Le premier semestre ressort en demi-teinte pour le commerce spécialisé : l’équipement de la maison et de la personne à la peine, les soldes fortement compromis ; un contexte qui augmente la fragilité de nombreux magasins et enseignes.
Procos a tenu sa conférence de presse semestrielle, occasion pour la fédération du commerce spécialisé de tirer un premier bilan à mi-année de l’activité des enseignes. Dans ce cadre, il a été rappelé combien les événements de la semaine dernière et du week-end ont impacté un nombre très important de magasins allant de dégradations à la destruction totale par incendie en passant par le vol de tous les produits du point de vente. Plusieurs centaines de magasins voient leur activité fortement impactée provisoirement. Plusieurs dizaines resteront fermés quelques semaines voire au-delà en fonction des dégradations. Des collaborateurs en danger dans les magasins de différents secteurs du commerce spécialisé, des équipes parfois traumatisées par ce qui s’est passé. Survenus lors du premier week-end des soldes, ces événements ont fortement impacté l’activité à l’un des pires moments de l’année. Les conséquences d’un stock invendu entraînent des risques sur les trésoreries d’entreprises et de magasins déjà fragiles. Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos a indiqué « Il s’agit d’un moment de danger supplémentaire pour les prochaines semaines durant lesquelles il faudra être attentif au soutien possible à apporter. En effet, même si l’appel a été lancé par Bruno Le Maire, il est malheureusement peu probable que les assureurs puissent aller aussi vite que nécessaire et, qu’ils renoncent suffisamment aux franchises contractuelles. En conséquence, le reste à charge pour beaucoup d’entreprises et de magasins risque d’être important et supérieur au niveau supportable pour certains dans un moment de fragilité intense. »
Des ventes en hausse en juin
Le point sur l’activité révèle que le semestre se termine plutôt bien puisque les chiffres des points de vente ont augmenté de 6,5 % en juin 2023 vs 2022 après avoir baissé en mai. Juin est ainsi le 3è meilleur mois depuis le début de l’année après janvier (+ 11 ,5 %) et février (+ 7,5 %). Le mois de juin a toutefois été marqué par des baisses du chiffre d’affaires des magasins du secteur équipement de la maison à – 5 % par rapport à juin 2023 ainsi que celui de la culture-cadeaux-jouets à – 1,8 %. Il est rappelé que la situation de baisse de consommation actuelle n’impacte pas uniquement le secteur de la mode. Notons que les secteurs de l’habillement (+ 5 %) et de la chaussure (+ 15 %) pour les ventes magasins ont terminé juin en positif malgré des soldes qui ont débuté une semaine plus tard qu’en 2022 et surtout avec un premier week-end de soldes fortement impacté par le vandalisme dans les points de vente avec pour conséquence des magasins fermés (centres commerciaux, centres-villes). La fréquentation des magasins a fortement baissé en fin de mois à – 9 % lors de la quatrième semaine, date du début des soldes en 2022.
Bilan semestriel
Les ventes magasins du commerce spécialisé sont en légère hausse, de 3 % en valeur sur le semestre par rapport à 2022. Mais, cela signifie une baisse des volumes vendus de l’ordre de 0,5 à 1 %. Les enseignes du commerce spécialisé, principalement non-alimentaires, ont été impactées par la baisse du reste disponible dans le budget des ménages fortement touché par les hausses des prix alimentaires. Une situation qui, par ailleurs, a limité la capacité des enseignes non alimentaires à augmenter les prix de vente aux consommateurs. En cumul sur le semestre, deux secteurs affichent des ventes magasins inférieures à celles de l’an passé sur la même période : l’équipement de la maison (- 1,4 %) et culture-cadeaux-jouets (- 1,5 %). -Si l’on cumule les ventes magasins et celles du web, l’habillement est également négatif par rapport à janvier-juin 2022 à – 0,7 % en valeur, soit une baisse conséquente des volumes vendus à – 3,5/- 4%.
