Noël et fêtes des mères. Deux temps forts où le marketing rivalise de non-imagination pour véhiculer des stéréotypes de sexe, de genre, de race, d’âge… Quand les rayons affichent du bleu et du rose, quand les packagings des jouets scientifiques ne s’adressent qu’aux garçons et les activités créatives aux filles, quand les messages invisibilisent les pères en faisant porter la charge mentale de l’organisation du foyer aux mères, quand les hommes ne savent pas changer une couche, quand les femmes sont enfermées dans des rôles de ménagères ou d’objets sexuels, quand les uns tiennent les rôles d’experts et les autres de potiches… Face aux nouveaux enjeux sociétaux, les lignes bougent ; marques, distributeurs et communicants s’engagent. Parfois maladroitement. Parfois par opportunisme. Peu importe. Il était temps.
Par Catherine Batteux
Chacun doit être libre de vivre et d’afficher sa propre identité ethnique, religieuse et sexuelle. C’est la tendance la plus forte qui ressort du dernier rapport de l’Observatoire des Utopies qui vient d’être publié par l’Obsoco. Cet observatoire explore des modèles utopiques et décompose un certain nombre de tendances émergentes. Ainsi, 37 % des 2 000 répondants ont attribué une note égale ou supérieure à 3 (sur 5), “ce qui est extrêmement fort, à la reconnaissance des droits individuels, avec un besoin d’expression en dehors des stéréotypes”, souligne Véronique Varlin, directrice associée de l’Obsoco. Parallèlement, 72 % des personnes interrogées approuvent l’affirmation selon laquelle les couples homosexuels devraient avoir les mêmes droits, à tous les niveaux, que les couples hétérosexuels. Dans les mêmes proportions, les Français s’accordent autour de l’idée que la loi devrait reconnaître à chaque individu de vivre et d’exprimer ses différences quelles qu’elles soient, tant qu’elles ne menacent pas la société. “Ces aspirations au droit individuel, à la liberté de vivre ses différences, s’inscrivent dans une dynamique de long terme : au-delà des stéréotypes, chacun souhaite forger sa propre identité, voire sa propre identité de genre en floutant les frontières habituelles. Ces tendances sont aussi soulignées dans d’autres études, comme celle d’European Value Survey qui mesure ce genre de dimensions depuis quelques années et dont on voit qu’elles sont déjà très présentes dans notre société”, ajoute-t-elle. Ainsi, face aux nouveaux enjeux sociétaux, les marques sont en pleine mutation. Et leur discours n’en est que le reflet. #MeToo est passé par là, tout comme le mouvement Eveil. Un nouveau consommateur émerge, porté par la prise de conscience de nouvelles constantes sociétales : égalité homme/femme, environnement, écologie… “Les marques s’alignent sur ces nouvelles attentes, chacune essayant de trouver un moyen d’activation, dans son domaine de compétence, et de voir comment elle peut apporter davantage avec ses produits à la société”, souligne Christophe Manceau, directeur du planning stratégique de Kantar Division Media. Mais le chemin sera long tant les stéréotypes sont bien ancrés.
La ménagère et le héros Dans les années 80 – avant déjà, mais pour d’autres raisons –, les publicitaires s’engagent résolument dans une approche de marketing genré, s’appuyant sur des stéréotypes de genre et générant des codes qui parlent aux hommes ou aux femmes, de façon segmentante et basique. C’est l’époque de la fameuse “ménagère de moins de 50 ans” dévolue soit aux
tâches ménagères soit à l’objectivation sexuelle ; et de l’homme associé à la puissance, la performance, l’aventure et l’expertise, sous couvert d’une certaine forme de virilité. “La femme étant la principale prescriptrice d’achats, viser le segment est apparu efficace pour les ventes. Collatéralement, le segment homme est devenu lui-même porteur pour certains types de produits”, avance Christophe Manceau. Des représentations schématiques enfermant hommes et femmes dans des stéréotypes archaïques qui ont la vie dure. Il suffit de jeter un œil sur le compte Twitter de l’association Pépite Sexiste, qui repère chaque jour les stéréotypes et le sexisme véhiculés par le marketing et la publicité et interpelle les marques, pour s’en rendre compte (voir encadré). Ou sur le compte Facebook de l’association féministe des Chiennes de Garde qui, depuis 1999, lutte contre les violences symboliques et sexistes (langage et images) diffusées dans l’espace public. Ainsi, jusqu’en 2017, Mennen concluait sa campagne sur les déodorants par “Une efficacité d’avance, pour nous les hommes”. Toujours en 2017, Invicta s’invite dans le métro en symbolisant deux Cocottes-Minute rouge en lieu et place des
