Dans un contexte de crise économique, la population bretonne, excédée par la pression fiscale royale, refuse de nouveaux impôts sur le papier timbré et l’étain. Les paysans, non seulement contre les nouveaux impôts mais aussi contre les abus des seigneurs, portent un bonnet en signe de ralliement et de révolte. Un bonnet de couleur rouge pour toute la partie centre ouest de la Bretagne où Sébastien Le Balp, l’un des meneurs, entre en lutte contre cette pression fiscale lointaine avec 6000 hommes. 30 000 volontaires le suivront. Un symbole fort de 1675 que les Bretons ont remis au goût du jour pour signifier leur ras le bol face à une nouvelle taxe pensée à Paris et qui viendra frapper à nouveau leurs entreprises déjà exangues dans un contexte de crise agricole et agroalimentaire sans précédent depuis plus de 30 ans. "Nous ne sommes plus en colère, rappelle l’un d’entre eux. Nous sommes en révolte".
Ils ont des bonnets rouges…
Au coeur du combat : l’écotaxe, cet impôt mal ficelé qui prend sa source dans les cartons du précédent gouvernement (loi du 2 août 2009 dite Grenelle I de l’environnement), ce texte dangereux pour l’économie, qui coûte cher et qui a perdu ses objectifs environnementaux en cours de route…
Parce qu’il semble bien que les présupposés environnementaux de cette écotaxe – ou taxe poids lourds – ont été sacrifiés sur l’autel de la pompe à finances. Le mécanisme de perception de la taxe fait figure d’énorme usine à gaz dont personne ne comprend vraiment ni les tenants et ni les aboutissants. D’ailleurs, maintes fois reporté, personne ne sait si, techniquement, il sera prêt pour l’entrée en vigueur de l’écotaxe prévue, cette fois, le 1er janvier prochain. Quant au principe de majoration forfaitaire, il a été négocié à l’arrachée par les transporteurs pour répercuter la charge de la taxe sur leurs clients donneurs d’ordre. Et soulève une bronca du côté des industriels qui les accusent d’enrichissement sans cause. Ambiance. L’affaire est encore plus radicale pour les entreprises de transport en compte propre, c’est-à-dire celles qui disposent de leur propre flotte de camions. Pourtant soumises aux mêmes contraintes que les transporteurs pour l’acquittement de l’écotaxe, elles ne bénéficient pas légalement de ce mécanisme de répercussion forfaitaire sur leurs clients. Question de lobby ? Au final, les tensions entre acteurs économiques sont ravivées. La pression sur les prix s’accentue. Et personne n’y gagnera rien, y compris l’écologie. Les petits transporteurs, aux marges quasi dans le rouge, verront probablement le dispositif protecteur qu’ils ont réclamé se retourner contre eux par le biais de négociations meurtrières sur les prix. Les petits chargeurs, déjà fragilisés, auront du mal à supporter seuls le poids de cette écotaxe qui atteindra entre 4% et 6% du budget transport, parfois plus. Quant aux grossistes-distributeurs agissant en transport pour compte propre, l’écotaxe pourrait peser entre 10% et 20% de leur résultat net ! Une aide précieuse pour la compétitivité des entreprises dans un contexte économique récessif…
Un système déconnecté de la réalité
Là où le bât blesse vraiment, c’est sur la déconnexion totale du système avec la réalité du terrain. Tous s’accordent à le dire. "Ils ont mis en place un mécanisme débile avec une application au réel pour le transporteur et une majoration forfaitaire pour les chargeurs", lance Michel Corso, directeur logistique Bel France et président du comité logistique de l’Ania. "La répercussion forfaitaire est complètement disjointe de qui est payé par les transporteurs", poursuit Philippe Barbier, président du groupe Pomona. "Le coût de la taxe pour les transporteurs est déconnecté de la facturation pour le client", ajoute Gil Yaniv, directeur associé du cabinet de consultants Diagma.
Des objectifs environnementaux bradés
Autre déconnexion : celle des objectifs environnementaux. A l’origine, rappelons qu’il s’agissait de favoriser le report modal de la route vers le fer ou le fluvial pour ne pas polluer et encombrer les routes françaises. A l’époque, les amendements pour défendre cet objectif ont tous été refusés. "Il fallait inciter au report modal en exonérant de la taxe ceux qui le pratiquaient", explique Dafina Bikova, de l’Ania. Du coup, ceux qui ont mis en place des transports multimodaux se verront taxés au même niveau que les autres sur leurs transports routiers. Autre objectif : inciter les chargeurs à utiliser des transporteurs vertueux disposant de camions propres. Comment ? En taxant les chargeurs de la même façon que leurs transporteurs soient équipés d’une poubelle roulante ou d’une Classe Euro 6. Très incitatif ! Quant aux camions étrangers traversant la France sur l’autoroute pour livrer à Marseille, ils ne paieront pas un centime d’écotaxe.
Ras la casquette…
Dans ce contexte, l’embrasement de la Bretagne de ce dernier week end d’octobre prend tout son sens. Dans une région sinistrée où l’agriculture et l’agro-alimentaire sont entrés dans une crise sans précédent, les bonnets rouges occupent le terrain. Ce sont des agriculteurs mais, aussi, des salariés d’entreprises agro-alimentaires en difficulté. Tonnes de choux-fleurs renversés, fumier déversé, heurts violents, blessés graves, bataille rangée, tragiques débordements. Les manifestations se sont produites à proximité des trois portiques encore opérationnels dans la région, en particulier à Pont-de-Buis, dans le Finistère. Objectif : faire tomber symboliquement l’écotaxe, en attendant mieux. Et ils iront plus loin. Echauffés ce week end par l’inflexibilité de Pierre Moscovici qui a nommé un M. Bretagne pour dénouer l’affaire tout en soulignant que le dispositif entrerait bien en vigueur le 1er janvier prochain, les bonnets rouges sont soutenus par nombre d’hommes politique qui montent au créneau, dont le député socialiste finistérien Jean-Jacques Urvoas qui demande l’ajournement de l’écotaxe afin de mesurer avec précision son impact sur les entreprises bretonnes. L’étau semblait se desserrer, dimanche 27 octobre, dans la soirée, avec l’intervention du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Fol, qui dit avoir "parfaitement compris" la colère des Bretons. Le ministre n’a pas écarté la possibilité d’augmenter l’abattement de 50% accordé à la Bretagne compte tenu de sa situation géographique excentrée. Stéphane Le Fol doit remettre, lundi 28 octobre, dans l’après-midi, des propositions d’aménagement de l’écotaxe au Premier ministre. En attendant, les bonnets rouges ont pris date pour le 2 novembre prochain à Quimper. Un réunion décidée par le Collectif de l’emploi en Bretagne devrait rassembler l’ensemble des opposants à l’écotaxe : industriels, agriculteurs, pêcheurs… de quoi faire bouger les lignes de cet impôt habillé de vert qui pousse les entreprises dans le rouge.
A noter pour conclure : nous venons juste de recevoir par courrier un communiqué de presse d’Ecomouv’, l’organisme chargé de collecter la taxe auprès des transporteurs pour le compte de l’Etat. Un com’ qui tombe à pic ! Bravo pour le timing. Bravo, aussi, pour la présentation : une feuille A4 et une carte nationale du réseau taxable dans un énorme carton bien trop grand aux couleurs d’Ecoumouv’. Quand l’environnement est au coeur des préoccupations…
A lire aussi, notre dossier complet sur les rouages de paru en juillet 2013
http://www.pointsdevente.fr/visualisation-darticles/detail/ca-ne-roule-pour-personne.html