Les autres secteurs terminent le semestre en croissance comparativement à 2022 : + 11,5 % total magasins et internet pour la beauté-santé qui est le secteur en plus forte dynamique suivi par la chaussure (+ 4,9 %), la bijouterie (+ 4,5 %), l’alimentaire spécialisé (+ 2,8 %) et la restauration (+ 3,5 %). Si l’on excepte l’équipement de la maison, pour tous les secteurs, la croissance de l’activité est tirée par les magasins alors que le web est en retrait. Même pour les secteurs dont l’activité est positive par rapport à 2022, à l’exception de la beauté santé, tous réalisent ces performances en grande partie grâce à des augmentations de prix de vente consommateurs car les ventes en volume connaissent des évolutions négatives. La fréquentation des magasins s’est dégradée de mois en mois par rapport à 2022. Dès le mois de mars, la fréquentation est devenue inférieure à celle du même mois en 2022 pour aller jusqu’à – 8,5 % en juin.
Perspectives pour fin 2023
Les perspectives d’activité pour la fin de l’année 2023 permettent d’entrevoir un début d’amélioration qui portera sans doute ses fruits en 2024, sauf événements exogènes. Les tensions sur les prix devraient se réduire d’ici fin 2023 avec une inflation ramenée à 4,5 % environ à la suite d’une moindre augmentation des prix alimentaires et de l’énergie. Les prix devraient toutefois demeurer élevés mais moins croître. L’inflation restera toutefois élevée du fait du coût des services en augmentation à la suite de celle des salaires. Les tensions sur les approvisionnements, sauf événement imprévu (Chine, Ukraine…), devraient être moindres et rendre les futurs stocks moins chers pour les enseignes. + 3,0 % – 0,5 % + 0,1 %. Reste toutefois la consommation qui connaît une baisse en 2023 et qui devrait demeurer en baisse sur toute l’année avec des tensions sur le pouvoir d’achat qui baisse, notamment pour une partie des consommateurs. Le moral des Français est au plus bas, ce qui est défavorable à la consommation, notamment pour les achats importants tels que l’équipement de la maison, également impacté par les tensions sur le marché du logement. Les indicateurs économiques un peu meilleurs ne seront sans doute pas suffisants pour redonner le moral à des Français qui jugent leur situation (pouvoir d’achat) bien pire qu’elle n’est en réalité. La baisse de la consommation pèse sur la croissance française qui sera nulle en 2023. L’INSEE estime que cette baisse sera de – 0,2 % en 2023, première depuis 2012.
En ce qui concerne les enseignes, les défaillances se sont multipliées comme jamais depuis octobre 2022. Une situation qui dépasse le cas d’entreprises qui n’auraient pas investi dans leurs transformations. Des structures de coûts qui augmentent plus vite que l’activité ne peuvent que générer à court terme des problèmes de trésorerie, de capacité de remboursement des PGE, sans parler des reports d’investissement pourtant vitaux pour préparer l’avenir. Malgré cette situation, le Parlement et le Gouvernement n’ont pas souhaité plafonner l’indexation des loyers commerciaux à 3,5 % comme cela a été décidé pour les TPE/PME. Une erreur d’appréciation de la situation puisque cela signifie que les enseignes, dans le contexte actuel, auraient la capacité de supporter deux années de suite, des indexations de leur masse de loyer entre 5 et 7 % soit entre 11 et 13 % sur deux ans. Impossible que cela ne génère pas des fermetures de magasins quelle que soit la taille de l’enseigne. « Plafonner l’ILC était la seule solution efficace pour gagner du temps à court terme et passer 2023. L’année dernière a prouvé que les négociations de gré à gré avec les bailleurs ne permettaient pas de donner de résultats pour le plus grand nombre et à la hauteur des difficultés actuelles », a déclaré Emmanuel Le Roch, avant de poursuivre : « Les nouvelles obligations réglementaires et enjeux de transformation auxquels sont confrontées les enseignes (loi Agec, loi climat et résilience, la rénovation thermique des magasins, la mise en place de panneaux photovoltaïques, la décarbonation de l’offre…) sont autant d’actions qui réclament de très importants volumes d’investissement. Or, la hausse du coût du crédit et la baisse de rentabilité qui réduit les capacités de financement, rendent de moins en moins réalistes la faisabilité de ces enjeux sans mise en place d’un plan d’investissement national à la hauteur de ces enjeux ».
