Grands magasins : L’ogre Shein s’abat sur le BHV

Shein déchaîne les passions. L’ouverture d’un espace de vente pérenne, dédié à la marque au sein du BHV et de six franchisés Galeries Lafayette est le sujet brûlant du moment. Analyse. Par Cécile Buffard Le cheval de Troie de la plateforme chinoise Shein entrera-t-il dans Paris ? C’est la question qu’a soulevé l’annonce surprise de Frédéric Merlin, président de la SGM, d’accueillir de façon pérenne la marque de l’ultra fast-fashion, jusque-là purement e-commerce, dans son adresse parisienne, le BHV. L’antre de la mode, bien qu’ayant perdu de sa superbe au fil des années mais qui accueille toujours des marques chics et branchées, va-t-elle s’allier avec la griffe honnie, condamnée en juillet dernier par la DCCRF pour pratique commerciale trompeuse ? Quelques semaines auparavant, l’enseigne de prêt-à-porter Pimkie annonçait s’associer avec Shein pour son offre en ligne. La plateforme met donc un pas de plus sur le territoire français et voit grand : six magasins franchisés du groupe Galeries Lafayette devraient également sauter le pas en cédant leur espace de vente à son offre. Levée du bouclier du commerce C’était sans compter sur la bronca des acteurs du commerce. La Fédération Française du Prêt-à-Porter féminin, la Fédération des enseignes de l’habillement, la Fact et même la Fevad (qui, au passage, compte parmi ses adhérents Amazon…) ont dénoncé d’une seule voix l’assaut sur le commerce physique de Shein. Dans leur sillon, des marques comme AIME, talm, ODAJE, Culture Vintage, ou encore, Maison Pechavy, ont annoncé, via leurs réseaux sociaux, qu’elles quitteraient ou ne renouvelleraient pas leur partenariat avec le BHV en 2026. Quant au groupe Galeries Lafayette, il reste mutique sur le sujet. « Le rapprochement entre Shein et le BHV est le fait d’un acteur opportuniste, prêt à lâcher le positionnement prix de son enseigne pour profiter du trafic généré par un prédateur », résume Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Ce dernier y voit même un « cri de désespoir » qui ne serait pas tant condamnable si la plateforme ne dérogeait pas aux règles du marché européen, avec des moyens de production redoutables. Un dangereux coup de poker Ces réactions étaient, somme toute, prévisibles. Quelle mouche a alors piqué Frédéric Merlin ? La stratégie d’intégrer une locomotive commerciale dans un centre commercial en perte de vitesse n’est pas nouvelle pour le président. Il l’a appliquée avec succès à Mulhouse en installant un Primark ou encore à Roubaix avec un E.Leclerc, en lieu et place de l’hypermarché Casino moribond. Pour le BHV, qui accuse des pertes depuis des années mais annonçait, en juin dernier, renouer avec la fréquentation et la rentabilité, le coup de poker s’avère être dangereux. S’il y a un intérêt commercial à ce que l’enseigne s’associe à Shein – le succès des pop-up stores Shein a convaincu le directeur de lui ouvrir les portes du BHV – les conséquences réputationnelles et économiques encourues ne sont pas neutres. Certes, les clients fidèles de la marque y trouveront leur compte mais pour le commerce français, la percée – avortée ou non – de Shein rappelle à quel point le modèle est fragilisé, dans une économie mondialisée. Trois questions à… Christophe Noël, délégué général de la FACT Pourquoi l’alliance Shein/BHV fait-elle autant de bruit ? C.N. Le prêt-à-porter français, révélateur, aux yeux de l’opinion publique, de la vitalité du commerce est chahuté depuis des mois. À 6 mois des élections municipales, qui renforce l’intérêt des élus pour l’activité de leur cœur de ville, tout événement pouvant déstabiliser le secteur cristallise la passion. En outre, Shein est, depuis plusieurs mois, dans le viseur des associations de commerçants et du gouvernement qui ont dénoncé les effets délétères de la plateforme sur le commerce physique, ses pratiques commerciales répréhensibles, ainsi que sa concurrence déloyale. Pourquoi Shein s’intéresse-t-il au BHV ? C.N. La hausse de 100 % des droits de douane aux États-Unis, où les ventes de la plateforme s’érodent, et les 190 M€ d’amendes cumulées en Europe la pousse à se trouver des alliés objectifs en France pour ne pas risquer le déréférencement. La marque cherche à s’offrir une respectabilité pour tenter de poursuivre son développement dans les pays membres de l’Union Européenne. Elle a tenté un premier coup d’essai, auprès de Pimkie, sous couvert de soutien aux marques françaises, et tente désormais d’implanter des magasins physiques. Est-ce un mauvais signal pour le commerce ? C.N. Tout dépend des secteurs. Certains, comme les grands magasins et le prêt-à-porter ont vu leurs effectifs s’effondrer, respectivement de 50 % et 6 % depuis 2006. D’autres secteurs, comme la beauté, ou les petits commerces alimentaires, connaissent une dynamique inverse. Le prêt-à-porter est sans doute le marché le plus exposé à la concurrence internationale. Les grandes enseignes comme H&M, Uniqlo ou Zara, proposent depuis des décennies maintenant des offres très compétitives, et attirent les clients. Et l’on ne peut pas blâmer les consommateurs, confrontés à l’inflation et aux contraintes du pouvoir d’achat, d’être à la recherche de prix. Néanmoins, à l’avenir, tout potentiel partenaire de Shein se posera deux fois la question avant de s’allier au grand méchant loup du commerce mondial.