Enquête bouclée le 17 novembre 2020
Les Français déclarent vouloir acheter plus local. Au-delà du nom indiquant le lieu de production, les PME ont d’autres outils marketing à leur disposition comme les labels, leurs ingrédients et les relations avec les producteurs. A elles de mettre en avant les bons leviers de leur valeur
de marque.
Par Jean-Bernard Gallois
Les Français ont le goût du local. C’est, en tout cas, ce qu’ils soutiennent à longueur de sondages. Les nombreuses études réalisées durant et après le confinement de printemps les ont dépeints très attachés à la cuisine, désireux de profiter davantage de l’avenir et soucieux de s’approvisionner à quelques kilomètres de chez eux. Ajout à cette liste de bonnes
résolutions, un sondage réalisé par YouGouv en plein mois de juillet, évoque un changement de regard vis-à-vis des marques. 37 % des personnes interrogées ont déclaré que ces dernières ont un plus grand impact que le gouvernement pour “un avenir meilleur” et 47 % veulent acheter uniquement des marques qui partagent leurs valeurs. Ils souhaitent que ces dernières priorisent des actions pour protéger l’environnement (61 %), la production localisée en France (60 %) et la protection de la santé des consommateurs (59 %).
Autant de cases que cochent les marques locales et régionales et que met en avant un livre blanc sorti le 16 novembre par la Feef (voir ci-dessous). “Cela fait une dizaine d’années que l’on découvre ces marques très patrimoniales, qui
sont construites sur l’authenticité, des patrimoines industriels ancrés et des histoires familiales mais la mise en avant de leur valeur a évolué”, indique Agnès Mazières, directrice générale du groupe Référence DMD et co-auteure de l’ouvrage. Pour la responsable de ce cabinet qui propose des directeurs marketing en temps partagé à destination des PME-ETI, la question du nom n’est plus centrale dans la valeur de
marque. “Avoir un nom régional n’est pas suffisant pour une marque en matière de spécificité, elle ne décrit pas ce qu’on apporte au marché en termes de produit. Ceci dit, il s’agit d’une preuve de qualité et de tradition, d’ancrage territorial. Le nom de la marque ne doit pas être lié au lieu mais spécifique.”
Imaginaire collectif des régions
Illustration dans le Poitou-Charentes. Spécialisé dans les produits à base de fromage blanc, la société “Maison Baillon” a créé la marque “Maison Baillon” pour les circuits spécialisés, du nom du fondateur peu après son rachat par Claudie Vardelle et son mari, voici un an et demi. “C’était une demande de la part de nos 25 salariés, explique cette ancienne cadrespécialisée dans le marketing. Nous avons gardé la marque “Légendes du Poitou” pour les GMS qui constituent 80 % de notre chiffre d’affaires de 4,5 millions d’euros et qui plait beaucoup aux touristes venant en vacances. Sur les emballages des tourteaux, notre spécialité depuis 1976, nous spécifions bien qu’ils sont fabriqué à Brioux sur Boutonne, le bon niveau géographique de
communication. Mettre en avant le nom de la petite ville où nous fabriquons “c’est du vrai” et cela donne plus d’authenticité à notre ancrage local, plutôt qu’un grand terroir plus difficile à localiser.”
Direction le sud avec deux régions implantées dans l’imaginaire collectif. “Corsica gastronomia est le nom de notre société et une de nos deux marques avec Charles Antona, le fondateur de l’entreprise spécialisé dans la conserverie et les confitures. Pas besoin d’en rajouter, la Corse est connue et reconnue pour la qualité de ses produits, les nôtres sont présentés avec notre estampille logo où figure la tête de maure et “fatu in Corsica”, commente Olivier Valéry, le PDG de l’entreprise.
