Baisse des rendements, baisse des surfaces, filière en sursis. A court de betteraves, la coopérative sucrière Tereos (Béghin Say, La Perruche…) ferme sa sucrerie d’Escaudoeuvres ainsi qu’une distillerie et cherche un repreneur pour sa féculerie d’Haussimont. L’histoire était écrite.
La direction de Tereos a présenté le 8 mars un projet de réorganisation de son activité industrielle « en réponse aux enjeux de décarbonation et de modernisation de ses infrastructures, et aux évolutions agricoles à venir ». En clair, le 4e groupe sucrier mondial entend se séparer de trois usines en France. Deux d’entre elles seront fermées : la sucrerie d’Escaudœuvres dans le Nord (123 postes supprimés) et la distillerie de Morains dans la Marne (26 postes supprimés). Le groupe cherche également un repreneur pour le site de transformation de pommes de terre en fécule situé, lui aussi, dans la Marne, à Haussimont.
Un endettement lourd
Il faut dire que Tereos peine à redresser ses comptes. Si le chiffre d’affaires consolidé du groupe s’établit au T3 22/23 à 1 804 M€, en hausse de 34% à taux de change courant (4 778 M€, +35% sur les 9 premiers mois de l’exercice fiscal – avril/décembre 2022), la dette nette a elle aussi augmenté sur les 9 premiers mois à 2,9 Mds€ (+389 M€). Tereos indique devoir faire face à la forte hausse des coûts de l’énergie « qui devrait se poursuivre durablement » et, ainsi, « il lui apparaît urgent d’adapter son empreinte industrielle, de maîtriser ses coûts de production et d’engager des investissements importants pour sauvegarder sa compétitivité et assurer la transition énergétique de ses sites industriels ».
Saturer les usines pour qu’elles soient rentables
Baisse des surfaces, baisse des rendements. Il n’y a plus suffisamment de betteraves pour faire tourner de façon rentable l’usine d’Escaudœuvres. Tereos met en avant le recul de volumes de betteraves depuis la fin des quotas sucriers en 2017, mais aussi des raisons agronomiques : « Cela a pour conséquence de réduire significativement la durée de campagne estimée entre 25 et 45 jours en fonction des rendements pour 2023/2024, en comparaison à une durée moyenne de 110 jours.» Il n’y aura donc pas de campagne 2023, malgré 62 M€ d’investissement réalisés depuis 6 ans sur le site. Rappelons qu’en janvier dernier, Tereos avait été condamné à verser plus de 9 M€ de dommages et intérêts suite à la rupture d’une digue de l’usine d’Escaudœuvres, en avril 2020, qui avait entraîné une pollution de l’Escaut et la mort de plusieurs tonnes de poissons. Le tribunal correctionnel de Lille ayant reconnu le groupe sucrier coupable, notamment, de « négligence » dans l’entretien de ses installations.
Et pourtant…
Sauf que l’on ne peut pas dire que ce soit une surprise. Les planteurs avaient alerté bien en amont sur la situation. En vain. La décision de la France d’interdire sans alternative l’usage des néonicotinoïdes en enrobage de semence a eu raison de la campagne 2020 : un tiers des betteraves françaises avaient été touchées par la jaunisse (jusqu’à 50% dans certaines régions). Une période de dérogations avait vu le jour afin de développer des solutions alternatives. Mais la décision européenne de les interdire, en janvier dernier, a rebattu les cartes et laissé la filière sans solution. Résultat : les surfaces agricoles dévolues à cette culture vont encore baisser. Les rendements aussi. Avec, derrière, une réaction en chaîne sur tout un pan de l’économie française et un déséquilibre des filières. On peut imaginer que le sucre consommé en France sera majoritairement importé du bout du monde avec, à la clé, des productions utilisant des pesticides parfois interdits en Europe. On peut imaginer, aussi, que l’Allemagne, grand producteur de sucre, pourra, contrairement à la France qui avait, dès 2018, en surtransposition, interdit l’usage de 5 néonicotinoïdes sous toutes leurs formes, continuer à pulvériser un traitement foliaire de néonicotinoïdes dont l’homologation reste valable cette année. A noter : hormis le coût environnemental désastreux en transport, la canne à sucre est une monoculture, alors que la betterave n’est jamais cultivée deux années de suite sur la même parcelle. Il y aura donc un impact sur les exploitations en polyculture et souvent en élevage où, d’ailleurs, les pulpes de betterave sont notamment utilisées en fourrage pour les vaches et qu’il faudra remplacer. Le tout alors même que l’on enjoint les agriculteurs de diversifier leurs cultures pour être plus durables.
Pour en savoir plus sur la filière sucre française, lire l’excellent article de Christophe Boizard, cultivateur de betteraves, publié sur le site du think tank Agriculture Stratégies : « Fin des semences enrobées aux néonicotinoïdes pour la betterave : quelles conséquences, quelles alternatives ».