
Noël et fêtes des mères. Deux temps forts où le marketing rivalise de non-imagination pour véhiculer des stéréotypes de sexe, de genre, de race, d’âge… Quand les rayons affichent du bleu et du rose, quand les packagings des jouets scientifiques ne s’adressent qu’aux garçons et les activités créatives aux filles, quand les messages invisibilisent les pères en faisant porter la charge mentale de l’organisation du foyer aux mères, quand les hommes ne savent pas changer une couche, quand les femmes sont enfermées dans des rôles de ménagères ou d’objets sexuels, quand les uns tiennent les rôles d’experts et les autres de potiches… Face aux nouveaux enjeux sociétaux, les lignes bougent ; marques, distributeurs et communicants s’engagent. Parfois maladroitement. Parfois par opportunisme. Peu importe. Il était temps.
Par Catherine Batteux
Chacun doit être libre de vivre et d’afficher sa propre identité ethnique, religieuse et sexuelle. C’est la tendance la plus forte qui ressort du dernier rapport de l’Observatoire des Utopies qui vient d’être publié par l’Obsoco. Cet observatoire explore des modèles utopiques et décompose un certain nombre de tendances émergentes. Ainsi, 37 % des 2 000 répondants ont attribué une note égale ou supérieure à 3 (sur 5), “ce qui est extrêmement fort, à la reconnaissance des droits individuels, avec un besoin d’expression en dehors des stéréotypes”, souligne Véronique Varlin, directrice associée de l’Obsoco. Parallèlement, 72 % des personnes interrogées approuvent l’affirmation selon laquelle les couples homosexuels devraient avoir les mêmes droits, à tous les niveaux, que les couples hétérosexuels. Dans les mêmes proportions, les Français s’accordent autour de l’idée que la loi devrait reconnaître à chaque individu de vivre et d’exprimer ses différences quelles qu’elles soient, tant qu’elles ne menacent pas la société. “Ces aspirations au droit individuel, à la liberté de vivre ses différences, s’inscrivent dans une dynamique de long terme : au-delà des stéréotypes, chacun souhaite forger sa propre identité, voire sa propre identité de genre en floutant les frontières habituelles. Ces tendances sont aussi soulignées dans d’autres études, comme celle d’European Value Survey qui mesure ce genre de dimensions depuis quelques années et dont on voit qu’elles sont déjà très présentes dans notre société”, ajoute-t-elle.
Ainsi, face aux nouveaux enjeux sociétaux, les marques sont en pleine mutation. Et leur discours n’en est que le reflet. #MeToo est passé par là, tout comme le mouvement Eveil. Un nouveau consommateur émerge, porté par la prise de conscience de nouvelles constantes sociétales : égalité homme/femme, environnement, écologie… “Les marques s’alignent sur ces nouvelles attentes, chacune essayant de trouver un moyen d’activation, dans son domaine de compétence, et de voir comment elle peut apporter davantage avec ses produits à la société”, souligne Christophe Manceau, directeur du planning stratégique de Kantar Division Media. Mais le chemin sera long tant les stéréotypes sont bien ancrés.
La ménagère et le héros
Dans les années 80 – avant déjà, mais pour d’autres raisons –, les publicitaires s’engagent résolument dans une approche de marketing genré, s’appuyant sur des stéréotypes de genre et générant des codes qui parlent aux hommes ou aux femmes, de façon segmentante et basique. C’est l’époque de la fameuse “ménagère de moins de 50 ans” dévolue soit aux

tâches ménagères soit à l’objectivation sexuelle ; et de l’homme associé à la puissance, la performance, l’aventure et l’expertise, sous couvert d’une certaine forme de virilité. “La femme étant la principale prescriptrice d’achats, viser le segment est apparu efficace pour les ventes. Collatéralement, le segment homme est devenu lui-même porteur pour certains types de produits”, avance Christophe Manceau. Des représentations schématiques enfermant hommes et femmes dans des stéréotypes archaïques qui ont la vie dure. Il suffit de jeter un œil sur le compte Twitter de l’association Pépite Sexiste, qui repère chaque jour les stéréotypes et le sexisme véhiculés par le marketing et la publicité et interpelle les marques, pour s’en rendre compte (voir encadré). Ou sur le compte Facebook de l’association féministe des Chiennes de Garde qui, depuis 1999, lutte contre les violences symboliques et sexistes (langage et images) diffusées dans l’espace public. Ainsi, jusqu’en 2017, Mennen concluait sa campagne sur les déodorants par “Une efficacité d’avance, pour nous les hommes”. Toujours en 2017, Invicta s’invite dans le métro en symbolisant deux Cocottes-Minute rouge en lieu et place des

seins et un poêle à bois représentant la vulve avec la baseline “Découvrez le concept-store le plus chaud de Paris”. La même année, toujours, Auchan s’exclame : “Hourra, j’ai la carte de crédit de mon mec !”, tandis qu’un adhérent de Super U, pour promouvoir le prix de ses carburants, poste, pendant plusieurs mois, des photos dégradantes de femmes dénudées et hyper sexualisées en talons aiguilles et porte-jarretelles en train de faire le plein de leur voiture. De son côté, Twingo innove en mettant en scène des femmes achetant une voiture, – quasiment une première –, mais en leur proposant d’assortir leur vernis à ongles à la carrosserie. Plus récemment, Aubade affiche ses leçons dans les abris-bus (ou sur toute la façade des Galeries Lafayette) avec, notamment, une femme “tronçonnée” dont on ne voit que les fesses en gros plan, à peine voilées d’une culotte très échancrée, avec le message : “Le détourner du droit chemin”. Il y a environ 4 ans, “la marque Eden Park s’appuie sur un triptyque d’affiches représentant trois femmes, très jeunes, très mignonnes, maquillées et habillées en petite ménagère, la première étend une lessive de