Perchée à Chambéry, Alpina Savoie ne changerait de nom pour rien au monde. “Le plus ancien semoulier pastier français porte la région dans son nom et son logo et la Savoie a une connotation positive autour de la pureté et de la gourmandise”, souligne Floriane Bègue, chef de produits GMS. La PME de 42 millions de CA créée en 1844 a connu sa croissance sur le crozet, une pâte carrée typique de la région. “Le développement se fait maintenant sur d’autres types de pâtes et le couscous.” Et quand on crée sa société, l’astuce est d’aller piocher dans le patrimoine local. Olivier de Brueker est le jeune fondateur de La Brasserie lilloise, qui a commencé à produire en 2017. “Notre nom illustre bien notre origine et notre principale bière, Lydéric, destinée au circuit CHR, tient son appellation du géant de la ville, dont pas mal de locaux ignoraient l’histoire”, s’amuse-t-il. Une deuxième gamme dédiée à la grande distribution se nomme Phinaert, l’autre géant de la ville. Il insiste sur son approvisionnement local, “l’orge qui vient à 95 % des Hauts de France”, la malterie implantée en Belgique et les houblons principalement issus de la région.
Approvisionnement local affiché
Pour les PME régionales, l’approvisionnement local constitue un atout à présenter “sur tous les points de contact, de l’emballage à Internet car il rend concret l’engagement de l’entreprise”, pointe Agnès Mazières. La Biscuiterie de Provence essaie de s’approvisionner “avec, au moins 50 % de fournisseurs locaux dont, entre autres, l’olive de Nyons et le vin blanc qui vient de notre village”, indique Amandine Vegas Christy, la responsable marketing de la société. “95 % de nos ingrédients sont issus de moins de 135 kilomètres, une preuve pour maintenir et développer l’activité économique régional”, souligne Claudie Vardelle, de la Maison Baillon. “Nous fabriquons nos chips à la marque Bret’s avec 100 % de pommes de terre bretonne, et 90 % sur la totalité de nos produits”, indique Olivier Sallé, directeur marketing d’Altho. Il tient à préciser que “les 10 % restants sont de la pomme de terre primeur produite en juin en Nouvelle-Aquitaine”. Les personnes interrogées dans une étude réalisée par Ipsos pour l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations en novembre 2019 sont 79 % à être attentives à l’origine géographique des produits ou au fait qu’ils soient fabriqués dans la région. Des critères qu’ils trouvent “bien plus rassurants” que les labels (68 %) ou même que les produits bio (60 %). “Une marque répond avant tout à des besoins et l’origine des produits est une réelle preuve des valeurs portées par la marque”, ajoute Agnès Mazières.
Au-delà de l’ancrage local, un autre élément essentiel dans le marketing des marques régionales est la responsabilité sociale et environnementale. Faut-il placer un logo
indiquant une protection de l’environnement sur son emballage ? Plusieurs logos ne placent-ils pas le consommateur dans une confusion ? “Cela dépend, évidemment, du positionnement de chaque PME régionale, estime Agnès Mazières. Les labels peuvent être nécessaires à un moment de l’histoire de la société, ajoute-t-elle en citant les gourdes Gobi, éco-conçues et made in France. Elles avaient pensé supprimer cet élément qu’elles ne jugeaient plus utiles mais se sont ravisées face à la concurrence car il s’agit d’un élément de réassurance par rapport au consommateur”.
Label PME +
Pour les chips Bret’s, la RSE et le régionalisme sont des éléments incontournables de la marque mais elle n’en fait pas un outil d’affichage… pour l’instant. “Nous travaillons avec 300 agriculteurs bretons en contrat annuel et leur assurons l’achat de 100 % de la récolte en bord de champ”, indique Olivier Sallé. L’eau de lavage est recyclée quatre fois dans le système et nous disposons d’un méthaniseur pour créer notre propre gaz vert”. Pour autant, pas de multiplication de labels sur les paquets de chips ; “dans la sobriété et l’humilité, nous indiquons juste que les produits sont d’origine 100 % France et produits en Bretagne”. Le responsable marketing ajoute qu’en 2021, le groupe Altho compte mettre en avant ses agriculteurs sur chaque sachet en inscrivant son nom. “Ainsi, nous voulons aller jusqu’au bout de la transparence pour démontrer les qualités de notre produit”. Comme 700 PME françaises, Les Légendes du Poitou présentent les labels “PME +” (mis en avant par la Feef) sur leur packaging de gâteaux au fromage
blanc et elles y ajoutent le label “Bleu blanc cœur”.
