En lançant des rencontres mensuelles, la Chaire E.Leclerc / ESCP Europe souhaite créer un nouveau lieu de débat pour encourager les étudiants et les professionnels dans leurs recherches et alimenter la communauté d’une réflexion innovante sur l’avenir du commerce et l’impact des nouvelles technologies sur le secteur. Animé par Michel-Edouard Leclerc et Olivier Badot, doyen à l’ESCP Europe, ce second petit déjeuner avait pour thème : « Les enjeux de la cross canalité à l’aune du commerce 4.0 », avec la participation de Erwin Cott, multi-entrepreneur digital, de Régine Vanheems, Professeur à l’Université de Lyon et auteur de l’ouvrage « Réussir sa stratégie cross et omni canal » et du Dr Dominique Moreno, de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris IDF.
L’accélération technologique
« La révolution 4.0, qui va fortement impacter le multicanal, c’est une vague qui implique d’être ultra rapide car tout change très vite », annonce Erwin Cott. Fondateur d’une start-up vouée à une organisation différente du travail, ce multi entrepreneur digital se réfère à la « théorie des vagues » d’Alvin Toffler. Dans les années 80, le futurologue américain prédisait que les vagues du changement seraient de plus en plus hautes et rapprochées. « C’est précisément ce que nous sommes en train de vivre avec le crosscanal», ajoute-t-il.
Au premier rang des outils du changement : le mobile. « Il a tout changé en donnant au consommateur en temps réel et partout un accès aux informations sur les marques, lui permettant de dialoguer, d’interagir et de se transformer parfois en « conso vendeur », assure Erwin Cott. Vécu comme une véritable « extension de soi », le mobile est un « soi connecté » et sa privation provoque, chez certains, un authentique traumatisme, estime Régine Vanheems, Professeur à l’Université de Lyon.
La réalité augmentée, elle aussi, induit de nouveaux usages, de même que le Cloud qui ouvre l’accès à des interfaces jusqu’ici inexplorées par Internet. Les outils connectés de l’IoT, tels que les boutons d’achat, l’assistant personnel d’Amazon, les applis en magasins, les « bots », les outils de reconnaissance des émotions de Microsoft… ne sont plus de la fiction. « En 2016, les plus grandes firmes mondiales ont investi plus de 10 milliards de dollars pour des alliances visant à développer ce genre d’outils », explique Erwin Cott.
Un client multiconnecté en perpétuel mouvement
Conséquence de cette accélération : le client, lui aussi, a radicalement changé en 20 ans. Pour Régine Vanheems, « la véritable révolution n’est pas tant dans la création d’un monde parallèle virtuel que dans la fragmentation des expériences d’achat, un enchevêtrement des deux mondes, réel et virtuel, où le consommateur passe constamment de l’un à l’autre via des micro connections. Ce client multi-équipé, mobile et connecté en permanence, a un esprit, un comportement et des attentes totalement nouveaux. Sa trajectoire d’achat n’est plus du tout la même qu’il y a 20 ans. Elle est plus linéaire et directe ». Aujourd’hui, 78% des consommateurs recherchent, d’abord, de l’information sur Internet avant de se rendre en boutique. Peu réceptif à la théâtralisation des produits et hermétique aux techniques de merchandising éprouvées depuis les années 60, ce client n’hésite pas à tester les vendeurs. Pour les enseignes, c’est un défi de revisiter les fondamentaux du marketing, de retravailler les points de vente pour accueillir cette nouvelle clientèle ultra connectée sans perdre les clients plus traditionnels.
Demain, prédit Olivier Badot, « ce consommateur en mobilité, dialoguera en permanence via des applications de plus en plus performantes et ciblées, achètera via ses réseaux sociaux, la nouvelle génération de smartphones permettant de créer le désir avant même que le consommateur ne le ressente. On peut s’attendre à des « places de marché conversationnelles » et à un commerce « plateformisé ». Un commerce systémique, interactif, « mobiquitaire ».
Le retour de l’humain ?
Face aux bouleversements induits par la crosscanalité, le commerce physique, le magasin, aura-t-il encore sa place ? Oui, affirme le Dr Dominique Moreno, spécialiste du commerce et de la distribution au sein de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris IDF. « Si le numéro 2 mondial du commerce, Alibaba, ne dispose d’aucun magasin « physique, le commerce digital ne représente encore que 7 à 10% du total du CA du commerce dans les pays occidentaux », rappelle ainsi Olivier Badot. Régine Vanheems, de son côté, prévoit un « rééquilibrage » entre la technologie et l’humain au profit de ce dernier : « Lorsque les gens quittent leurs écrans, la rencontre avec le vendeur, l’humain, reprend toute son importance. » D’autant plus en matière d’expérience qu’elle appelle « sublimée », celle qui concerne les produits touchant au plaisir, à l’émotion, la surprise, le plaisir, par opposition à « l’expérience liquide » qui concerne les produits dits de réapprovisionnement (essence, alimentation, pharmacie…) qui ne nécessite rien d’autre que simplicité, rapidité, efficacité.
Erwin Cott, lui aussi, reconnaît une importance capitale à cet élément purement humain qui nécessite de « casser les modes de fonctionnement précédents, entendre les réticences, traiter les « irritants » du digital, savoir créer des communautés et miser sur la co-création ».