polos, l’autre les repasse et la troisième les apporte à leur conjoint”, raconte Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de Garde. Le nom de la campagne ? “For you, guys”. “En somme, la réplique de la réclame des années 50 mais avec une ménagère moderne, décrit l’ADN. Une femme dans son temps qui choisit un homme viril à qui sa mère n’a pas appris à repasser ses chemises”. Dans son communiqué, la marque souligne que ces femmes “assument de se montrer comme on ne les voit plus jamais, en train d’effectuer des tâches ménagères. Elles savent que le jeu amoureux n’est qu’une facette d’une vie trop souvent idéalisée par la communication. Elles savent que la vie sentimentale est constamment mise à l’épreuve de la vie quotidienne. Elles savent, et elles décident de s’en amuser”… Sans commentaire. Ou, plutôt, comment retourner les arguments des hommes et femmes qui sont en accord avec une vision plus moderne et progressiste de la société.
La ménagère ou l’objet sexuel
En 2017, la campagne d’Yves Saint-Laurent est retoquée par le Jury de déontologie publicitaire (JDP). Les associations Les Chiennes de Garde et Osez le Féminisme ! avaient, notamment, porté plainte, les femmes étant présentées comme des objets dans des positions explicitement sexuelles et de soumission pour valoriser la marque, contribuant à diffuser une

image sexiste, dégradante et stéréotypée des femmes. À l’inverse, le JDP estime non fondées les plaintes sur la campagne Le Temps des Cerises pour son affiche où une femme blonde, de dos, très cambrée, avec un plan serré sur ses fesses et ses cuisses (là encore, sans tête ni pieds) et portant un jean de la marque est associée à l’accroche “Liberté, Égalité, Beau fessier”. Interpellée en 2018 par Pépite Sexiste, “la marque a très mal pris mon interpellation”, raconte Marion Vaquero, fondatrice de l’association. Le Temps des Cerises a, depuis, supprimé son compte Twitter et lancé deux nouvelles campagnes : l’un où l’on voit des fessiers d’hommes et de femmes ; l’autre où un homme nu marche de dos et deux femmes se retournent pour le regarder sur son passage. “Ils essaient d’inverser la tendance en produisant de nouveaux stéréotypes”, ajoute Marion Vaquero. “Nous constatons, malheureusement, que les femmes tiennent essentiellement deux rôles dans les publicités : soit des ménagères de moins de 50 ans, parce qu’après, elles n’existent plus, soit des objets sexuels ou des représentations faisant référence à leur sexualité. Il n’y a quasiment pas d’alternative”, regrette Marie-Noëlle Bas. Les exemples pourraient se multiplier à l’envi. Surtout du côté de certaines marques confidentielles et de certains petits commerçants – mais pas uniquement – qui, visiblement, ne font pas appel à des agences de communication

responsables et qui essaiment les représentations les plus sexistes et vulgaires : camionnettes ou panneaux d’affichage locaux se parent, alors, de femmes objectivées, dénudées et hyper sexualisées censées, par leur offrande calquée sur une représentation complètement stéréotypée du désir masculin, faciliter la vente de lunettes, de carrelage, de chauffage ou encore d’épilation définitive… Souvent épinglées par le JDP, ces marques indélicates n’en font pas moins de l’ombre à celles qui ont décidé de véritablement s’engager dans la lutte contre les stéréotypes et le sexisme. Et dénigrent ceux qui tenteraient de les interpeller en invoquant comme défense le manque d’humour ou la paranoïa : “vous voyez le mal partout”, “vous prenez tout au premier degré” ou, comme le gérant du Super U qui avait pris cette initiative locale affligeante : “Que vois-je ? une jolie fille légèrement vêtue, mais vêtue, fait le plein de sa décapotable dans une station-service… Gardez votre bien-pensance et votre esprit mal placé…”
Dans parents, il n’y a pas que les mamans
Autre chantier à faire évoluer : la charge mentale qui pèse encore, exclusivement, sur les femmes. “Je pense que ce n’est pas une volonté des marques d’être sexiste ou de faire peser la charge mentale sur les femmes. C’est juste une habitude et une question de stéréotypes”, estime Marion Vaquero. Car dans ce type de marketing, le père est complètement éludé, invisibilisé. Et quand il est présent, la plupart du temps, c’est pour mettre l’accent sur sa prétendue incompétence à

changer la couche d’un enfant en l’absence de sa conjointe, ou à être débordé face à une quelconque tâche ménagère. Une représentation enfermant, ainsi, hommes et femmes, dans leurs stéréotypes traditionnels. Sans parler du fait que les couples sont toujours évoqués dans un contexte hétéronormé, le mariage pour tous ayant quand même été légalisé depuis 2013… Globalement, la charge mentale est donc considérée comme quelque de chose de féminin : c’est aux femmes de s’occuper des bébés, des enfants, des courses, de la cuisine, des soins, du linge… tout est ciblé. Une intériorité réservée à la femme qui se traduit même en dehors des campagnes liées au foyer, comme le rappelle Marie-Noëlle Bas : “Decathlon, dans une campagne, proposait quatre affiches avec deux hommes et deux femmes. Les hommes s’entraînaient à l’extérieur. Les femmes étaient représentées soit dans leur salon en train de faire de la gym, soit sans une salle de sport. Il serait important de penser à l’inconscient collectif”. D’ailleurs, selon une étude Ipsos de 2018, 4 Français sur 10 pensent que si les femmes s’impliquent davantage dans la répartition des tâches, c’est qu’elles y trouvent une compensation personnelle… “On pense cela, on le normalise dans les publicités et, ensuite, c’est un cercle vicieux. C’est assimilé tant par les hommes que par les femmes qui, elles, estiment que c’est leur rôle d’assumer toutes ces tâches”, rappelle Marion Vaquero.
Marketing : unique en son genre
Enfin, l’autre chantier concerne le marketing genré, clivant, segmentant, mais offrant des perspectives d’augmentation substantielle du chiffre d’affaires. Et il se retrouve partout. Au-delà de son ancrage très fort dans l’univers des jouets (voir
article lié) – de la conception du produit, au packaging, en passant par sa mise en rayon segmentée et les diverses communications (PLV, catalogue…) – le marketing genré intervient parfois là où on ne l’attend pas vraiment : le champagne, les chips, les soupes, les shampooings, les jouets… Il englobe les produits déclinés en deux versions, masculine

