintenir ce discours. Nous bénéficions d’une forte audience sur les réseaux sociaux. La notoriété de Daddy se construit sur les jeunes générations alors que nos concurrents sont sur les 50 ans et +”.
D’autres acteurs du marché préfèrent miser sur des partenariats avec des chefs ou des influenceurs. Saint Louis sponsorise les émissions de Mory Sacko “Cuisine ouverte”, de Kelly Rangama “Voyages et Délices”, et également “Saveurs de saison”. Terreos attend 2023 pour célébrer les 50 ans de Beghin-Say. En attendant, l’intervenant effectue un travail de pédagogie à travers des infographies, sur les emballages, la mise en place d’un QR code sur la gamme bio, etc. Objectif : occuper le terrain en permanence.
Compétitivité: soutenir la filière
Pour faire face à l’envolée des tarifs de l’énergie et des matières premières, les intervenants de la filière ont besoin de soutien pour maintenir leur compétitivité par rapport à d’autres céréales comme le blé. Face à la concurrence, les agriculteurs de betteraves pourraient bien être tentés de passer à d’autres cultures. Pour renforcer leur légitimité, il est nécessaire de les rémunérer au juste prix. La France reste le deuxième pays producteur en Europe avec des zones agricoles où les autres récoltes sont rares. Une bonne raison pour agir en leur faveur.
Tendance: les Français, véritables becs sucrés
Selon une étude réalisée par l’institut Episto pour Cultures Sucre, en octobre et novembre 2021, les Français avouent avoir un faible pour une note sucrée au cours des repas. Ainsi, 56 % des seniors estiment que c’est un petit plaisir contre 69 % des jeunes. Manger sucré dans la journée s’apparente à un rituel (35 % des seniors et 43 % des jeunes) même s’ils évitent de manger trop sucré (22 % des seniors et 12 % des jeunes). Parmi leurs desserts préférés, la tarte aux pommes et le gâteau au chocolat se classent en tête de leurs choix, devant la tarte au citron et les crêpes, suivis de la crème brûlée et du tiramisu.
Anne-Laure Almeida-Pelissier,
Directrice de Clientèle IRI
en partenariat avec
Sucre, des performances en baisse
“Sur le cumul annuel mobile arrêté à fin juillet 2022, le total sucres (incluant édulcorants & substituts de sucre) enregistre un recul en chiffre d’affaires à -3,5 % en tous circuits, dans un contexte d’équilibre pour la moyenne des produits de grande consommation (à -0,3 % dans le même temps). Cette mauvaise performance est toujours reliée aux difficultés des sucres standards, en retrait à -3,7 % (-6,4 % en volume), qui subissent notamment un fort niveau d’inflation sur les derniers mois (+8,12 % en juillet 2022). Les sucres blancs classiques restent mal orientés (-1,7 % en valeur / -6,2 % en volume), mais les sucres spécialités sont aussi à la peine désormais (-8,3 % en valeur / -8,7 % en volume). L’offre spécialités n’est plus valorisée, souffrant de la logique d’arbitrage déployée par les foyers français afin de préserver leur pouvoir d’achat dans un contexte de retour de l’inflation qui impacte, par ailleurs, la taille de l’assortiment, notamment sur la promesse Bio.
Un niveau d’offre restreint
Dans ce contexte déjà mitigé, les édulcorants et substituts de sucre ne tirent plus leur épingle du jeu, et contribuent simultanément au recul (-2,3 % en valeur / -1,8 % en volume). La promesse Bio progresse légèrement, sans parvenir à compenser les difficultés du conventionnel. Si la demande consommateur se maintient, les édulcorants naturels (stevia, sirops d’agave) et de synthèse sont pénalisés par un niveau d’offre plus restreint cette année, et affichent respectivement un repli de leur chiffre d’affaires à -3,1 % et -1,5 %. À suivre dans les prochains mois, avec un potentiel retour à plus de fait maison (en cas de persistance de l’inflation), qui serait évidemment bénéfique pour les produits de base auxquels appartiennent les sucres.”