L’Autorité de la concurrence a sanctionné les sociétés Roland Monterrat, La Toque Angevine (LTA) et Snacking Services (Daunat), qui fabriquent toutes trois des sandwichs sous marque de distributeur pour les enseignes de la grande distribution, pour avoir élaboré et mis en œuvre, entre septembre 2010 et septembre 2016, un plan visant à se répartir les volumes et les clients et à s’accorder sur les prix.
Cette affaire illustre l’apport de la procédure de clémence.
Les pratiques ont été révélées grâce à la procédure de clémence, qui permet aux entreprises ayant participé à une entente d’en dévoiler l’existence à l’Autorité et d’obtenir, sous certaines conditions, le bénéfice d’une exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire. En l’espèce, la société Roland Monterrat a, la première, sollicité le bénéfice de la clémence. Les deux autres entreprises, LTA et Daunat, ont également décidé, après avoir fait l’objet de la part des services d’instruction de l’Autorité, d’opérations de visite et saisie réalisées dans leurs locaux, de solliciter le bénéfice de la clémence. Compte tenu des demandes de clémence présentées et de leur contribution à l’instruction, le premier demandeur de clémence, Roland Monterrat, a pu échapper à toute sanction, bénéficiant d’une immunité ; les deux autres sociétés ont bénéficié, quant à elles, de réductions de sanction, proportionnées en fonction des pièces et informations apportées à l’instruction. Les entreprises bénéficient ainsi de cette démarche constructive, tandis que l’Autorité dispose, dans le même temps, d’une contribution à ses investigations.
Les sanctions prononcées contre les entreprises sont donc les suivantes : nulle pour Roland Monterrat, 15 574 000 euros pour LTA et 9 000 000 euros pour Daunat, pour un montant total de 24 574 000 euros
De la « guerre des prix » au « pacte de non-agression »
L’entente s’est formée dans le cadre des réponses aux appels d’offres de la grande distribution Les enseignes de grandes surfaces alimentaires (Carrefour, Casino, Leclerc, Lidl, Système U…), de même que les stations-service, recourent généralement à des procédures d’appels d’offres pour s’approvisionner en sandwichs industriels vendus sous marque de distributeur (ci-après « MDD »). C’est pour répondre à ces appels d’offres que les trois industriels avaient mis en place un système de concertation occulte leur permettant de fausser la concurrence.
Après une période 2009-2010 au cours de laquelle les entreprises se faisaient fortement concurrence sur les prix, chacune tentant de gagner des parts de marché auprès des enseignes de la grande distribution, les trois entreprises ont conclu un « pacte de non-agression » à la fin de l’année 2010 pour mettre fin à ce qu’elles qualifiaient entre elles de « guerre des prix ». Ce pacte visait à figer les positions respectives des uns et des autres.
Selon l’ancien directeur général de Roland Monterrat, « le pacte de non-agression aboutira à la répartition des marchés telle qu’existant fin 2010 et à la neutralisation de la concurrence par les prix ». Daunat a expliqué que les trois fabricants souhaitaient « cristalliser les positions des opérateurs et, à tout le moins, maintenir les marges en échangeant des informations stratégiques et confidentielles sur les principaux paramètres des négociations sandwichs MDD avec la grande distribution ».
Une organisation sophistiquée d’échanges sur les prix et les clients
Les échanges sont intervenus dans le cadre de rencontres « secrètes et informelles » (déjeuners, dîners, réunions) et, de façon plus régulière, lors d’appels téléphoniques ou par l’envoi de SMS ou de courriers électroniques, parfois envoyés vers et depuis des adresses de messageries non professionnelles.
En pratique, chacun envoyait ses projets de prix par mail à ses concurrents avant de répondre aux appels d’offres de la grande distribution et, dans une moindre mesure, des stations-service. Les entreprises s’appelaient ensuite pour en discuter et, le cas échéant, réajuster leurs offres avant de répondre aux enseignes.