et féminine (Pommery avec sa gamme Pop “It’s a boy… a girl” en bleu ou rose pour fêter l’arrivée d’un enfant). Mais aussi ceux qui, selon la marque, sont exclusivement réservés aux femmes (ou aux hommes) alors que leur terrain d’expression pourrait être mixte et neutre. Pourquoi les hommes ne seraient-ils pas intéressés par les produits diététiques, allégés ? Pourquoi l’injonction à rester mince reste-t-elle uniquement l’apanage des femmes ? Les packagings se fardent, alors, de femmes souhaitant retrouver leur silhouette et d’hommes en quête de performance. Sur un autre registre, Migros avait lancé, il y a un an, des soupes genrées dans sa gamme Bon Chef, mettant en évidence les stéréotypes qui vont avec : un paquet rose baptisé “Glamour queens” avec une fille dessinée façon “fashionista” et un paquet bleu nommé “Champions” représentant un garçon jouant au foot. La marque avait été interpellée par Pépite Sexiste. Et de nombreux commentaires de consommateurs et consommatrices avaient relayé le mécontentement sur les réseaux sociaux et le site de la marque. Un an plus tard, Migros a finalement opté pour une version non genrée. Sur le paquet, vert, une appellation, “Soup for Champions”, et une fille et un garçon jouant au foot. “Nous nous réjouissons des retours négatifs. Cela nous a permis d’adapter le visuel et la discussion sur les soupes nous a sensibilisés à ce genre de questions”, indique la marque sur le compte Twitter de Pépite Sexiste.
Politiquement incorrect
Face à ce déferlement, l’appel à un outil législatif fait son chemin. “Je confirme que, sans volonté politique, rien ne changera. Cela fait fort longtemps que je propose un amendement dans les lois sur les insultes ou sur le harcèlement parce qu’il est évident que ce l’on appelle le sexisme et tous les stéréotypes en langage et en images sont le terreau de toutes les inégalités. Pourquoi payer autant les femmes que les hommes quand celles-ci s’affichent à longueur de 4×3 avec des bouches et des cuisses ouvertes et offertes ?”, questionne Marie-Noëlle Bas. Au Royaume-Uni, un arsenal antisexiste a été imposé par l’Advertising standard authority. Par exemple, une publicité montrant un homme incapable de changer une couche ou une femme incapable de changer une roue de voiture tombe sous le coup de la loi. “Il a été nécessaire de légiférer pour proclamer qu’il n’existe pas de gène vaisselle”, s’amuse à contrecœur Christophe Manceau, directeur du planning stratégique de Kantar Division Media. Et en France ? Même si les lignes bougent, “malheureusement, rien

n’avancera ou alors de façon extrêmement lente, si l’on ne passe pas par un cadre législatif. D’ici là, le consommateur peut faire pression, notamment avec sa carte bancaire, pour accélérer le processus”, ajoute-t-il.
En attendant, de nombreuses marques montrent l’exemple en s’engageant, notamment, au travers d’organisations comme l’Unstereotype Alliance, un organisme créé à l’initiative d’ONU Femmes qui réunit une vingtaine d’entreprises du monde entier, comme P&G, Alibaba, Publicis, Google avec, pour ambition, d’aborder et d’éliminer les stéréotypes dans la publicité. En France, le programme FAIRe de l’Union des marques agit, lui aussi, pour une communication responsable (voir encadré). Le 6 mars 2018, suite à une enquête du CSA (voir encadré), une charte d’engagement volontaire pour agir contre les stéréotypes sexuels, sexistes et sexués dans la publicité a été signée par les agences et les annonceurs. En septembre dernier, l’AACC (Association des agences-conseil en communication) lançait un MOOC extrêmement bien fait sur les “Représentations sexistes dans la publicité” avec la participation d’un directeur et d’une directrice de création, d’une directrice RSE d’agence et de Marie-Noëlle Bas, présidente des Chiennes de Garde. Et toujours en septembre, est intervenue la signature de la charte pour une représentation mixte des jouets entérinée par le ministère de l’Économie, le CSA, l’UDA, la Fédération des Jouets-Puériculture, la FCD et des associations comme Pépite Sexiste. Reste à traduire ces premiers pas dans les stratégies des différents acteurs.
La “love brand” n’est pas universelle
Selon Christophe Manceau, directeur du planning stratégique de Kantar Division Media, quatre stéréotypes peuvent être remis en cause ou évoluer.

D’abord l’âge, un sujet qui reste encore en dehors des réflexions en matière d’inclusivité. “D’un seul coup, dès 40/50 ans, les messages publicitaires ne concernent plus vraiment cette partie de la population. Or, la moitié de la société a plus de 50 ans”, s’étonne Christophe Manceau qui n’est “pas un fervent défenseur de la segmentation générationnelle de type 15-24 ans, comme on l’a connu, tout simplement parce qu’aujourd’hui les frontières sont extrêmement plurielles et changeantes. Il ne faut plus penser les générations dans des communautés, mais penser des communautés de génération”. Parce que, finalement, qu’est-ce qu’un millennial, qu’est-ce qu’un senior au-delà des clichés véhiculés ? À l’encontre des stéréotypes où les plus âgés seraient relégués au tricot, à faire de la soupe et voyager en autocar, de nouvelles appellations transversales, moins clivantes, voient le jour. À l’image des “selennials”, des personnes “silver” avec des

comportements de “millennials”. Un stéréotype de plus ?
Vient ensuite la notion des masculinités et féminités plurielles. “Le temps du bel éphèbe que l’on a connu dans les années 80/90 et, surtout, du porno chic où la femme était reléguée au rang d’objet tandis que l’homme régnait en mâle alpha est révolu. Les marques en prennent peu à peu conscience”, ajoute Christophe Manceau. Selon lui, les stéréotypes liés à la religion doivent aussi être bousculés : “On a vu, par exemple, le scandale déclenché par Decathlon lorsque l’enseigne a proposé de commercialiser des hijabs”, précise-t-il.
Enfin, la marque doit désormais prendre des positions fortes en matière d’engagement sociétal. S’il existe des sujets universels qui suscitent une adhésion globale, comme le bien-être animal, d’autres tendances sont plus sensibles, ce qui veut dire que “la marque va devoir cliver. La “love brand” ne pourra pas être universelle”, prévient Christophe Manceau.
Prendre position, faire sens
Et les marques prennent ces risques. De façon calculée. Sous divers angles. “Elles ont compris l’impact négatif et excluant de certains stéréotypes quand l’égalité devient un thème social et politique incontournable”, souligne Christophe

