L’avenir des magasins réside en grande partie dans l’intensité de l’expérience qu’ils seront en mesure d’offrir à leurs clients. Les enseignes doivent donc rebâtir une relation collaborateur et une relation client harmonieuses, denses, créatives.
Durant toute la pandémie, la grande distribution a assuré sa mission d’acteur de « seconde ligne », derrière les professionnels de santé, pour satisfaire les besoins essentiels des Français, ces derniers n’ayant d’ailleurs que peu d’alternatives, si ce n’est les commerces des centres-villes. Pour autant les questionnements sur le modèle de la grande distribution, apparus bien avant le Covid-19, restent d’actualité, et dans des proportions plus grandes encore, même.
Certains sujets sont liés à l’offre de produits : la crise a révélé une modification des attentes des Français en matière de traçabilité des produits, de circuits courts, de produits frais, locaux et de saison. Même si la grande distribution a commencé à prendre ce virage, il est à peine amorcé, si l’on en juge par les négociations toujours difficiles entre les centrales d’achat et les producteurs, qui alimentent chaque année la chronique médiatique. En même temps, la grande distribution est soumise à des injonctions contradictoires : des produits de qualité d’une part, mais aussi des prix bas d’autre part. L’un des grands enseignements de la crise est le gain de parts de marché réalisé par les principales enseignes de produits « premiers prix », comme Aldi ou Lidl, qui ont connu une croissance à deux chiffres en 2020. Cela illustre une tendance de fond de la consommation, celle de la frugalité. Il ne faut pas obligatoirement y voir une contradiction. Le comportement des consommateurs n’est pas d’un bloc : ils peuvent à la fois rechercher des produits de qualité et donc plus chers dans certains domaines, et faire preuve de frugalité sur d’autres. La grande distribution va donc devoir travailler sur cet équilibre complexe à trouver.
Une autre question concerne le développement de l’offre digitale, très marqué pendant la crise. Le consommateur a pris de la distance avec ce lieu physique qu’est le magasin. Cela remet en tête de la liste des questions à traiter celle de la fréquentation des magasins, qui devront de plus en plus, procurer des émotions, créer des surprises, proposer des services nouveaux et non plus seulement des produits indifférenciés et une attente irritante en caisse. Comment faire entrer à nouveau « l’humain » dans un espace très normé où la productivité est la norme et un sujet complexe, mais à traiter de façon urgente. En outre, la digitalisation se doit aussi de préserver sa part d’humanité, dans les outils qu’elle développe et les modes de relation nouveaux avec les consommateurs. À quoi bon une rangée de caisses automatiques sans aucun être humain ? Pourquoi se déplacer si je n’ai aucune relation ?
Reste enfin une question essentielle : la qualité de la relation entre la grande distribution et ses clients et collaborateurs. La dernière édition du Baromètre de la Symétrie des Attentions, qui mesure la qualité de la relation collaborateur et clients dans tous les grands secteurs du service et que réalise l’Académie du Service depuis plusieurs années, montre que globalement, la grande distribution n’est pas aux standards, s’agissant de la façon dont ses clients la perçoivent : moins d’un client sur deux s’estime satisfait, seuls quatre sur dix perçoivent l’engagement des collaborateurs vis-à-vis d’eux, trois sur dix estiment que le digital et la relation humaine se concilient de façon harmonieuse. Et, ce qui n’est pas neutre du tout dans l’image de la grande distribution auprès des consommateurs, 34 % des clients seulement jugent que les collaborateurs de la grande distribution sont bien traités.
Certes, il s’agit de perception, mais dans le monde dans lequel nous vivons, perception vaut souvent réalité. Durant la crise, les collaborateurs de la grande distribution ont répondu présents et cet effort a été salué par l’opinion publique. C’est sur ce terreau que les enseignes doivent donc rebâtir une relation collaborateur et une relation client harmonieuses, denses, créatives. L’avenir des magasins réside en grande partie dans l’intensité de l’expérience qu’ils seront en mesure d’offrir à leurs clients et elle repose largement sur une bonne symétrie des attentions.
Par Thierry Spencer, directeur associé de l’Académie du Service