Inattendu mais presque inévitable, l’accord de coopération entre Système U et Auchan modifie le marché de la distribution. Et donne une nouvelle force de frappe aux deux groupes dans un contexte de guerre des prix.
C’est une onde de choc qui a traversé le secteur de la distribution. La rumeur d’alliance entre Système U et Auchan s’est confirmée: les deux groupes ont annoncé un accord de coopération à l’achat. En cause, “un contexte économique difficile de déflation destructrice de valeur, sans perspective, à moyen terme de rebond et une recomposition en cours du paysage du grand commerce français”, ont indiqué les enseignes. L’inéluctable concentration du marché, récemment marqué par le rachat de Dia par Carrefour, et la guerre des prix menée depuis dix-huit mois par le trio Carrefour-Casino-Leclerc, ont poussé Auchan et Système U à s’allier. Leur objectif: gagner de la compétitivité à l’achat en faisant valoir des intérêts communs pour améliorer leurs performances respectives sur le marché. Un non-événement, selon Rodolphe Bonnasse, directeur général de CA Com: “la tension sur le marché du prix est si forte que les acteurs n’ont pas 36 alternatives. Soit vous restez dans la guerre du prix et vous rendez de la marge et des résultats, soit vous massifiez vos achats pour obtenir des accords financiers plus importants au niveau des industriels”. Pour Système U, il devenait de plus en plus difficile d’atteindre les 15% de parts de marché fixés en s’appuyant uniquement sur sa croissance interne. S’adosser à Auchan permet ainsi au groupement piloté par Serge Papin de mettre à l’abri sa marque U. Du côté d’Auchan, il s’agit, avant tout, de ne pas laisser se dégrader son résultat opérationnel (au premier semestre 2004, le groupe affiche un résultat net en repli de 11,5% et une marge commerciale à -0,4%) par ses investissements prix.
Massification des achats
Des arguments suffisants pour que ces deux acteurs coopèrent, à trois semaines de l’ouverture de négociations commerciales 2015. Cette année, ce sera donc la centrale d’achat Eurauchan (regroupant déjà les commandes d’Auchan, Simply Market et Schiever) qui présentera aux industriels une proposition globale. L’accord portera sur la négociation à l’achat des marques nationales et internationales à l’exception des produits frais traditionnels. “Il s’agit, derrière cette nouvelle entité, d’avoir un effet coercitif”, précise-t-on chez Système U. La politique commerciale reste, cependant, la prérogative des enseignes. Reste que le rapprochement peut surprendre. À première vue, tout semble opposer les deux groupes: l’un, indépendant et régional, axé sur les supermarchés, l’autre, centralisé et international, très fort sur le format hypermarché.
La carpe et le lapin
Ces différences se révèlent être, au final, complémentaires. “Système U est plus fort, notamment dans l’Ouest, où Auchan est assez faible. Et inversement”, note Yves Marin, senior manager chez Kurt Salmon. “Ce mariage qui pourrait sembler être celui de la carpe et du lapin est très symptomatique de l’hybridation des modèles économiques du retail”. D’ailleurs, les deux groupes déclarent eux-mêmes partager des “valeurs communes”, à la fois dans “les pratiques” et “la façon d’envisager le marché”. Entre ces deux-là, en tout cas, il n’existe pas de concurrence frontale. Raison de plus pour s’unir et peser face aux deux poids lourds: Carrefour qui, avec Dia, va atteindre 22% du marché et E.Leclerc, qui en détient 20%. Selon Kantar Worldpanel, la part de marché de l’association Auchan-Système U se chiffre à 21,5%. Le duo devient ainsi le deuxième acteur français du secteur. Chez les industriels, l’annonce fait grincer des dents. “Nous appréhendons que les grands perdants de cette nouvelle donne ne soient les fournisseurs de la grande distribution”, affirme l’Ania, redoutant un nouveau renchérissement sur les prix. Contraints de revoir leur politique commerciale dans l’urgence, les industriels devront désormais négocier avec trois acteurs majeurs, à puissance quasi égale, qui vont demander les mêmes accords et bénéfices.
Le feu aux poudres ?
Dans un climat de négociations déjà incendiaire, l’alliance Système U- Auchan (officieusement baptisée “Système A”) risque d’embraser un peu plus les relations distributeurs-fournisseurs. “Les demandes fortes sur les prix qui seront formulées par Eurauchan, devraient, par un effet papillon, se propager chez les autres acteurs”, prévient Yves Marin. Difficile, cependant, d’aller encore plus loin dans une guerre des prix qui plombe aujourd’hui la marge des distributeurs et l’activité des fournisseurs. Pour Jean-Daniel Pick, associé au cabinet OC&C Strategy Consultants, il convient de relativiser la portée d’un accord qui exclut -également- les MDD: ”si cette alliance s’était étendue aux MDD, cela aurait permis d’allonger les lignes de fabrication pour les fournisseurs. Il y aurait pu y avoir un travail d’harmonisation sur les gammes et les recettes qui auraient permis de faire réelles économies pour tous les acteurs”. Ce n’est, pour le moment, pas la voie choisie par les deux groupes. Mais toujours est-il que si cette coopération se limite à une logique de bras de fer, sans promesse de supplément de chiffre d’affaires aux fournisseurs, ceux-ci ne joueront pas le jeu des distributeurs. De la même façon, pour mener à bien les engagements conclus avec la Fédération des Entreprises et Entrepreneurs de France (FEEF) et les partenariats vis-à-vis des PME, en 2015, une harmonisation – notamment sur les prix – devrait s’imposer entre les deux groupes. “Bien qu’ils aient annoncé le contraire, il faudra quand même que la centrale d’achat Eurauchan instaure un dialogue avec les enseignes, de façon à ce qu’il y ait un lien entre la stratégie d’achat globale et la politique commerciale des magasins”, ajoute Jean-Daniel Pick. L’accord de coopération entre Système U et Auchan devrait donc, logiquement, évoluer dans le temps. Sous le regard de la DGCCRF, appelée, par les fournisseurs, à renforcer les contrôles et les sanctions en cas de comportements abusifs de la part des distributeurs.