Manceau. On assiste, ainsi, à une inversion des rôles dans les représentations de ce que doit être le masculin et le féminin. Chez Leroy-Merlin, la femme sort du segment de la décoration pour s’attaquer aux gros travaux. Chez Alsa, un papa fait des gâteaux avec ses enfants. De son côté, Ariel avec sa campagne #PartageDesTâches (voir encadré), lancée initialement en Inde, où la structure patriarcale est puissante, sous le thème “les papas sont pour le partage des tâches”, a permis d’attirer l’attention sur ce défi, puis de décliner un spot spécifiquement conçu pour le marché français.
Les marques s’engagent, aussi, sur le terrain de l’égalité raciale et politique. C’est ce qu’a fait, par exemple, Nike avec sa campagne “Taking a knee” qui a remporté l’Emmy de la meilleure publicité en septembre 2019, un an après sa sortie. Le film, en noir et blanc, met en scène l’ex-joueur de football américain, Colin Kaepernick, figure de la résistance afro-américaine aux États-Unis, qui avait décidé, au moment de l’hymne national, de s’agenouiller pour protester contre les violences policières exercées à l’encontre des Noirs américains.
Cette polarisation prend corps, aussi, sur le terrain des féminités et masculinités plurielles. Dove a été l’une des premières marques à représenter les femmes dans leur diversité. De son côté, Marc Jacobs a lancé une collection de vernis à ongles pour hommes. Récemment, le manifesto de Gillette avec sa campagne “We Believe” (voir ci-dessous) incite les hommes à repenser leur masculinité de façon positive. Avec sa campagne “Viva la vulva” (voir ci-dessous), Nana sort de son périmètre classique et encourage les femmes à adopter une attitude positive à l’égard de leur vulve, en combattant les mythes, incertitudes et stéréotypes auxquels elles sont confrontées. “C’est quand même la première marque à dire et montrer que les règles ne sont pas bleues. Cela paraît hallucinant en 2019”, souligne Christophe Manceau. Et cela ne fait pas que des émules à voir le nombre de saisines (plus de 1 000) et de plaintes (400) déposées auprès du CSA. Les stéréotypes sont des mécanismes fortement ancrés qui forment une sorte de carapace pour certaines personnes. Remettre en cause une certaine vision de la masculinité et de la féminité peut-être dérangeant pour elles.
Être cohérent, transparent et authentique
“Les marques ne font pas dans l’œcuménisme, reconnaît Christophe Manceau. Elles sentent, effectivement, une lame de fond importante née de cette volonté de changement de mentalités. Ce sont autant de nouveaux consommateurs à aller

chercher”. Avec, toutefois, des prérequis. “Les marques doivent s’engager dans ce combat à condition d’être en accord avec leur sujet, prévient-il. On peut très bien coupler le sociétal et le marketing et montrer que, parfois, la marque, en toute cohérence, déborde de son cadre classique, s’engage fortement en relayant et suppléant un certain nombre de causes, quitte à perdre, peut-être, quelques consommateurs et consommatrices. Mais celles et ceux qui resteront derrière cette marque en seront des ambassadeurs fervents”, précise-t-il.
Attention, donc, à “ne pas tomber dans l’opportunisme et à rester cohérent, transparent et authentique”, insiste Christophe Manceau. Exemple : dans leur volonté de s’engager pour promouvoir l’égalité et la déconstruction des stéréotypes, certaines marques produisent des messages sur-stéréotypés contre-productifs alignant des représentations inversées, en mettant en scène une surreprésentation des minorités qui en deviennent clichés, en renversant les rôles de manière maladroite où les hommes s’excusent auprès des femmes et promettent de les aider dans leurs tâches ménagères, en substituant la domination des femmes à la domination des hommes.

Opérant, ainsi, un renversement du modèle et contribuant à la persistance du sexisme et des stéréotypes. Comme l’a souligné à l’ONU Emma Watson, en 2014, pour l’égalité des sexes, les femmes ont besoin d’alliés, les hommes. Au hashtag #HeForShe, les hommes avaient répondu #HowIWillChange. Dans le Mooc de l’AACC, Mélanie Pennec, directrice de création chez DDB Paris, nous dit que “les campagnes les plus intéressantes sont celles où la question du genre et des stéréotypes ne fait pas partie de la problématique centrale. C’est plus intéressant quand on nous raconte des choses normales, vraies, des histoires où, l’air de rien, une femme conduit une voiture et un papa s’occupe de sa fille”. Quand, finalement, les stéréotypes poussiéreux s’autodétruisent laissant naturellement la place à des représentations positives.