Autre outil pour montrer cette transparence dans la fabrication, l’ouverture de son usine au public se pratique de plus en plus. Les Savonneries du Midi le font depuis 2018. “Cela permet aux consommateurs de voir la préparation de notre savon de Marseille, cuit au chaudron pendant huit à dix jours sans parfum ni colorant”, détaille Guillaume Fiévet, directeur général de l’entreprise. La Biscuiterie de Provence a ouvert une nouvelle boutique, passée de 60 à 300 m2 où “nous mettons en avant 350 produits locaux, des tartinades jusqu’aux cafés. Nous avons aussi une boutique proposant ces références sur notre site Internet”, ajoute Amandine Vegas Christy. Partager une market-place pour vendre avec d’autres sociétés régionales (voir ci-dessous) ? “Beaucoup de choses sont en train de se préparer dans ce domaine en Bretagne”, assure Olivier Sallé, sans vouloir en dire davantage. C’est dans l’air du temps, confinement oblige, et cela ne manquerait pas de sens.
Duel de régions
La marque “Sud” fait toujours rêver
L’Occitanie a été la première à dégainer, en créant en 2006, la marque Sud de France, “le signe de reconnaissance des produits d’Occitanie” selon la communication de la région. Elle propose un panier de 10 000 produits dont 6 300 vins. Son objectif de fédérer sous une marque ombrelle l’ensemble des vins à indication géographique de la région a réussi à développer les ventes à l’export des viticulteurs. Reste à régler un souci de taille : l’utilisation de la marque “Sud de France” sur les étiquettes de vin ne répond pas aux critères qui sont exigés pour être intégrée comme unité géographique au cahier des charges car il ne s’agit ni d’une région administrative ni d’une sous-région viticole… Problème – encore insoluble aujourd’hui –, ces critères ont été édictés quelques années après la création de la marque “Sud de France”.
Pour la région, il n’est pas concevable de renoncer à cette signature, car “nous avons investi 10 à 15 millions d’euros par an dans la promotion de cette marque, toutes filières confondues”, a défendu en novembre 2019 la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. A quelques centaines de kilomètres à l’Est de là, Renaud Muselier, le président de la région Paca pousse le nom Région Sud depuis 2018 qu’il accole à Paca sur un maximum de documents officiels. Selon lui, “il est associé aux trois “marques monde” qui sont Provence, Alpes, Côte d’Azur et participe au rayonnement international et à la reconnaissance de notre territoire”. Aujourd’hui, cette stratégie marketing opportuniste demeure confidentielle car aucun investissement de taille n’a été fait en termes de communication. L’appellation “Région sud” a tout de même été déposée à l’Inpi.
Livre blanc de la Feef
Valeurs de marques & PME
Dans son dernier livre blanc, sorti le 16 novembre dernier, la Feef, en collaboration avec la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et le groupe Référence DMD, explique comment les marques détiennent une importance cruciale dans le développement d’une PME tant au niveau interne qu’auprès des consommateurs et des investisseurs. Sur une trentaine de pages, les auteurs de l’ouvrage identifient les spécificités des marques de PME dans la création de valeur par rapport aux marques développées par les multinationales : capitaliser sur l’histoire, le savoir-faire, capitaliser sur les engagements produit, sur les spécificités régionales, capitaliser enfin sur la marque produit, la marque entreprise et les engagements sociétaux.