seins et un poêle à bois représentant la vulve avec la baseline “Découvrez le concept-store le plus chaud de Paris”. La même année, toujours, Auchan s’exclame : “Hourra, j’ai la carte de crédit de mon mec !”, tandis qu’un adhérent de Super U, pour promouvoir le prix de ses carburants, poste, pendant plusieurs mois, des photos dégradantes de femmes dénudées et hyper sexualisées en talons aiguilles et porte-jarretelles en train de faire le plein de leur voiture. De son côté, Twingo innove en mettant en scène des femmes achetant une voiture, – quasiment une première –, mais en leur proposant d’assortir leur vernis à ongles à la carrosserie. Plus récemment, Aubade affiche ses leçons dans les abris-bus (ou sur toute la façade des Galeries Lafayette) avec, notamment, une femme “tronçonnée” dont on ne voit que les fesses en gros plan, à peine voilées d’une culotte très échancrée, avec le message : “Le détourner du droit chemin”. Il y a environ 4 ans, “la marque Eden Park s’appuie sur un triptyque d’affiches représentant trois femmes, très jeunes, très mignonnes, maquillées et habillées en petite ménagère, la première étend une lessive de
polos, l’autre les repasse et la troisième les apporte à leur conjoint”, raconte Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de Garde. Le nom de la campagne ? “For you, guys”. “En somme, la réplique de la réclame des années 50 mais avec une ménagère moderne, décrit l’ADN. Une femme dans son temps qui choisit un homme viril à qui sa mère n’a pas appris à repasser ses chemises”. Dans son communiqué, la marque souligne que ces femmes “assument de se montrer comme on ne les voit plus jamais, en train d’effectuer des tâches ménagères. Elles savent que le jeu amoureux n’est qu’une facette d’une vie trop souvent idéalisée par la communication. Elles savent que la vie sentimentale est constamment mise à l’épreuve de la vie quotidienne. Elles savent, et elles décident de s’en amuser”… Sans commentaire. Ou, plutôt, comment retourner les arguments des hommes et femmes qui sont en accord avec une vision plus moderne et progressiste de la société.
La ménagère ou l’objet sexuel En 2017, la campagne d’Yves Saint-Laurent est retoquée par le Jury de déontologie publicitaire (JDP). Les associations Les Chiennes de Garde et Osez le Féminisme ! avaient, notamment, porté plainte, les femmes étant présentées comme des objets dans des positions explicitement sexuelles et de soumission pour valoriser la marque, contribuant à diffuser une
image sexiste, dégradante et stéréotypée des femmes. À l’inverse, le JDP estime non fondées les plaintes sur la campagne Le Temps des Cerises pour son affiche où une femme blonde, de dos, très cambrée, avec un plan serré sur ses fesses et ses cuisses (là encore, sans tête ni pieds) et portant un jean de la marque est associée à l’accroche “Liberté, Égalité, Beau fessier”. Interpellée en 2018 par Pépite Sexiste, “la marque a très mal pris mon interpellation”, raconte Marion Vaquero, fondatrice de l’association. Le Temps des Cerises a, depuis, supprimé son compte Twitter et lancé deux nouvelles campagnes : l’un où l’on voit des fessiers d’hommes et de femmes ; l’autre où un homme nu marche de dos et deux femmes se retournent pour le regarder sur son passage. “Ils essaient d’inverser la tendance en produisant de nouveaux stéréotypes”, ajoute Marion Vaquero. “Nous constatons, malheureusement, que les femmes tiennent essentiellement deux rôles dans les publicités : soit des ménagères de moins de 50 ans, parce qu’après, elles n’existent plus, soit des objets sexuels ou des représentations faisant référence à leur sexualité. Il n’y a quasiment pas d’alternative”, regrette Marie-Noëlle Bas. Les exemples pourraient se multiplier à l’envi. Surtout du côté de certaines marques confidentielles et de certains petits commerçants – mais pas uniquement – qui, visiblement, ne font pas appel à des agences de communication
responsables et qui essaiment les représentations les plus sexistes et vulgaires : camionnettes ou panneaux d’affichage locaux se parent, alors, de femmes objectivées, dénudées et hyper sexualisées censées, par leur offrande calquée sur une représentation complètement stéréotypée du désir masculin, faciliter la vente de lunettes, de carrelage, de chauffage ou encore d’épilation définitive… Souvent épinglées par le JDP, ces marques indélicates n’en font pas moins de l’ombre à celles qui ont décidé de véritablement s’engager dans la lutte contre les stéréotypes