Ariel
Partage des Tâches
#ZOOMCAMPAGNE
Utiliser sa visibilité en publicité pour générer des discussions et faire évoluer les comportements. C’est l’engagement pris par Ariel (P&G) avec sa campagne #Partagedestâches. Lancée en 2018 en France (dès 2016 en Inde) pour inciter les parents à montrer l’exemple aux futures générations, la campagne se poursuit cette année avec de nouveaux spots télévisés en novembre. Pour l’occasion, une nouvelle enquête sociétale, réalisée par Ipsos, a été menée sur la répartition des tâches ménagères sous le regard croisé des parents et des enfants. Le constat est clair : les stéréotypes ont la vie dure et se transmettent de génération en génération. Exemple : si pour 49 % des couples, le partage des tâches n’est plus vraiment un problème, 60 % des enfants âgés de 8 à 16 ans estiment que c’est leur mère qui en fait plus à la maison et 85 % associent la lessive à leur maman. Mieux : 40 % des garçons pensent que, plus tard, c’est leur conjointe qui s’occupera de la lessive !
Il est donc urgent de “promouvoir l’idée qu’il n’y a plus d’excuses pour ne pas partager les tâches ménagères et que partager les tâches aujourd’hui, c’est aussi donner l’exemple en matière de comportements à transmettre à la prochaine génération”, souligne-t-on chez P&G. La campagne Ariel a généré plus de 550 millions d’impressions en 2018. Après 6 semaines, “la publicité télévisée a marqué 50 % des esprits, un résultat habituellement obtenu après 3 mois avec des messages plus traditionnels”, ajoute le porte-parole de P&G.
Cette année, Ariel s’est associée à Marie-Laure Monneret, fondatrice de Bloom Coaching pour développer des outils permettant aux couples de mieux répartir les tâches. La marque s’est aussi associée à l’Adosen dans le cadre de sa campagne “Stéréotypes, Stéréomeufs” qui intervient en milieu scolaire pour déconstruire les stéréotypes de genre en questionnant les schémas dans lesquels les élèves évoluent au quotidien. “Les campagnes d’Ariel s’inscrivent dans le temps et continuent à faire évoluer la société petit à petit. C’est une marque qui utilise sa force de frappe à grande échelle pour créer un impact au-delà du simple produit qu’elle commercialise. Promouvoir l’égalité homme/femme est un choix citoyen et pertinent pour les consommatrices et consommateurs. Nous avons la responsabilité de faire bouger les lignes et de montrer l’exemple sur ces sujets”, conclut-on chez P&G.
Pub télé
Hommes experts, femmes sexualisées
En 2017, le Conseil supérieur de l’audiovisuel publiait une étude sur la représentation des femmes dans les publicités télévisuelles. Sur les 2 055 publicités télévisées visionnées sur les 24 chaînes sélectionnées, le CSA constate que :
► Présence inégale. Les hommes sont davantage mis en scène que les femmes (54 % vs 46 %) alors même qu’elles représentent, selon l’Insee, 52 % de la population française.
► Secteurs genrés. Les femmes sont majoritairement représentées dans les publicités concernant l’entretien du corps (63 %), l’habillement/parfumerie (57 %), les loisirs (56 %) ainsi que les produits médicaux et paramédicaux (55 %). À l’inverse, les hommes sont davantage mis en scène dans les publicités relatives aux jeux d’argent (78 %), à l’automobile (64 %), à l’assurance/banque (59 %), la technologie/le numérique (58 %), les services (56 %), l’alimentation/distribution (54 %). En revanche, les hommes et les femmes sont représentés de manière égale dans les publicités portant sur les jeux/jouets (50 %).
► Expertise à sens unique. Les rôles d’experts sont presque exclusivement occupés par des hommes (82 % vs 18 % d’expertes). Les femmes n’interviennent en tant qu’expertes à plus de 50 % que dans deux catégories : entretien du corps (56 %) et habillement/parfumerie (100 %).
► Sexualisation. 82 publicités sur les 2 055 visionnées mettent en scène une sexualisation des personnages féminins (67 %) et masculins (33 %). Les secteurs de l’habillement/parfumerie (53 %), de l’alimentation/distribution et de l’automobile (16 %) sont ceux qui ont le plus souvent recours à une représentation sexualisée des femmes.
► Alimentation/distribution. hommes experts, femmes consommatrices – Ici, les rôles d’experts sont presque exclusivement occupés par des hommes (85 % comme personnages principaux et 89 % comme personnages secondaires). Dans les personnages principaux féminins, les femmes sont à 66 % des consommatrices, à 3 % expertes et occupent à 31 % un rôle esthétique ou inactif. À noter : c’est la seule catégorie dans laquelle les femmes sont davantage représentées que les hommes… autrement dit, les personnages occupant des rôles esthétiques ou inactifs sont en majorité des femmes, que ce soit dans le cadre d’un rôle principal (54 %) ou secondaire (47 %). Quant à la sexualisation des personnages féminins, la catégorie alimentation/distribution affiche le deuxième taux le plus élevé (16 % vs 7 % pour les hommes). Une sexualisation généralement associée à la gourmandise et au plaisir de la dégustation d’un produit. Ainsi, note le CSA, “dans cette catégorie, les femmes sont souvent cantonnées aux rôles de consommatrices – quand elles n’occupent pas un rôle esthétique ou inactif – tandis que les hommes possèdent le savoir-faire. D’autre part, dans ce rôle de consommatrices, les femmes sont caricaturales en ce qu’elles manifestent un plaisir intense à la dégustation, voire une sensualité marquée”.
► Entretien du corps (secteur Hygiène-beauté). Les femmes, premiers rôles esthétiques – Les rôles principaux sont occupés à 75 % par les femmes. Mais la répartition au sein de ces personnages principaux est édifiante : 91 % des femmes occupent un rôle esthétique ou inactif (vs 9 % d’hommes), 64 % des consommateurs sont des femmes et 100 % des experts sont des hommes. Du côté des rôles esthétiques ou inactifs ne s’inscrivant ni dans un premier, ni dans un second rôle, on constate que les hommes sont presque autant représentés que les femmes (46 %). “Les publicités relevant de cette catégorie de produits mettent, en effet, principalement en scène le corps des femmes sous le regard de personnages masculins, contribuant, ainsi, à la réduction de ces dernières au rang d’objets esthétiques”, note le CSA.
► Habillement/parfumerie. Femmes consommatrices, objets de désir, voire potiches – Les personnages principaux sont occupés par des femmes à 62 % ; une seule femme experte pour aucun homme (100 %) ; 63 % de consommatrices et 40 % de femmes avec un rôle inactif (vs 60 % d’hommes). La sexualisation et la nudité partielle ou totale des personnages est très présente : 69 % et 55 % des publicités concernent des personnages féminins. Le CSA note que les publicités relatives au parfum sont particulièrement emblématiques : mises en scène reposant majoritairement sur la nudité et sur la sexualisation des personnages féminins, tandis que les hommes sont spectateurs.

Gillette
We Believe
En s’attaquant à la “masculinité toxique” dans sa campagne “We Believe” en janvier dernier (33 millions de vues), Gillette fait bouger les lignes. Mais suscite, aussi, une vive polémique sur les réseaux sociaux, de nombreux hommes se sentant attaqués, insultés, culpabilisés par la marque, jurant parfois de la boycotter. Il y a ceux qui estiment que Gillette enferme tous les hommes dans un stéréotype (#notallmen), ceux qui se sentent agressés et dénigrés (#menartrash), ceux qui ont l’impression que l’on s’attaque à leur virilité, ceux qui accusent la marque de les culpabiliser en menant une campagne féministe, ceux qui plébiscitent la campagne et deviennent, parfois, aux yeux des premiers des “sjw” pour “social justice warriors”, terme relativement péjoratif pour désigner les personnes qui défendent de manière jugée excessive des causes sociales dites progressistes. Et il y a certaines femmes qui revendiquent vouloir “des hommes,

