Trop souvent encore, la livraison n’est pas suffisamment intégrée à la stratégie et aux investissements de la restauration. Adopter cette attitude, c’est courir le risque de ne pas capter toute sa valeur
La France n’a pas été pionnière dans la livraison de repas à domicile. Chez nous, pas de Kin-Chu Café qui, à Los Angeles, livrait dès le début des années 1920 du porc Moo Shu. Pas de frères Monaghan qui, dans les années 1960, bâtissaient le succès de Domino’s Pizza sur la livraison, assurée en Coccinelle s’il vous plaît… Il faut attendre 2015 et 2016 pour que les grandes plateformes comme Deliveroo ou Uber Eats arrivent en France. Elles se sont donc implantées sur un marché qui n’avait pas la même culture de la livraison que les États-Unis, face à des restaurateurs plutôt dubitatifs et qui craignaient que ces plateformes ne leur fassent perdre le lien direct avec les consommateurs en intermédiant la relation, perdant ainsi le contrôle sur la qualité de l’expérience.
Le boom de la livraison
La crise sanitaire de la Covid-19 a bouleversé le marché de la livraison. Les volumes ont progressé de façon spectaculaire et les plateformes de livraison se sont imposées comme des acteurs clés du marché de la restauration. Pour mémoire, selon les études de Food Service Vision, près d’un consommateur sur deux s’est fait livrer un repas en 2022, la livraison représente un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards d’euros, elle est pratiquée par 43 000 restaurateurs indépendants et 8 800 restaurants chaînés.
Est-elle pour autant traitée par la restauration avec le niveau de sérieux et de technicité qu’imposerait la part qu’elle prend dans son chiffre d’affaires ? Ce n’est pas si sûr. Dans bien des cas, la livraison n’est pas suffisamment intégrée à la stratégie et aux investissements de la restauration. Il se développe même un sentiment diffus de fin de l’âge d’or. Certaines marques reconsidèrent même le niveau de leur engagement sur les grandes plateformes et privilégient l’investissement sur leur propre canal. La livraison est encore trop souvent considérée comme un canal à moins forte valeur ajoutée et aux contraintes nombreuses, dans lequel on ne s’embarque que comme « passager clandestin », sans la mettre au cœur de la réflexion stratégique. Aussi, les équipes en charge de la livraison (quand elles existent) manquent d’expertise et de moyens, investissant trop peu sur les nouveaux outils.
Codes et pratiques du e-commerce
Adopter cette attitude, c’est courir le risque de ne pas capter toute la valeur de la livraison. Cette dernière va encore se développer : on évoque même un chiffre d’affaires de près de 9 milliards d’euros en 2026. Elle concerne une population jeune, urbaine, à fort pouvoir d’achat, dont la livraison d’un repas fait partie intégrante de son mode vie. Mais pour répondre aux attentes de cette clientèle, faire de la livraison un canal fortement contributeur au chiffre d’affaires et surtout à la marge, la restauration doit se transformer et adopter les logiques, les codes et les pratiques du e-commerce.
Cela nécessite à la fois une vision, une réelle volonté et la mobilisation de technologies adaptées . Même si la démarche n’est pas toujours facile à gérer, cette transformation est nécessaire pour tirer le meilleur d’une activité dont les perspectives de croissance sont fortes et qui répond à une réelle demande des consommateurs les plus actifs. Certaines marques récentes de restauration comme O’Tacos, G La Dalle ou Chicken Street l’ont bien compris, mais aussi une marque installée comme Buffalo Grill, qui attire grâce à la livraison de nouvelles communautés de consommateurs de fast food, y compris pour ses franchisés.
La livraison est un sport complet qui doit engager des ressources et des compétences pour qu’elle libère les performances que l’on est en droit d’attendre d’elle.
Par Simon Battaglia, directeur général Europe d’Otter,