La réouverture des commerces non essentiels, le 28 novembre dernier, a sonné comme un retour à la liberté. Même si les contraintes liées à la pandémie sont encore présentes, le plan de déconfinement annoncé par l’Exécutif le 24 novembre laisse entrevoir une lumière au bout d’un long tunnel de confinement. Un soulagement pour les petits commerces, entreprises, distributeurs comme fournisseurs, se sont retrouvées quasiment à l’arrêt à quelques semaines de Noël, une période où certains secteurs comme le jouet, l’horlogerie-joaillerie ou l’édition réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires annuel. Même si le e-commerce, via le click & collect, a pris le relais des points de vente, le canal digital a été loin de compenser les pertes engendrées depuis mars. La question reste de savoir si dans un contexte sanitaire pesant encore omniprésent, les Français vont se rendre massivement en magasin, comme à leur habitude, durant les 4 semaines qui précèdent le réveillon.
Et pour cause, malgré l’euphorie attendue autours des achats de Noël et le soutien des Français au commerce de proximité – 69% des consommateurs déclarent y être attachés – la consommation à l’ère Covid-19 n’est plus tout à fait la même. À noter, également, la progression du fait-maison, encouragée par les périodes de confinement, 36% des consommateurs apportent leur repas au bureau ou prépare le week-end des plats pour la semaine… D’où la forte progression des ventes d’œufs sur les sept premiers mois de l’années (+15,1% contre 2% habituellement) selon le CNPO (Comité National pour la Promotion de l’Œuf)
« Gageons que de cette crise sanitaire hors norme vécue sur toute la planète, naîtra des prises de conscience durables qui ancreront des actions positives »
Vivre avec le virus
Alors que la pandémie s’inscrit, manifestement, dans la durée et la récurrence, ce sont nos comportements et nos modes de consommation qui vont devoir s’adapter. Nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus et organiser notre vie autour de lui. Cela impactera nécessairement les lieux de vente et nos relations à l’autre. Ces nouvelles normes sanitaires vont modifier durablement la façon de faire du commerce. Demain, on ne réfléchira plus en mètre carré, ni en flux, mais plus en service et valeur ajoutée apportés au consommateur. Grâce aux technologies numériques, les achats pourront se faire sur rendez-vous ou en ligne. Le point de vente, lui, ne sera plus destiné uniquement à vendre mais à offrir un espace de rencontre et d’expérience à la communauté de la marque. L’on pourrait imaginer des lieux hybrides qui ne se résumeraient pas à des cintres mais qui seraient alignés avec les centres d’intérêt des consommateurs et de la marque, mixant à la fois expérience produit, relations entre membres, restauration… L’implantation récente du nouveau concept Monoprix, Paris gare Montparnasse, qui propose une agora centrale, un espace dédié aux riverains, des corners cuisines du monde, à emporter, une échoppe valorisant les métiers d’arts et de l’artisanat, préfigure ce que seront ces « magasins à vivre ».
Réinventer le point de vente post-Covid
Dans une période où les flux doivent être limités, la qualité et l’identité sont les premiers facteurs d’attractivité. Qu’il s’agisse de recréer un univers propre, à l’image du Nike Store des Champs Élysées à Paris ou de construire un discours engagé et différenciant, comme l’a fait Carrefour à travers son manifeste « Act for Food » un programme d’actions concrètes pour la transition alimentaire. En sortant de leurs 4 murs, les commerçants font entendre leur voix et invite les consommateurs à en faire de même. Nike, reprenant la logique de « premiumisation » d’Apple, joue à fond la carte de l’expérience client et de la personnalisation. Dans son flagship parisien, il est possible de commander en ligne tous les produits de la marque et de les personnaliser dans l’espace « Nike By You ». Ce démonstrateur de toute l’innovation de la marque de 2 400m2 sur 4 étages promet, en outre, une expérience immersive et digitale » à ses clients, où l’on peut assister à la fabrication et au tissage en 3D d’une paire de sneakers. Plus qu’un magasin, c’est un véritable lieu identitaire où s’exprime la raison d’être de la marque. À côté de ces enseignes internationales, se développent également une myriade de nouvelles marques françaises prônant une création de valeur locale, de l’utilité si ce n’est de l’intérêt général, de la production au recyclage du produit en fin de vie : des concepts souvent puristes présentés dans des pop-up stores où l’emballage comme le plastique sont bannis. Dans un monde incertain, il semble logique que le commerce s’adapte et se réinvente pour coller aux aspirations d’un consommateur de plus en plus conscient de sa sur-consommation et de sa responsabilité dans ses actes d’achat, en physique comme sur les plateformes d’e-commerce de son téléphone.