des vrais, virils et protecteurs”. Dans le spot publicitaire, pas de rasoirs. Mais sur fond de mouvement #MeToo, Gillette interroge les hommes sur leurs comportements en insistant sur le harcèlement, la représentation des rôles attribués à chacune et chacun et en se jouant des stéréotypes. Un univers où les garçons se bagarrent – ce sont juste des garçons disent les pères – sous peine d’être mis à l’écart et harcelés par leurs camarades ; où les ados subissent de plein fouet les images sexistes banalisées et véhiculées par la télévision (pin-up d’un dessin animé, rap hyper sexualisé, animateur d’émission mettant la main aux fesses d’une femme quasi déguisée en soubrette qui fait mine d’apprécier sous le regard hilare des spectateurs en adhésion complète…) ; où les femmes se font siffler et suivre dans la rue ; où ces stéréotypes si ancrés finissent par ressurgir naturellement lors d’une réunion professionnelle, quand un homme, debout, pose sa main sur l’épaule d’une femme, assise, d’un geste qui se veut à la fois paternaliste, protecteur, supérieur… à l’heure du sexisme bienveillant. Gillette pose la question, s’appuyant sur son slogan historique “is this “The best a men can get” ? – Est-ce vraiment le meilleur qu’un homme puisse espérer ?”. La marque répond non en transformant sa baseline en “The best a man can be” – ce qu’il y a de meilleur dans un homme – et appelle chacun à adopter une attitude positive. “Certains le font déjà, souligne la voix off, c’est géant, mais ce n’est pas suffisant. Parce que les garçons qui sont spectateurs de cela aujourd’hui, seront les hommes de demain”, le tout sur fond d’images où l’on voit des hommes intervenant en cas de harcèlement de rue, d’attitudes sexistes, de bagarres entre garçons, en éduquant filles et garçons dans le respect de l’autre.
Un bilan positif
“En tant que marque devenue synonyme d’hommes et de masculinité au fil des générations, Gillette utilise sa voix pour promouvoir une vision plus moderne et positive de ce que signifie “être un homme” aujourd’hui”, indique-t-on chez P&G. Si le spot a souvent été perçu comme maladroit et créé une polémique, il a surtout fait bouger les lignes. Buzz ou bad buzz, la marque a réussi son coup. “Nous pensons qu’en suscitant la discussion, nous pouvons jouer un rôle en faveur de changements significatifs et positifs”, ajoute le porte-parole de P&G. Des études indépendantes menées aux États-Unis attestent que le message du film a été bien accueilli par l’ensemble des consommateurs (hommes et femmes) avec un bilan très positif auprès des plus jeunes : 84 % des femmes et 77 % des hommes interrogés par Perksy (moins de 35 ans) émettent un avis positif ou neutre. 65 % des personnes interrogées par Ace Metrix ont déclaré que cette publicité leur donnait envie ou très envie d’acheter des produits Gillette. De son côté, Morning Consult (population adulte) a relevé qu’avant de visionner le film, 42 % des consommateurs partageaient les valeurs de la marque. Ils étaient 71 % après. De fait, Gillette indique que, depuis cette campagne, la catégorie “rasage” a augmenté au niveau mondial ses ventes pendant deux trimestres consécutifs, dont + 4 % en avril, mai et juin 2019. “Nous comptons 15 millions de nouveaux utilisateurs de la marque au cours des 12 derniers mois, et nous avons augmenté nos ventes et nos abonnés sur notre activité site de vente en ligne aux États-Unis tous les mois depuis la sortie du film”, souligne P&G. Du washing Gillette ? En mai dernier, la marque a réitéré son positionnement pour une masculinité positive avec sa campagne “Premier rasage” publiée sur Facebook où l’on voit un père apprendre à son fils transgenre à se raser pour la première fois. “Ce n’est pas seulement moi qui fait ma transition, nous dit Samson, tout le monde autour de moi fait sa transition”.
Nana
Viva la vulva
Le verdict est tombé. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a estimé, le 5 novembre, que la publicité “Viva la vulva” de Nana, qui montre des vulves de manière métaphorique, répond aux exigences de décence et ne présente pas de

