Peut-on encore encadrer la distribution de produits ?

Le 24 janvier dernier, le Ministre du commerce saluait les performances des ventes sur internet recensées par la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad), soit 45 milliards d’euros en 2012. Depuis 2005, le nombre de sites marchands a en effet été multiplié par 8, (117 500 sites marchands actifs en 2012). Selon la Fevad les achats sur internet devraient continuer de progresser en 2013, malgré la crise. Face à ce constat, les têtes de réseaux traditionnels élaborent ou peaufinent des stratégies e-commerce, tant à l’égard de distributeurs agréés dans le cadre d’une distribution sélective ou exclusive, qu’à l’égard des pure players. Distribution sélective : comment contrôler les sites internet des distributeurs agréés ? Les réseaux traditionnels sont de plus en plus incités à combiner ventes en magasins et sur internet et développent ainsi depuis plusieurs années des stratégies « multicanal » afin de profiter de la croissance du commerce électronique. L’utilisation d’internet peut, en effet, être un formidable accélérateur des ventes et de développement des points de vente physiques. Encore faut-il que la stratégie e-commerce des réseaux traditionnels soit cohérente avec la politique commerciale menée dans les points de vente.Si l’on ne peut interdire à des distributeurs agréés de mettre en ligne leur propre site internet marchand (sauf cas exceptionnels justifiés par la nature du produit), il est toujours possible d’assurer la cohérence du réseau sélectif. Par exemple, il est possible d’imposer aux distributeurs agréés, à condition que de telles normes n’affectent pas le jeu de la concurrence : - des normes de qualité pour la construction de leur site internet. Par exemple, une tête de réseau peut licitement imposer une charte graphique spécifique, des caractéristiques techniques ou un espace dédié à la marque afin que les produits soient proposés aux internautes dans un environnement de qualité. - des conditions de vente particulières que ce soit pour : empêcher la revente hors réseau, comme la limitation des quantités de produits achetées par un internaute individuel ;sécuriser les paiements en ligne ;rationnaliser le service après-vente en ligne. - des conditions d’agrément telles que l’exigence d’un point de vente physique complémentaire. La mise en œuvre de telles normes par une tête de réseau détenant un pouvoir de marché significatif pourrait malgré tout poser des problèmes de compatibilité avec le droit de la concurrence. C’est alors qu’une analyse juridique préalable devient indispensable. Franchise et distribution exclusive : comment concilier internet et les exclusivités territoriales ? Précisons, tout d’abord, que l’exclusivité territoriale des franchisés ou des concessionnaires n’interdit pas à la tête de réseau de les concurrencer en ouvrant elle-même un site internet. Le distributeur exclusif ne pourrait s’opposer qu’aux ventes en ligne actives réalisées sur son territoire exclusif par le franchiseur ou concédant ou par un autre distributeur exclusif.Notons ensuite, que la tête de réseau a la possibilité d’imposer le respect de certaines normes aux distributeurs exclusifs pour les ventes réalisées en ligne. En matière de franchise, de telles normes peuvent d’ailleurs aisément se justifier au regard du savoir-faire transmis par le franchiseur. Toutefois, de telles normes ne doivent pas constituer des restrictions de concurrence prohibées. A titre d’exemples, il est interdit d’imposer au distributeur exclusif de :- refuser l’accès à son site internet aux clients qui ne sont pas situés sur son territoire exclusif ;- renvoyer les clients situés hors de son territoire vers le site de la tête de réseau ou d’autres distributeurs exclusifs ;- mettre un terme à une vente en ligne lorsque le client apparaît être situé sur un autre territoire.À cet égard, la tête de réseau a le droit d’imposer au distributeur exclusif qu’il présente sur son site internet des liens vers son site ou ceux des autres distributeurs exclusifs. La tête de réseau doit en conséquence apprécier au cas par cas avec ses conseils la licéité des normes relatives à la distribution de produits de sa marque sur les sites de ses distributeurs. Mon réseau et les pure players : quelle stratégie adopter ? Regardés avec méfiance par les réseaux physiques et avec bienveillance par l’Autorité de la concurrence en raison de la pression concurrentielle qu’ils exercent sur le marché, les pure players ont bouleversé la distribution traditionnelle en réalisant l’essentiel de leurs ventes en ligne. L’attrait des consommateurs pour les pure players peut s’expliquer notamment par les prix qu’ils pratiquent, plus bas que ceux des ventes hors ligne, en raison des coûts généralement plus réduits liés à l’absence de points de vente physiques.L’établissement des relations commerciales entre fabricants et pure players pose des problèmes tout à fait différents selon le système de distribution choisi par le fabricant. La principale difficulté des réseaux sélectifs est de concilier leur politique commerciale et les exigences qualitatives imposées à leurs distributeurs sélectionnés, avec ce nouveau canal de distribution. Etant précisé que l’Autorité de la concurrence a constaté la création, ces dernières années, de nombreux réseaux sélectifs dont les critères d’agrément sont susceptibles, dans certains cas, de freiner l’entrée sur le marché des pure players, ce qui peut être préjudiciable à la concurrence.D’autres fabricants ont choisi de mettre en place une politique de « channel management » ayant pour objet de différencier les canaux de distribution, en proposant aux distributeurs des gammes, des produits, des conditions d’approvisionnement, des tarifs et des réductions de prix différenciés, afin d’adapter leur offre à chaque canal de distribution. Les fabricants sont en effet libres de choisir leurs partenaires et de pratiquer des tarifs différenciés, grâce aux instruments mis à leur disposition par le Code de commerce (conditions générales de vente catégorielles, conditions particulières de vente, rémunération de services rendus par les distributeurs). De telles stratégies nécessitent toutefois une collaboration étroite avec un juriste en raison des risques concurrentiels qu’elles comportent : sanctions administratives - jusqu’à 10% du CA mondial H.T., injonction de mettre fin aux pratiques ou imposition de conditions, astreinte, publication de la décision ; sanctions civiles - nullité de l’acte, réparation du préjudice subi par la victime ;sanctions pénales - pour les personnes physiques, jusqu’à 4 ans d’emprisonnement et amende de 75 000 euros ; pour les personnes morales, amende pouvant atteindre 375 000 euros. Les pratiques de différenciation doivent en effet être conformes au droit de la concurrence qui prohibe notamment le refus de vente et les pratiques discriminatoires au titre des abus de position dominante ou des ententes anticoncurrentielles, lorsqu’elles empêchent ou faussent, par leur objet ou par leurs effets actuels ou potentiels, le jeu de la concurrence.