Procos a également fait le point sur quelques dossiers importants pour les mois à venir : Tout d’abord, les problématiques de mobilité et les conséquences potentielles sur les activités de commerce et les lieux. Le cas particulier des ZFE-m questionne sur les conséquences que pourraient avoir à l’avenir les restrictions de mobilité des citoyens et consommateurs. La loi climat impose la mise en place de 11 ZFE-m ainsi que 43 autres dans des agglomérations dès lors qu’un certain taux de pollution serait dépassé. Mais l’analyse de la situation met en évidence combien les conséquences sur les professionnels, comme les citoyens ont été peu appréhendées. De plus, le rythme de mise en place envisagé ne permet pas de prendre suffisamment en compte les conséquences sociales et économiques de ces obligations sur l’emploi, le tourisme, la mobilité des personnes et des biens. C’est pourquoi le Conseil National du Commerce s’est saisi du sujet en créant un groupe de travail dont Procos est rapporteur. L’objectif est de soumettre mi-juillet ses préconisations telles que : analyser les impacts réels sur les activités (livraison, clientèle, collaborateurs …), mettre en place des comités d’évaluation avec les professionnels dont le commerce, assurer les conditions de réussite concernant les modes de déplacement : parkings, densité de transport en commun, autopartage… « Il est évident que le commerce nécessite plusieurs flux, personnes et produits. Les ZFE peuvent affecter considérablement le commerce de centre-ville mais aussi certaines zones commerciales. Nous avons le choix, soit les clients peuvent se déplacer, soit ce sont les produits qui devront aller vers les clients. Un enjeu fort pour les lieux et la politique locale », a déclaré le délégué général.
La transformation des zones commerciales : une nouvelle ambition politique.
Le « zéro artificialisation nette », le réchauffement climatique, réclament de modifier la manière de concevoir l’aménagement des territoires. Les fonciers disponibles pour satisfaire les besoins de toutes les fonctions (logement, industrie, logistique, activités, commerce…) sont de moins en moins nombreux. Dans ce contexte, les zones commerciales apparaissent comme des zones peu denses qui offrent des opportunités de construction et de densification. C’est ce qui fait l’intérêt soudain porté à ces entrées de ville et zones commerciales qui n’avaient jusqu’à présent que peu attiré l’attention des politiques et des acteurs de la ville. Bien entendu, l’intérêt commun de départ est réel : moderniser le commerce et mieux l’intégrer dans la ville et dans son traitement environnemental, densifier la ville et sortir de l’approche monofonctionnelle. Reste à savoir quelle sera la place accordée aux acteurs du commerce, à leur avenir dans les projets de transformation. « Procos restera attentif afin que les conditions d’exploitation (visibilité, accès clients, logistique, coûts d’exploitation) soient assurées et prises en compte en amont de la définition du projet d’aménagement. Ce qui suppose une co-construction qui commence par une concertation en amont », a annoncé Emmanuel Le Roch.
La réalisation d’un ambitieux plan de rénovation/transformation de zones commerciales et entrées de ville suppose une cohérence avec d’autres politiques publiques telles que, par exemple, l’obligation d’implantation d’ombrières supportant des panneaux photovoltaïques. Ces derniers impliquent des investissements directs ou des contrats de longue durée avec des tiers investisseurs. Figer les parkings avec des engagements de vingt ans ne fera que créer des difficultés supplémentaires à un dossier déjà très complexe (mitage foncier, bilan économique très complexe du fait de l’existence de commerces en exploitation, distinction fréquente entre propriété immobilière et exploitation commerciale).
D’importantes inquiétudes se posent sur les investissements : décarbonation de l’offre, durabilité des produits, traitement thermique des magasins, mise en place des réglementations nouvelles … sont autant de dossiers qui réclament une multiplication par deux des investissements des enseignes. Or, les crises extérieures se succèdent, et la conjoncture économique affaiblit fortement la rentabilité des entreprises. Beaucoup sont dans l’incapacité d’accélérer. Quelles seront les solutions ? Comment la politique publique peut-elle faire du commerce un secteur prioritaire de la transformation de la société ? Un enjeu majeur des prochaines discussions au sein du CNC. Le juge de paix sera : les moyens réglementaires et financiers pour accélérer et soutenir l’investissement, soutient Procos.
C.Bu