manquements à la loi. Cette campagne très esthétique et engagée avait déclenché la colère de nombreux téléspectateurs estimant qu’elle montre “une image dégradante de la femme”, qu’”elle est choquante aux yeux de tous et surtout aux yeux des plus jeunes téléspectateurs”. Censurée par les réseaux sociaux Instagram et Facebook, le spot publicitaire a fait l’objet d’un millier de saisines auprès du CSA. Une pétition demandant son retrait avait même obtenu près de 15 000 signatures. C’était sans compter sur la mobilisation des défenseurs de la marque de protection d’hygiène féminine mobilisés sur les réseaux sociaux à coups de retweets et de hashtags, défendant le message de Nana qui encourage le femmes à adopter une attitude positive et saine à l’égard de leur vulve, en combattant les mythes, incertitudes et stéréotypes auxquels les femmes sont confrontées. “Chez Nana, nous sommes convaincus qu’il est important de parler ouvertement, en toute simplicité et sans tabou, du corps de la femme et la vulve en fait partie”, explique Marine Fabre, responsable marketing. La marque avait déjà cassé les codes avec sa campagne BloodNormal en représentant, pour la première fois, le sang rouge des règles et non un liquide bleu. Lancée en novembre 2018 pour la marque Libresse (groupe Essity) dans les pays nordiques, la campagne “Viva la vulva” a reçu plus de 60 prix en 2018-2019
dont six Lions d’Or aux derniers Cannes Lions, le festival international de la créativité publicitaire. La marque Nana a, ensuite, diffusé le spot publicitaire en France, dès septembre dernier avec, en préambule, une exposition pour continuer de libérer la parole. Une approche pédagogique visant à décomplexer et réconcilier les femmes avec leur vulve : 62 % d’entre elles ne savent pas la définir correctement ; 51 % estiment que la société exerce une pression sur l’apparence que devrait avoir une vulve. “C’est en fournissant au public une représentation positive des vulves que nous briserons le tabou qui les entoure”, ajoute Marine Fabre. Le film (adapté à la télévision dans un format de 30 secondes) célèbre, ainsi, la diversité des vulves – il n’y a pas de vulve parfaite – au travers de représentations artistiques et symboliques (fruits, origami, mode, gâteaux, objets du quotidien), le tout sur un ton léger, allégorique et en chansons.
Naturalia
Bio de haut en bas
L’enseigne bio le clame elle-même : sa campagne de sensibilisation sur le bien-être intime des femmes est culottée. Du 2 octobre au 14 novembre, l’enseigne mène une campagne d’affichage déclinée en 5 affiches à Paris et région parisienne, Lyon, Strasbourg, Nice et Marseille. Une façon pour elle de prendre la parole en sortant le bio du rayon alimentaire pour soutenir ses produits d’hygiène féminine. “Faire attention à ce que l’on mange est essentiel, faire attention à ce qui touche l’intimité des femmes tous
les mois est primordial, choisir des produits plus respectueux est une garantie supplémentaire. La campagne réaffirme notre triple expertise #biodehautenbas”, souligne Sidonie Tagliante, directrice marketing et communication de l’enseigne. Sauf que, contrairement à la campagne de “Viva la vulva” by Nana, celle-ci ne fait pas l’unanimité. Pourtant, là aussi, le langage publicitaire affuble le sexe féminin de comparaisons fruitées inexistantes dans le quotidien ou connotées négativement dans un registre très masculin. Quelle femme parle de son sexe en disant “ma figue” ou “mon abricot” ? Sauf qu’ici, pas de poésie métaphorique où les femmes expriment leur libre ressenti. La campagne Naturalia offre aux regards 5 affiches de femmes morcelées, sans tête. La femme n’a pas de visage, pas de regard. “Cadrer avec la tête, c’est si difficile ?”, questionne Marie-
Noëlle Bas, présidente des Chiennes de Garde. Quatre de ces affiches montrent des corps tronçonnés de face, la femme habillée d’un tee-shirt et d’une culotte tenant un fruit (abricot, prune, amande, figue) devant son sexe. Quatre messages sont délivrés en employant – à dessein ? – une formulation intrusive. Exemple : “On ne met pas de produits chimiques dans nos
figues, ce n’est pas pour en mettre dans la vôtre”. La 5e affiche livre une femme de dos, vêtue d’une culotte échancrée, avec le message suivant : “Si vous chassez les OGM de votre frigo, ce n’est pas pour les retrouver dans votre culotte”. Pourquoi cette 5e affiche plus sexuée, sans cohérence avec les autres ? N’y avait-il plus de stéréotypes de fruits à faire porter à ces femmes sans tête ? Malgré une certaine maladresse, la campagne partait certainement d’un bon sentiment, même si l’on ne comprend pas forcément pourquoi elle n’a pas soulevé les mêmes protestations – et c’est tant mieux – de la part des personnes qui ont été choquées par le film “Viva la vulva” by Nana, la nudité et les stéréotypes affichés en 4×3 dans les espaces publics étant beaucoup plus présents.
Stéréotype, marketing genré…
D’où venez-vous ?
Quand les préjugés apparaissent, le stéréotype n’est pas loin. Le terme, inventé par l’imprimeur français Didot en 1798, décrivait, à l’origine, un processus d’imprimerie permettant de créer des reproductions. Puis, le journaliste Walter Lippman, en 1922, compara les stéréotypes à des “images dans la tête” ou des reproductions mentales de la réalité. Graduellement, le terme devint synonyme de généralisations ou, plus souvent, de surgénéralisations, par rapport aux membres d’un groupe. Tout comme les préjugés, ils peuvent être positifs (exemple, les femmes sont maternelles) mais, la plupart du temps, ils sont négatifs et persistants. Des stéréotypes concernant la race, le genre, le sexe, la religion, l’orientation sexuelle, le classisme ou l’âge restent malheureusement très répandus.
Le marketing genré s’appuie sur des stéréotypes de genre en générant des codes qui parlent aux hommes ou aux femmes, de façon directe et segmentante. Il s’appuie sur des références culturelles connotées par tel ou tel genre, le genre n’étant, selon la philosophe américaine, Judith Butler, qu’”une construction culturelle”. Il permet(tait), souvent, de générer davantage de revenus… Exemples : rose pour les filles, bleu pour les garçons ; langage de puissance, de performance, de virilité, d’expertise… pour les hommes chefs de famille ; paillettes, esprit “girly”, séduction (vu sous le prisme du désir masculin), charge mentale, domaine du soin… pour la ménagère de moins de 50 ans.
Et le rose et le bleu dans tout ça ? Et bien avant c’était l’inverse. Jusqu’au Moyen Âge, les vêtements blancs étaient la norme pour les deux sexes jusqu’à l’âge de 6 ans. Le bleu, aux pigments très coûteux, débarque dans le monde occidental. On choisit alors de l’attribuer pour représenter les personnages les plus sacrés. Il devient la couleur divine de la Vierge Marie et la couleur féminine, tandis que le rose (rouge pâle) est un symbole de virilité et de pouvoir (jusqu’à ce que la marquise de Pompadour lui ouvre les portes de la Cour à Versailles). Le bleu fait son entrée en politique avec Saint Louis qui veut se placer sous la protection de la Vierge Marie. Puis le bleu passe des lys sur fond bleu aux armoiries, à la cocarde, au drapeau, aux uniformes. En 1930, on commence à habiller les petits garçons en bleu (source : Bleu, histoire d’une couleur, Michel Pastoureau, éditions du Seuil, 2014).
