Construire une prévision de vente juste n’est pas un art divinatoire mais nécessite de prendre des hypothèses valides, d’appliquer des méthodes appropriées et d’avoir une démarche rigoureuse et collaborative.
D’abord, déterminer les éléments qui influencent la prévision : les facteurs endogènes propres à chaque produit (cycle de vie, saisonnalité, activité promotionnelle…), les facteurs exogènes (environnement concurrentiel, météo …). Ensuite, extrapoler les ventes passées à partir de modélisations plus ou moins sophistiquées. Enfin, affiner la prévision par une approche plus qualitative, basée sur l’expérience des acteurs (connaissance de l’évolution du marché, phénomènes de cannibalisation…).
Dernièrement, les technologies d’intelligence artificielle ont révolutionné le calcul des prévisions : Les outils de dernière génération – Demand Sensing- qui embarquent ces technologies sont capables de fournir des prévisions court terme fiables, grâce à leurs algorithmes différenciés par produits, qui s’améliorent dans le temps, et prennent en compte en temps quasi réel de multiples critères exogènes.
L’Oréal, par exemple, peut aujourd’hui identifier à partir de la performance d’une vidéo Youtube postée à Séoul, une augmentation de la demande les jours suivants … à Paris. Les réseaux sociaux affectent le comportement des consommateurs et amplifient et accélèrent les variations des ventes via deux mécanismes : un effet quantitatif d’augmentation de la notoriété (plus un article est cité, plus il est visible pour les clients), et un effet qualitatif d’entraînement (commentaires positifs d’autres membres du réseau).
Les outils de demand sensing prennent en compte ces mécanismes dans leurs modèles de calcul : la volumétrie des interactions associées aux produits (nombre de like, partages, commentaires) et, grâce à l’utilisation de techniques de « natural language », une caractérisation de l’option émotionnelle dominante (négative, neutre, positive) des commentaires. Des expérimentations ont montré que cette prise en compte permet d’améliorer de 30 à 50% la qualité des prévisions de vente.
Longtemps, les compétences demandées aux prévisionnistes ont été la rigueur, la capacité d’analyse, la force de conviction, complétées par une aisance dans la manipulation des données et l’utilisation des modèles statistiques. Mais ce n’est plus suffisant. L’enjeu pour les prévisionnistes aujourd’hui est de comprendre et de savoir utiliser ces algorithmes qui s’apparentent à des “boîtes noires” complexes.
Dans ce contexte, avons-nous besoin d’un Prévisionniste où d’un Data Scientist ? Le Data Scientist est un expert hyper spécialisé ; spécialiste des données, il a une parfaite connaissance des méthodes d’administration de la donnée et créé des modèles prédictifs. Il a des compétences en Intelligence Artificielle, machine learning, BIG DATA. Il analyse la qualité des prévisions, identifie les écarts, les causes, définit les corrections à réaliser dans les modèles pour fiabiliser la prévision.
La différence majeure est qu’un Data Scientist possède un profil d’esprit probabiliste. Les Prévisionnistes sont plutôt à l’aise avec l’ambiguïté, les Datas Scientist, peuvent traduire cette ambiguïté en code, modifier l’algorithme, pour obtenir une prévision plus fiable. Le Prévisionniste est-il alors destiné à être remplacé par le Data Scientist? Non, nous considérons les Data Scientist et Prévisionnistes avec des rôles complémentaires dans l’élaboration d’une prévision fiable.
Le Data Scientist en charge des données et modèles, le prévisionniste des évènements et processus métiers. Le Data Scientist, focus sur le développement du modèle de prévision basé sur les données qu’il mettrait à disposition du prévisionniste. Ce dernier utilisant ce modèle pour traiter les hypothèses avec les parties prenantes. Animateur du processus prévision dans l’entreprise, il capte des nouveaux événements à prendre en compte (performance plus forte d’une promotion future renforcée par une campagne marketing, …) et les transmets au Data Scientist. Ajustement du modèle et animation du processus contribueront ensemble à améliorer la qualité de la prévision.
Quel est l’avenir de ces deux fonctions ? Un esprit probabiliste semble plus facilement accessible à un esprit ambigu, que l’inverse. Le prévisionniste peut, à partir de son esprit scientifique, sa capacité à admettre l’erreur comme source d’apprentissage, développer des compétences en base de codage et progressivement acquérir les compétences d’un Data Scientist. Il pourrait ainsi traduire un élément de l’activité dans le modèle de calcul des prévisions ; un “prévisionniste augmenté” en quelque sorte.
Par Franck Daga, senior manager chez Square et Emmanuelle Rouot, senior manager chez Square