A titre d’illustration, un courrier électronique envoyé le 17 septembre 2012 par l’une des trois entreprises à ses deux concurrents comporte la mention suivante : « N’étant pas en place sur ces marchés, faites nous part de vos remarques si vous jugez nos propositions trop faibles »
Afin de ne pas éveiller les soupçons des enseignes, des offres de couverture étaient déposées par les participants à l’entente sur les références pour lesquelles il avait été convenu qu’elles ne devaient pas remporter l’appel d’offres.
Ainsi, un SMS du 30 mai 2013, adressé par une des entreprises à son concurrent, l’informait au sujet d’un appel d’offres en cours, que « c’est une consultation pipo et on répond 10/15 % au-dessus des prix habituels »
Par ailleurs, les documents de travail utilisés en interne se rapportant aux échanges entre les trois entreprises comportaient des mentions destinées à « maquiller au mieux la terminologie utilisée pour éviter tout risque de découverte des pratiques ».
A titre d’exemple, les termes « Daunat O » et « Daunat S » désignaient, respectivement, les sociétés LTA et Roland Monterrat, en référence, selon Daunat, à la localisation du siège de ces sociétés, situé à l’ouest et au sud du siège de Daunat
Un « chef de file » était aussi nommé pour chaque client afin de mieux organiser les échanges, entre les membres de l’entente. En outre, à la suite des réunions téléphoniques, des tableaux de suivi permettant de regrouper les cotations prises pour chacun des concurrents, et chacune des références des différents appels d’offres, étaient souvent élaborés.
Au-delà des échanges portant sur l’attribution des appels d’offres, les sociétés Roland Monterrat, LTA et Daunat ont également évoqué à plusieurs reprises les négociations menées avec les enseignes de grandes surfaces alimentaires concernant l’évolution des tarifs dans le cadre des marchés en cours d’exécution.
Une pratique qui a réduit la concurrence durant près de 6 ans
Ces pratiques sont par nature très graves. En se répartissant les marchés et en s’entendant sur les prix, les trois principaux fabricants de sandwichs industriels sous MDD, qui représentent près de 90 % du marché soit la quasi-totalité des ventes de sandwichs sous MDD, ont fait obstacle au libre jeu de la concurrence. Ils ont pu ainsi élever leurs prix sans craindre la riposte de leurs concurrents.
L’entente, secrète et relativement sophistiquée, a été d’une remarquable stabilité sur la durée. Elle s’est poursuivie de façon ininterrompue pendant près de 6 années (soit entre septembre 2010 et septembre 2016), sans qu’aucun participant n’ait dévié ou tenté de dévier de l’accord. L’adhésion aux pratiques a été telle qu’aucune mesure de représailles n’a été nécessaire.
Des sanctions réduites liées aux trois demandes de clémence
Au vu de ces éléments, l’Autorité a prononcé des sanctions en tenant compte, notamment, des demandes de clémence. Pour avoir porté à la connaissance de l’Autorité l’existence de l’entente et avoir coopéré tout au long de la procédure, la société Roland Monterrat a été exonérée de sanction.
Les sociétés LTA et Daunat, deuxième et troisième demandeuses de clémence, se sont, quant à elles, vues octroyer respectivement des réductions de sanction de 35 % et 30 % compte tenu de la valeur ajoutée des éléments qu’elles ont apportés et qui ont permis d’établir l’existence de certains échanges. Daunat a, par ailleurs, bénéficié du dispositif dit de « clémence plus »1, qui consiste à accorder une exonération supplémentaire à un demandeur de second rang, si celui-ci fournit des preuves incontestables permettant d’établir des éléments de fait supplémentaires ayant une incidence directe sur la détermination du montant des sanctions pécuniaires. Cette entreprise a, en outre, bénéficié d’une réduction supplémentaire de sanction d’environ 5 millions d’euros, liée à la prise en compte de ses difficultés financières. Un résumé de la décision devra enfin être publié par les entreprises dans deux publications (LSA et 60 millions de consommateurs).