Pierre-Yves Pasquier, cofondateur de Comerso
Avec la crise sanitaire, toute la chaîne de solidarité est durablement impactée au moment même où elle devrait être plus forte que jamais. En mettant gratuitement à disposition sa plateforme, Comerso aide à résoudre la difficile équation d’une hausse de la demande confrontée à une baisse drastique des ressources.
Propos recueillis par Catherine Batteux
Comment naissent les idées… Les cofondateurs de Comerso se sont rencontrés lors d’un covoiturage en 2009. À l’époque, on parle peu de gaspillage. Rémi Gilbert et Pierre-Yves Pasquier partagent non seulement leurs trajets mais aussi leurs envies d’engagement. Le premier, à la BPI, a une lecture claire de la création d’entreprise. Le second occupe, depuis quelques années, des postes de fonction commerciale chez Danone. Il est en contact avec les acteurs de la grande distribution et possède une vision éclairée du marché et des attentes des consommateurs. Rapidement, l’idée germe de créer des connexions entre les entreprises soumises aux problématiques d’invendus et l’écosystème des récepteurs, souvent des associations. Avec un objectif : lutter contre le paradoxe d’une société qui produit suffisamment de ressources pour nourrir l’ensemble de la planète, mais qui les gaspille alors même qu’elles peuvent encore être consommées ou utilisées. Globalement, entre 0,5 % et 2 % du chiffre d’affaires annuel des magasins est invendu et génère des incidences au niveau financier, social et écologique. Les deux hommes se mettent en mode projet, soirs et week-ends, pour se lancer. Comerso voit le jour en 2013 et lutte contre toutes les formes de gaspillage (alimentaire et non alimentaire) en accompagnant les entreprises (industriels, grande distribution…) dans leur démarche de valorisation de leurs invendus et déchets.
Quel est l’impact de la crise sanitaire sur les enjeux et actions anti-gaspillage ?
Pierre-Yves Pasquier. Au lendemain du premier confinement, nous avons remarqué que 50 % de l’aide alimentaire en France était à terre. Sous l’effet d’une panique des consommateurs, les magasins avaient été dévalisés et, du même coup, leurs chaînes d’approvisionnement désorganisées : les rayons de certains produits étaient vides. Dans le même temps, les associations, déjà en tension, subissaient de plein fouet la crise sanitaire : moins de bénévoles disponibles, une demande de personnes se retrouvant en précarité qui monte en flèche – de l’ordre de +30 % – et une offre de ressources qui se tarit. Ce stress organisationnel a généré une désorganisation globale de la chaîne de solidarité. Nous nous sommes donc demandés comment rapidement mettre en place une logique d’entraide efficace pour l’ensemble de notre écosystème. Nous avons contacté industriels, distributeurs et associations dont les organisations étaient complètement submergées sous l’effet de cette crise sanitaire, avec l’idée de proposer notre outil gratuitement, de leur donner un point d’entrée unique favorisant, ainsi, connexion, mutualisation et synergie entre tous.
Comment ont réagi les différents acteurs ?
Toutes les enseignes ont joué le jeu. En 10 jours, l’initiative a été diffusée dans plus de 15 000 points de vente, soit la quasi-totalité de la grande distribution française. Et en deux mois, juste en organisant la mise en relation des différents acteurs, nous avons permis la redistribution de 450 000 équivalents repas. Ce que l’on a rapidement anticipé, c’est qu’il y aurait probablement plusieurs vagues de contaminations et que la Covid-19 allait malheureusement impacter de manière durable cette chaîne de solidarité au moment même où elle doit être plus forte que jamais. C’est tout le paradoxe que nous essayons de contribuer à corriger, en toute humilité.
Nous avions la crainte que l’urgence économique liée à la crise sanitaire puisse faire reculer les sujets RSE. Un moratoire du Medef sur la Loi d’économie circulaire a d’ailleurs été lancé en plein confinement pour demander un délai de mise en place des mesures actées. Il y a eu une petite levée de boucliers, notamment de l’opinion publique, pour signifier que ce n’est pas parce qu’il y a urgence sanitaire et crise économique que l’on doit rogner sur ces engagements. Nous sommes convaincus que la relance passe, aussi, par une transition écologique et solidaire que les entreprises doivent intégrer dans leur plan de transformation.
Ce qui est intéressant, c’est que non seulement, on ne recule pas, mais on entérine ces projets, en lien avec le modèle d’économie industrielle inscrit au sein de l’économie circulaire que nous prônons. Notre mission est d’éveiller les consciences et d’aider les entreprises à transiter vers un modèle durable et responsable, en valorisant et transformant les déchets des uns, en ressources pour les autres.
Constatez-vous une évolution de cette prise de conscience ?
Oui, de plus en plus ! Nous observons clairement l’évolution de la maturité de notre écosystème. Quand nous avons lancé Comerso en 2013, on nous prenait pour de doux rêveurs dont l’objectif était de faire des dons aux associations. Il n’y avait pas du tout cette culture de la solidarité, ni cette vision de l’enjeu et de l’intérêt économique que représente la valorisation des invendus. À l’époque, c’était tabou. Dire que l’on avait des invendus signifiait une certaine “incompétence” commerciale. Les mentalités ont bien changé. Tout le monde reconnaît, aujourd’hui, avoir des invendus alimentaires ou non alimentaires, même avec les meilleurs outils de prévisions. Les distributeurs parviennent tout de même à vendre 98,5 % à 99 % de leurs produits ! Et l’écosystème comprend désormais l’intérêt économique de la démarche sur le compte de résultat : Comerso a fait gagner à ses clients un peu plus de 30 M€ en 2019 grâce à la valorisation des invendus. Les entreprises ont aussi compris qu’elles devaient répondre aux nouvelles exigences des consommateurs sous peine d’être sanctionnées.
Y a-t-il une disparité entre l’élan stratégique des entreprises et la réalité du terrain ?
Oui, cette disparité est réelle. C’est bien la conversion de cette stratégie en action qui devient complexe lorsqu’elle est confrontée au terrain. C’est ce que nous accompagnons en aidant à la transformation à la fois du processus des entreprises mais aussi de leurs modèles de gestion. Cela demande du temps. Il ne suffit pas de mettre en œuvre des moyens financiers et humains. Il faut créer un modèle d’organisation beaucoup plus mutualisé. Dans cette période d’absolue nécessité, où se conjuguent hausse des besoins et réduction drastique des ressources, renaît cette volonté de coopérer, communiquer, fonctionner ensemble de façon efficiente. Cultiver cela nous permettra de répondre à cette difficile équation. Beaucoup de progrès ont été réalisés. Mais si l’on pense qu’ils sont suffisants, on se trompe. Nous avons franchi la première marche. Il en reste encore quelques-unes.
Repères
Depuis 2013, Comerso lutte contre toutes les formes de gaspillage (alimentaire et non alimentaire) en accompagnant les entreprises (industriels, grande distribution…) dans leur démarche de valorisation de leurs invendus et déchets. La solution développée par Comerso mixe nouvelles technologies, logistique, formation, mise en place de filières de valorisation et reporting d’activité. Une démarche construite sur le modèle “win-win-win” où les associations bénéficient de plus de marchandises et de meilleure qualité gratuitement, où les entreprises génèrent de la performance RSE (économique, social, environnemental) et améliorent leur image, où la solution a permis de créer plus de 100 emplois en France. Comerso travaille, aujourd’hui, avec 800 clients répartis sur le territoire français et un réseau d’économie circulaire de plus de 1 000 partenaires, majoritairement des associations caritatives.