Trois questions à Yves Jégo
“Le seul gage du made in France, c’est la certification Origine France Garantie”
L’ancien député et ministre a créé la certification Origine France Garantie en 2011. Près de 3 000 gammes de produits ont été certifiées depuis cette date.
► Qu’est-ce que l’Origine France Garantie ?
Il s’agit d’une certification qui assure aux consommateurs la traçabilité d’un produit en donnant une indication de provenance claire et objective. Elle nécessite deux critères qui se cumulent : le produit doit être à 100 % fabriqué en France, 50 % du prix de revient unitaire (composants et main-d’œuvre) provient de notre pays, des critères plus stricts que ceux du
Code des douanes qui donne la possibilité de mettre “made in France” si au moins 45 % de la valeur du produit est réalisée sur le territoire ou si la dernière transformation importante y est effectuée.
La certification dure trois ans, Et ce sont des organismes certificateurs indépendants (Bureau veritas, AFNOR, CERIB et FCBA) qui vont dans les lieux de fabrications vérifier le respect du cahier des charges de la certification.
► Pourquoi être aussi exigeant ?
Car il s’agit d’un véritable outil de différenciation auprès des consommateurs français et étrangers qui sont à la recherche de transparence sur l’origine des produits et de traçabilité. Les entreprises ne s’y trompent pas et nous en sommes à 3 000 gammes de produits certifiées depuis neuf ans, soit environ 10 000 références. Le taux de renouvellement est de 92 % c’est donc une certification utile à tous.
► Un label supplémentaire ne perd-il pas le consommateur ?
Aucun label ne certifie l’origine française des produits à part Origine France Garantie. Il y a des AOP des IGP etc. qui certifient une origine locale mais pas une origine nationale. 67 % des consommateurs peuvent reconnaître et décrire la certification Origine France Garantie. C’est un outil d’intérêt général bien différent des drapeaux bleu-blanc-rouge qui fleurissent sur les articles et dont les consommateurs doivent se méfier. Le seul gage du made in France, c’est la certification Origine France Garantie !
Acheter local
Les plateformes se multiplient
Le click and collect est en plein boom, confinement oblige et les initiatives n’ont pas manqué depuis le printemps. Deux jeunes trentenaires installés en Poitou-Charentes ont lancé fin juillet Le Coin des Cartes cadeaux, une plateforme regroupant des cartes cadeaux des commerces de proximité, un positionnement inédit. “Notre idée est que les gens puissent offrir à des amis ou leur famille la carte cadeau d’un commerçant de zone de chalandise”, explique Marie Cordié,
la cofondatrice du site. Le site référence, pour l’instant une centaine de commerçants, qui rémunèrent les entrepreneurs par une adhésion de 60 euros. “A l’approche de Noël et en plein confinement, il s’agit de soutenir les petites entreprises locales plutôt que d’en faire un gagne-pain”, ajoute-t-elle. Les collectivités locales ont également réagi durant la pandémie. En avril dernier, l’office de tourisme d’Arras Pays d’Artois a proposé sur son site web un listing de plus de 400 commerçants, artisans, restaurateurs et producteurs du territoire proposant du click and collect. Il va ouvrir d’ici fin novembre une plateforme e-commerce où les mêmes pourront organiser et gérer leur propre boutique en ligne.
Depuis le 12 novembre, la région Occitanie offre la possibilité aux commerçants proposant de la commande directe ou du retrait en magasins d’être référencés et de bénéficier de la visibilité de la plateforme régionale. Cette action s’inscrit dans la continuité de la promotion de la consommation locale durant l’hiver 2019. “En Occitanie, au lieu d’acheter en ligne, j’achète dans ma zone”, indique l’affiche, détournant le slogan d’Amazon au passage. Toujours en référence au leader du e-commerce, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a annoncé le 5 novembre dernier la création d’une marketplace régionale, “un Amazon 100 % Rhône-Alpes”. Cette plateforme intitulée “mon commerce en ligne” devait être opérationnelle d’ici le 24 novembre.