« S’il est un enseignement à tirer de l’épisode Covid, c’est l’opportunité inespérée d’aligner nos enjeux économiques, sociaux et environnementaux. »
Consommer moins mais mieux
La consommation post-confinement ne doit pas rimer avec déprime. Le désir, la beauté ou l’utilité d’un produit ou service en sont les moteurs, la consommation transforme notre relation à nous-même, aux autres et au monde. La décroissance peut aussi se révéler désirable. En refusant de se laisser piéger par les dictats du marketing d’avant, on se concentre sur l’essentiel, ce qui est juste, tant pour la façon dont le produit a été fabriqué que l’équité du prix ou du salaire reçu par celui qui l’a fabriqué. Consommer moins mais consommer mieux, tel est le crédo d’une société post-Covid responsable et respectueuse d’elle-même, des hommes et des ressources limitées de la planète. Et cela fait écho aux aspirations de plus en plus de consommateurs, tout particulièrement les jeunes générations. Le succès de la tendance DIY, mais surtout, les performances du marché de l’occasion, tous secteurs confondus, dont le chiffre d’affaires mondial est estimé à près de 100 milliards d’euros d’ici 2025 en sont l’exemple. Dans la conjoncture économique actuelle, l’Insee anticipe une chute du PIB de 13%, il n’est pas étonnant que les Français resserrent les cordons de la Bourse en cette période de fortes incertitudes. Les moins de 30 ans sont tout particulièrement affectés, représentant déjà près des 50% des pauvres sur le territoire.
Dans ces conditions, le déploiement du marché de l’occasion et de l’économie de fonctionnalité, qui repose sur l’usage plus que sur le produit, sont inéluctables. Exit les postures extrêmes sur l’alter-mondialisme ou l’utopie d’un retour à la nature, la consommation post-confinement s’inscrira plutôt dans la durabilité des objets, associé à une 2eme ou 3eme vie de ceux-ci, l’abolition de toutes formes d’obsolescence programmée et la lutte contre le gaspillage pour se recentrer sur des biens utiles, éthiques, de qualité et durables. Les industriels les plus éclairés et les distributeurs s’y mettent. L’enseigne de mode à petits prix #KiabiHuman a créé dans son magasin de Louvroil (59) une zone de vente spécifique aux vêtements d’occasion. Michelin ne vend plus de pneus depuis longtemps mais commercialise l’usage de celui-ci au kilomètre …
Autant d’exemples qui montrent que, chemin faisant, la valeur d’usage plus que la propriété de l’objet prendra tout son sens à l’avenir. S’il est un enseignement à tirer de l’épisode Covid à couper le souffle, c’est sans aucun doute que de cette crise est née l’opportunité inespérée d’aligner des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Une opportunité individuelle et collective pour réinterroger nos façons de produire, d’acheter et de consommer. Gageons que de cette crise sanitaire hors norme vécue sur toute la planète, naîtra des prises de conscience durables qui ancreront des actions positives. Qu’il en restera des habitudes de consommation plus raisonnées et responsables, si ce n’est l’émergence d’une décroissance heureuse et désirable.
Par Marc Jacouton, fondateur de RSE Développement