L’UDA contre les stéréotypes
Appel à candidatures
En janvier 2018, l’Union des marques lance le programme volontaire FAIRe, aujourd’hui signé par 36 entreprises (*). Articulé autour de 15 engagements, il a pour but d’accompagner les annonceurs et leurs parties prenantes dans une démarche de progrès et de responsabilité. L’un des engagements consiste à repérer et réduire les stéréotypes récurrents dans leurs communications (stéréotypes de genre, d’âge, d’origine…). Un groupe de travail constitué de signataires et de parties prenantes externes (dont Pépite Sexiste) a élaboré une grille de lecture pour aider les marques et leurs agences dans la conception de leurs campagnes. En parallèle, l’UDA organisait la 1ère édition du Challenge REPRESENTe placé sous le thème de la lutte contre les stéréotypes. Le jury, présidé par Sylvie Pierre-Brossolette, ancienne conseillère du CSA et membre de la Fondation des femmes, a choisi de récompenser la campagne “#PartageDesTâches” d’Ariel (P&G), signée Leo Burnett et d’attribuer un coup de cœur à la FDJ pour sa campagne “Pour chaque femme, le sport est une chance”. Benjamin Binot, vice-président et DG de P&G France & Benelux, exprimait, alors, l’engagement “du groupe depuis plus de dix ans, notamment avec les campagnes Always like a girl” ou, plus récemment, Gillette “The best a man can be”. La communication engagée n’est pas une option. Aujourd’hui, 90 % des consommateurs demandent aux marques d’être engagées sur les questions de société et d’environnement”. Cette année, l’UDA réitère son Challenge REPRESENTe destiné à valoriser les bonnes pratiques mises en place par les marques pour lutter contre les stéréotypes dans leurs communications, qu’elles soient ou non signataires de la charte ou adhérentes.
Les éléments de candidature doivent être envoyés avant le 22 novembre. Les marques présélectionnées seront invitées à pitcher leur initiative le 13 décembre devant un jury. Et les lauréats seront dévoilés le 31 janvier 2020, lors de l’événement annuel de l’UDA.
(*) dont Bel, Citeo, Coca-Cola, Danone, Ferrero, Galeries Lafayette, Lesieur, L’Oréal, Mars, P&G, Unilever, Yves Rocher…
Pépite Sexiste Stéréotypes 2.0
Campagnes TV, affiches, produits et marketing genrés, catalogues, promotions, taxe rose… Depuis un an et demi, Pépite Sexiste repère chaque jour les stéréotypes et le sexisme véhiculés par le marketing et la publicité et interpelle les marques sur les réseaux sociaux. Une démarche initiée en mars 2018 sur Twitter, puis très vite sur Facebook et Instagram, par Marion Vaquero, 27 ans, diplômée en marketing international et restée anonyme jusqu’à il y a peu. Très vite, la machine s’emballe. Chaque jour, elle reçoit des messages de ses abonnés (près de 50 000 aujourd’hui sur Twitter) qui lui envoient des pépites. “Je n’avais plus le temps. J’étais seule à gérer ce flux de pépites”, avoue Marion Vaquero. Il y a quelques mois, l’initiative se transforme en association qui regroupe, aujourd’hui, une quinzaine de bénévoles sur des thématiques différentes. Un site Internet devrait également voir le jour prochainement pour répondre aux demandes d’étudiants, de professeurs ou de professionnels qui pourront trouver, en libre accès, l’ensemble des informations recueillies par l’équipe… toutes les pépites n’étant pas publiées sur les réseaux sociaux.
• Quel est l’objectif de votre association ?
Notre but est de rassembler cette communauté pour montrer aux marques que toute une partie de la population voudrait un marketing plus responsable, plus éthique, plus moderne. Nous interpellons les marques avec humour afin de ne pas nous positionner en tant que censeur et nous sensibilisons à la lutte contre le sexisme et les stéréotypes véhiculés par le marketing au sens large. Ce sont des stéréotypes insidieux. En soi, une pépite, prise individuellement, peut paraître anodine, mais c’est l’accumulation qui crée le biais. Nous ne nous considérons pas comme l’ennemi des marques, mais davantage comme une aide afin que leur marketing évolue. Je dirais que dans 99 % des cas, elles répondent, s’excusent en disant que cela ne correspond effectivement pas à leurs valeurs et retirent la pépite en question.
• Vous avez signé la charte pour une représentation mixte des jouets, quelles sont vos prochaines priorités ?
Il y a grand travail à faire sur la charge mentale qui continue de peser exclusivement sur les femmes. Nous y avons d’ailleurs consacré un “thread” spécial sur Twitter. Les mamans recommandent des produits partout, de la lessive à la nourriture, aux peignes anti-poux en passant par la gestion des coliques, tous les produits pour bébé, les jouets comme le séchoir à linge “pour faire comme maman”, les injonctions de loisirs pour mamans débordées, les meilleurs accessoires pour une maman sereine… Où sont les papas ? C’est comme s’ils n’existaient pas ! Jusqu’ici, les services marketing ne se posaient pas vraiment la question. En estimant être un miroir de la société, ils oublient que le marketing normalise certaines valeurs, certains comportements, certains standards, une certaine idée de ce que doit être la masculinité et la féminité. Une prise de conscience est en train de naître. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai créé Pépite Sexiste. Pour montrer que les consommateurs sont prêts – et demandent – à ce que les représentations bougent, à voir plus de pères prendre en charge les tâches ménagères et à s’occuper des enfants dans les publicités. Je pense aussi à la taxe rose, et plus rarement aux taxes bleues. Je sais que cela n’a pas été prouvé. Mais dès que l’on mentionne une pépite sur ce sujet, mis à part quelques distributeurs qui ne répondent pas, le plus souvent, des modifications sont apportées. C’est souvent dû à une erreur d’affichage. Je pense que, de toute façon, sans marketing
genré, la taxe rose n’existerait pas. Les distributeurs n’ont pas voulu le rajouter dans la charte pour les jouets. Tant pis. Mais globalement, je suis contre le marketing ciblé qui enferme chacun dans des stéréotypes. C’est justifiable au niveau marketing, mais pas excusable. C’est un cercle vicieux.
• Quelles seraient les solutions ?
On nous dit souvent que ce n’est pas au marketing de changer le monde. Mais comme nous consommons des dizaines de publicités chaque jour, c’est là que l’on crée nos biais, que l’on comprime notre vision du monde. Et notre association n’est qu’un pansement sur la blessure. Nous souhaitons que cette lutte contre les stéréotypes soit intégrée très en amont dans les stratégies marketing. On le voit pour tout ce qui concerne la responsabilité sociétale des entreprises avec le développement durable ou le bien-être au travail. Notre recommandation serait donc que cette notion de RSE s’applique aussi aux stratégies marketing dans la lutte contre les stéréotypes et pas uniquement au niveau des RH ou du cycle de vie d’un produit. Mais il est clair que la déconstruction des stéréotypes ne se fera pas en un claquement de doigts. Progressivement, sous l’envie de changement portée par les consommateurs et les consommatrices, les marques s’adapteront.
• Elles font des efforts déjà… Je pense que cela va bouger, que l’on ne pourra pas revenir en arrière…
Oui, je le pense aussi. Et on en fera un musée et les enfants pourront en rire…