Gilles Trystram, chercheur et professeur à AgroParisTech, expert scientifique en Génie des procédés alimentaires et biotechnologiques, a été nommé, le 23 juin dernier, directeur général de Genopole. Il livre à Points de Vente son regard sur les défis à venir de l’industrie agroalimentaire française.
Comment l’industrie agroalimentaire peut-elle relever les défis écologiques et économiques auxquels elle est brutalement confrontée ?
Gilles Trystram – La production alimentaire est proportionnelle aux coûts de l’énergie et de l’alimentation. En moyenne, chaque calorie demande dix fois l’énergie de production par rapport à l’énergie ingérée. Cela soulève la question des ressources animales, plus gourmandes en énergie que les ressources végétales, elles-mêmes plus coûteuses que les insectes par exemple. À cela s’ajoute la raréfaction des ressources en eau, qui seront sans doute diminuées de 20 % en 2030 alors même que la production agricole et la transformation agroalimentaire ont des besoins importants en eau. Jusqu’à aujourd’hui, le monde industriel s’était adapté aux différentes situations de pression – économique, environnementale, climatique – qu’il a pu rencontrer par le passé. Mais jusqu’à quand ? D’abord, il est certain que le consommateur ne paie pas le vrai prix qui permettrait de rémunérer correctement les agriculteurs. Et cet écart ne fait que s’accroître. Ensuite, l’intermittence de la disponibilité des ressources, très difficile à gérer par les entreprises, a montré que notre système industriel n’intégrait pas aisément la notion de variabilité.
L’inflation va-t-elle nous conduire à modifier nos habitudes alimentaires ?
Il n’y a pas un mais des consommateurs aux profils, convictions et goûts différents. Cette diversité donne aux industriels l’opportunité de cibler des segments de population en fonction de leurs aspirations et de leur proposer des produits plus ou moins accessibles selon leur degré d’engagement, leurs moyens financiers ou leur attente organoleptique. Certaines personnes seront, par exemple, prêtes à modifier totalement leur régime alimentaire pour préserver la planète et les ressources naturelles, quand d’autres refuseront de changer leurs habitudes. Tout le monde n’a pas la même capacité à évoluer rapidement. Toutefois, l’inflation généralisée impliquera de se restreindre sur les catégories de produits les plus touchées et conduira à faire des arbitrages inédits sur le panier d’achat. Les pénuries qui ont eu lieu en magasin au lendemain de l’éclatement de la guerre en Ukraine ont bousculé nos habitudes de consommation et remettent en cause, plus largement, un modèle de distribution qui serait basé sur l’idée, utopique, d’une abondance éternelle de ressources.
Quelles sont solutions proposées par la foodtech ?
Le monde agro-industriel a besoin de s’adapter. Il faut changer la conception et les procédés de fabrication de certains produits. Pour cela, les entreprises peuvent s’appuyer sur des solutions technologiques plus flexibles qui ouvriront la voie à de nouvelles alternatives, telles que les protéines végétales. La capacité d’ingénierie d’un système repose sur son aptitude à prendre en compte des situations aussi variées qu’imprévisibles. Cette capacité d’adaptation se joue à différents niveaux, qu’il s’agisse des ressources primaires ou de leur transformation. Les technologies apportées par les sciences du vivant changent la manière de faire des aliments. Le numérique peut intervenir dans certains cas mais pas dans tous. De fait, l’instrumentation dans les procédés alimentaires se révèle plus complexe que dans d’autres secteurs industriels en raison du contact direct avec les aliments et de la sécurité sanitaire induite. En revanche, la distribution a énormément bénéficié des inventions de la foodtech. Durant le confinement, de nombreuses applications digitales et plateformes ont permis de structurer de nouveaux canaux de distribution et de livraison, via des circuits courts en lien direct avec le producteur.
Comment l’industrie agroalimentaire innove-t-elle ?
L’innovation est constante dans l’agroalimentaire. Les reformulations et adaptations d’aliments représentent au moins 75 % des changements de produits. Toutefois, certaines innovations sont visibles, lorsqu’elles concernent les emballages ou le produit en lui-même, d’autres sont invisibles lorsqu’elles reposent sur le changement d’un ingrédient, une orientation clean label, une amélioration du Nutriscore ou un processus de fabrication. Des innovations vont s’installer durablement dans le secteur, notamment pour explorer le potentiel d’alternatives de protéines produites par des insectes ou des micro-organismes dans la conception des recettes. Le développement de ces nouveaux produits dépendra du degré d’acceptabilité en masse des consommateurs. Il ne ciblera pas toujours les premiers prix ou les MDD mais pourra s’installer durablement dans un segment de niche. L’innovation de rupture emprunte d’autres chemins, plus confidentiels, avec un parcours plus long et difficile. C’est pour cette raison que les fonds d’investissements se montrent très actifs pour soutenir les start-ups qui travaillent sur les microorganismes, les bactéries, champignons, insectes, algues et autres ingrédients végétaux.
Notre assiette, demain, sera-t-elle plus végétale ?
De nombreuses études et propositions sur ces sujets sont en cours. Il existe, en effet, des démarches orientées vers la substitution des protéines animales par du végétal dont certaines passent par l’utilisation de microorganismes ou d’algues. Le fait est qu’en 2030, nous risquons de manquer de protéines pour nourrir la planète et qu’il faudra trouver des alternatives. De plus, une alimentation durable pose la question de l’empreinte écologique de certaines de ces protéines. Je crois beaucoup à la combinaison entre protéines animales et végétales plutôt qu’au remplacement de l’une par l’autre. Tout dépend des aliments, bien sûr, puisque dans certains cas, la substitution est possible tandis que dans d’autres, la combinaison sera préférable. Ces recherches demandent du travail et du temps, mais le chantier est pleinement ouvert. Notre alimentation, demain, viendra de plus près, sera plus diversifiée et composée d’alternatives à la protéine d’origine carnée. Le foodtech lab développé par Genopole travaillera à démontrer les pistes qui seront viables ou non et à accompagner l’industrie dans ce changement. De nouvelles filières alimentaires vont se mettre en place.