Après la surprise du retour de l’inflation, les acteurs de la consommation traversent une période charnière et doivent s’adapter aux nouveaux arbitrages des consommateurs. Deux études exclusives publiées par AlixPartners, portant sur les conséquences de l’inflation en 2023 sur le comportement des consommateurs, et ses prévisions sur l’inflation des matières premières en 2024, dépeignent les défis d’un secteur en plein bouleversement. Par Cécile Buffard
Le cabinet de conseil international AlixPartners a dévoilé la dernière vague trimestrielle de l’enquête réalisée par l’institut de sondage en ligne Potloc sur les Français et l’inflation. Tout au long de l’année 2023, quatre enquêtes ont été menées (février, mai, septembre, décembre) auprès de 1 000 consommateurs, afin de prendre le pouls en temps réel de la consommation face à la nouvelle donne inflationniste. Un dispositif inédit et riche en enseignements : 43 % des Français déclarent ainsi avoir connu une perte de pouvoir d’achat supérieure à 5 % sur un an, dont 21 % « plus de 10 % ». La part de la population qui déclare un gain de pouvoir d’achat n’est que de 9 %, ce qui génère un niveau d’inquiétude toujours élevé (84 %).
Le climat anxiogène est général, les personnes interrogées considèrent que le reste des Français souffre d’une plus forte baisse de pouvoir d’achat qu’eux-mêmes. En tout, 61 % des répondants considèrent que les Français ont perdu en moyenne plus de 5 % de pouvoir d’achat.
Privations et changement d’enseignes
Sur le marché alimentaire, les arbitrages des consommateurs se multiplient, entre privations et changement d’enseignes. Des catégories entières d’aliments « plaisir » ou jugés chers font les frais de la baisse de pouvoir d’achat (pâtisserie, gâteaux, viande, plats préparés, alcools, poisson…). Les Français sont enclins à changer d’enseigne ou à aller à la chasse aux prix bas et aux promos pour retrouver des marges de manœuvre budgétaires. En tout, 62 % des Français ont également recours à la privation, un chiffre qui s’est accentué depuis février 2023. Les distributeurs l’ont bien pris en compte en mettant en avant dans leurs communications la capacité de leurs clients à se faire plaisir sans trop payer. Les Français démontrent une hyper sensibilité aux variations de l’inflation, qui reste fortement corrélée à leur moral. La détente observée en mai 2023 a été suivie par une rechute et un fort pessimisme à la rentrée (vague de septembre). Un vrai casse-tête pour les distributeurs, qui doivent ajuster leurs stratégies en fonction. Lidl, Aldi et E. Leclerc semblent être les enseignes alimentaires gagnantes face à l’inflation : même si c’est bien E. Leclerc qui a raflé le plus de parts de marché, avec une progression jamais vue depuis un certain nombre d’années.
Poussée de la seconde main
L’attention sur les prix semble s’être calmée fin 2023, faisant suite au ralentissement de l’inflation observé au cours de l’année. « Les Français veulent aller vers plus de qualité en ce début d’année, mais il faudra confirmer si c’est une tendance durable. Cette étude montre que lorsque l’inquiétude baisse, les consommateurs ont tendance à aller vers la qualité plutôt que le prix, mais la tendance peut s’inverser au premier pic d’inquiétude. Sur certains produits, comme l’hygiène ou les produits d’entretien, ils maintiennent en revanche une volonté constante d’aller chercher du prix, ce qui favorise le succès des marques distributeur », explique Olivier Abtan, Partner & Managing Director chez AlixPartners.
Le marché non-alimentaire est, quant à lui, marqué par un renoncement à des achats et par une poussée des achats de seconde main. Près de 9 Français sur 10 ont renoncé à un achat au cours des 12 derniers mois (+23 points par rapport à février 2023). Les achats de seconde main sont devenus très importants en 2023, en miroir de l’évolution du niveau d’inquiétude.
Risques de surstocks
Les réglementations sur l’encadrement des promotions (loi Descrozaille) pourraient entraîner des surstocks chez les distributeurs, s’ils ne prennent pas suffisamment en compte le pic de consommation exceptionnel provoqué par la fin programmée des promotions supérieures à 34 %, sur les produits d’entretien et d’hygiène. « La différence entre la perception des enseignes par les consommateurs pour agir face à l’inflation, et leurs performances réelles en parts de marché, doit nous interpeller. Le positionnement prix n’est qu’un élément dans l’équation des consommateurs, avec la qualité et la variété de l’offre, ou la densité du réseau », décrypte Olivier Salomon, Partner & Managing Director chez AlixPartners.
En parallèle, AlixPartners révèle aussi grâce à son étude « Cost Inflation Outlook 2024 », réalisée en collaboration avec ChAI Predict, ses prévisions d’évolution du prix des matières premières, à la hausse comme à la baisse, et leurs conséquences sur les différentes catégories de produits dans les rayons des grandes surfaces.
Des baisses de prix amorcées
Certaines baisses amorcées en 2023 se poursuivront, notamment pour le sucre (-6 %), le chocolat (-6 %), et le café (-9,9 %), mais le plastique (+3,3 %), les produits chimiques (+3,6 %), les métaux (+9,1 %), les matières grasses et huiles (+6,1 %), et les aliments pour animaux (12,3 %) sont concernés.
Dans le détail, cela implique par exemple qu’une partie des produits plaisir, comme l’épicerie sucrée, bénéficiera de tarifs plus abordables, tandis que les produits de beauté pourraient assister à une augmentation des prix. Toutefois, ces effets en rayon seront loin d’être immédiats, et pourraient ne se faire sentir qu’en 2025. Les achats des industriels sont d’abord protégés par des contrats à terme, qui apportent un vrai niveau d’inertie sur les prix, au même titre que les différents stocks constitués tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Enfin, distributeurs et industriels vont se retrouver en butte au niveau d’acceptation de hausses de prix des consommateurs, déjà durement mis à l’épreuve.
« Les prévisions d’inflation des coûts en 2024 exigent des entreprises une stratégie de protection des marges plus agressive, mais il sera impératif d’explorer des approches novatrices, de l’optimisation des coûts à l’intégration de solutions numériques, pour maintenir une position compétitive. Ce qui peut se traduire pour la grande distribution par une poursuite de la consolidation du marché, au niveau des réseaux de magasins comme des centrales d’achat », explique Etienne Sebaux, Partner et Managing Director chez AlixPartners.