Antoine Frey, pdg du groupe Frey
En avril dernier, en pleine période de confinement, le groupe Frey a créé un fonds de 15 M€ pour soutenir ses enseignes partenaires au nom de la “biodiversité commerciale” de ses actifs. Son pdg, Antoine Frey, a expliqué à Points de Vente sa vision du marché en période de crise et ses relations avec les commerçants. Entretien.
Propos recueillis par Cécile Buffard
En réponse à la crise sanitaire liée au covid-19, le groupe Frey a annoncé la création d’un fonds de 15 M€ pour soutenir ses commerçants-locataires. Pourquoi cette décision ?
Antoine Frey. Le groupe Frey a toujours pris soin d’entretenir des rapports de qualité avec les enseignes partenaires de nos centres commerciaux, c’est donc tout naturellement que nous nous sommes engagés auprès d’elles. Cet équilibre se traduit par un taux d’effort contenu de 8,8 % et une attitude partenariale avec les commerçants. Dans nos centres commerciaux, nous prônons des valeurs positives de lien social et de rapports humains. C’est donc tout naturellement que nous nous sommes engagés auprès des enseignes. Il nous semblait, en effet, essentiel de faire preuve de solidarité pendant la crise. Ces mesures de soutien ont été annoncées aux commerçants dès le 11 mai, premier jour du déconfinement, pour donner à nos commerçants davantage de visibilité. De plus, nous les accompagnons dans la mise en place du dispositif sécuritaire sanitaire obligatoire.
Expliquez-nous le fonctionnement de votre fonds
Nous voulions prendre notre part de cette crise sans, pour autant, dénaturer la vache sacrée que représente le bail commercial. Il s’agit d’un élément fondamental entre bailleur et locataire car constitutif de la valeur du fonds commerce du locataire mais aussi de la valeur de l’immeuble pour le bailleur. Pour cela, nous avons décidé de soulager de l’intégralité du poids du loyer les épaules de nos commerçants pendant toute cette période de crise, depuis les mesures de confinement jusqu’à la réouverture totale des magasins. Nous savons que la reprise n’aura lieu que très progressivement, les nombreuses contraintes sanitaires à appliquer venant freiner la création de chiffre d’affaires.
Sur quel scénario vous êtes-vous basés pour calculer le montant de l’aide aux commerçants ?
Nous sommes partis sur l’hypothèse que le mois qui suivra la réouverture des magasins ne permettra aux commerçants de ne réaliser que 50 % de leur chiffre d’affaires habituel, le second mois 70 %, le troisième mois 90 %, jusqu’à retrouver 100 % de chiffre d’affaires en septembre prochain. Par conséquent, nous avons logiquement soulagé nos locataires à 100 % durant le mois de fermeture, puis à 50 % le premier mois suivant la réouverture, 30 % le deuxième et 10 % le troisième. Il est à noter que cette somme d’argent sera apportée au locataire pour 50 % sous forme de don et pour 50 % sous la forme d’un prêt gratuit dont l’amortissement ne démarrera qu’en janvier 2021 jusqu’en décembre 2022.
Ces mesures de soutien étaient-elles nécessaires à la survie des enseignes ?
Bien sûr. Beaucoup de commerçants étaient déjà en grande difficulté avant l’apparition du coronavirus, subissant depuis deux ans les effets délétères du mouvement social des gilets jaunes et des grèves. À cela, s’est ajoutée une crise sanitaire digne d’un scénario de science-fiction. Résultat, ceux qui souffraient déjà se trouvent désormais dans des situations financières plus que tendues, quand elles ne sont pas tout bonnement en train de mourir. Le Covid-19 n’a, finalement, fait qu’accélérer un mouvement déjà en marche.
Comment les bailleurs, de leur côté, traversent-ils cette crise ?
Leur situation est disparate selon leur état de santé avant la crise. Ceux qui bénéficiaient, comme Frey, d’un niveau d’endettement raisonnable ont pu et pourront encore puiser dans leurs réserves pour aider les commerçants sans remettre en cause leur survie. À l’inverse, certains bailleurs qui fonctionnent sur des modèles économiques tendus en termes d’effets de levier rencontreront plus de difficultés à aider les commerçants, voire à survivre. Pour résister à la crise, il faut le soutien des banques et des crédits bailleurs qui acceptent de décaler ou d’annuler les échéances. Or, ces derniers ne concèdent à cet effort que s’ils ont, en face, un opérateur doté de contreparties financières solides et qui ne soit pas surendetté.
Pour ces raisons, nos fédérations sont actuellement en discussion avec le gouvernement pour qu’il soutienne, aussi, les bailleurs. N’oublions pas que les bailleurs sont des entreprises comme les autres qui souffrent des mêmes maux que leurs locataires…
Qu’en est-il des grands projets du groupe en 2020 ?
Nous avons deux typologies de projets : les chantiers qui étaient en cours de construction et ceux qui n’ont pas encore démarré. Dans la première catégorie, Les Shopping Promenade de Strasbourg et de Claye-Souilly – totalisant une surface 100 000 m2 – devaient ouvrir au mois d’octobre prochain. Ces deux chantiers ayant été interrompu durant un mois, nous ne sommes pas encore capables d’estimer une date d’ouverture. Concernant les autres projets, nous allons faire le point avec nos enseignes partenaires pour évaluer leur appétit à accueillir de nouveaux programmes.
Cette crise a-t-elle été révélatrice de phénomènes sous-jacents ?
Évidemment. Les équipements commerciaux doivent offrir à leurs locataires des niveaux de loyers et de charges plus compacts car même si les commerçants travaillent aussi sur le online, ils doivent avoir la capacité de financer cette activité qui génère, par ailleurs, des visites en magasin. La fusion entre les deux canaux, physique et web, impose une charge locative plus raisonnable, c’est notre conviction. Cette crise n’a fait que creuser la dichotomie entre des actifs commerciaux adaptés aux besoins des enseignes – des magasins qui se transforment en showroom ou qui deviennent des points logistiques, par exemple – et les autres qui n’ont pas su évoluer, avec des modèles économiques trop lourds. Une chose que nous aura apprise cette crise, cependant, c’est que pendant la fermeture des magasins, les gens n’ont pas cédé au shopping en ligne. Signe que le magasin reste au cœur du commerce et c’est au moins un point qui nous rend optimistes.