Elles arrivent à grands pas. Et à grand bruit. Dans un contexte extrêmement tendu, les prochaines échéances électorales dessinent les contours de ce que souhaitent ou ne veulent pas (ou plus) les différents acteurs de l’économie. C’est l’heure des questions, des requêtes, des alertes où chacun se mobilise auprès des pouvoirs publics, élus et candidats à la présidentielle 2017 pour faire passer son message, mettant dans la balance les emplois qui peuvent être créés ou détruits, selon les politiques qui seront menées. Au menu des cahiers de doléances des entreprises: simplification des règles fiscales, baisse du coût du travail, fiscalité équitable, différenciation entre grands groupes et PME… Dans ce contexte, le Conseil du Commerce de France (CdCF) lance son mot d’ordre: assurer un développement équilibré des différentes formes de commerce. L’association, qui regroupe une trentaine de fédérations professionnelles et représente le commerce dans toute sa diversité, a lancé un appel aux candidats à la présidentielle 2017 sur l’avenir du commerce en France. Objectif: les alerter sur l’impact des politiques publiques sur la situation du commerce qui représente 3,5millions d’emplois en France (dont 3millions de salariés), 873?000 entreprises, et réalise un chiffre d’affaires de 1?409 Mds €. Le CdCF a, ainsi, lancé une grande campagne de communication autour de son Manifeste “Une nouvelle politique pour le commerce – Comment préserver l’emploi?” publié en février dernier. Un site Internet dédié (www.cdcf-elections-2017.com) relaie informations et interventions vidéo des représentants du commerce (et bientôt des candidats). Et la 9e édition des États Généraux du Commerce, qui s’est tenue le 21?mars dernier, a été l’occasion de débattre des enjeux du secteur dans un monde numérique, mais aussi d’interpeller les principaux candidats (Fillon, Hamon, Macron, Mélenchon, Le Pen) sur leur programme en faveur du commerce. Le Manifeste leur avait préalablement été adressé afin de recueillir leur avis sur les propositions du CdCF et connaître leurs engagements vis-à-vis des commerçants. Leurs représentants sont donc venus (sauf celui d’Emmanuel Macron, empêché) débattre pendant une vingtaine de minutes chacun devant les quelque 400 acteurs du commerce présents (grandes enseignes, distributeurs spécialisés, commerçants indépendants, e-commerçants…) afin de tenter de les rallier à leur cause. Une initiative démocratique et enrichissante même si, à écouter les témoignages en coulisse, les dés semblaient déjà jetés pour nombre d’entrepreneurs: le choix se fera “entre les deux candidats valables: Fillon ou Macron”. À l’exception de certains commerçants indépendants de proximité, concurrencés à la fois par les grandes enseignes et le e-commerce, qui semblaient intéressés par les propositions de Jean-Luc Mélenchon ou de Marine Le Pen. D’ailleurs, l’applaudimètre a confirmé la tendance (en l’absence d’Emmanuel Macron). En tête: Hervé Novelli, porte-parole du candidat LR François Fillon, secrétaire d’État chargé du Commerce, de l’Artisanat et des PME de 2007 à 2010 sous le gouvernement Fillon; suivi de Razzy Hammadi, représentant le candidat PS Benoît Hamon, député de Seine Saint-Denis, ainsi que vice-président de la Commission nationale d’aménagement commercial. Vient ensuite Danielle Simonnet, représentant le projet de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon, conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche. Et, en dernière position à l’applaudimètre: Dr Joëlle Mélin, représentant la candidate Marine Le Pen, députée européenne et élue FN à Aubagne. “Lors des dernières élections présidentielles, en 2012, nous avions réalisé le même exercice, non sans succès puisque certaines de nos demandes ont été reprises, comme le prouve l’installation, l’année dernière, de la Commission de concertation du Commerce dite 3C”, souligne William Koeberlé, président du CdCF. Cette fois, le Conseil du Commerce de France a souhaité interpeller les différents candidats et familles politiques sur la nécessité de préserver la dynamique d’emploi du secteur confronté à une triple révolution technologique: le développement du e-commerce, la numérisation des données et la robotisation des tâches. En réclamant, pour accompagner cette nécessaire évolution, l’égalité des conditions de concurrence, et en proposant des mesures disruptives en matière d’équité fiscale ou de simplification législative…
Triple révolution technologique Pour l’heure, pas d’études d’impact sur cette triple révolution technologique pour la France. En revanche, des études prospectives ont été menées en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas “qui révèlent une rupture profonde du commerce et de ses emplois”, souligne William Koeberlé. Ainsi, en Grande-Bretagne, l’accélération de la fermeture des magasins, l’automatisation, les gains de productivité et les nouveaux emplois conduiraient à une perte nette de 910 00 emplois entre2014 et2025. “En France, 390?000 commerces ont fermé leurs portes entre2011 et2015 et plusieurs études ont déjà pointé les effets de la robotisation et de l’automatisation des entrepôts”, alerte William Koeberlé pour mieux appuyer l’urgence des requêtes du commerce. À cet égard, France Stratégie, le think tank public créé en 2013, dont la vocation est d’évaluer les politiques publiques et d’anticiper les mutations à venir afin de proposer un certain nombre de réformes, estime dans une analyse de 2016, qu’avec l’automatisation des paiements, le nombre des emplois liés à l’encaissement a diminué de 10% en dix ans, passant de 205?000?à 185?000. Nicolas Le Ru, responsable de projet au sein du département travail emplois compétences (DTEC) chez France Stratégie, tempère cependant: “Après 10 ans, 90% des emplois de caissiers sont toujours là. Il existe quand même des tendances lourdes dans l’emploi: tout ne change pas du jour au lendemain.” En revanche, en logistique, les mutations semblent plus avancées. Selon une étude du cabinet Roland Berger, “Des robots et des hommes” (2016), le recours à la robotisation pourrait conduire, d’ici dix ans, à la suppression de 40% des 166?000 manutentionnaires du commerce. En effet, le coût horaire complet d’un robot se situe déjà à 18-20?€/heure, à iso heures travaillées, comparé à un coût moyen humain de 17-18?€/heure en France. Parallèlement, le président du CdCf rappelle la place croissante du e-commerce, qui représente déjà 7% des ventes de détail global en France, 39% pour les produits culturels, 22% pour les jouets, 15% pour l’habillement, 11% pour la chaussure et 10% pour le sport. Et la numérisation des données, qui modifie en profondeur la gestion interne de l’entreprise (facturation, paiement, stocks…), a des conséquences sur l’emploi, tout en permettant une connaissance approfondie et personnalisée du client et de ses attentes. Si les défis sont immenses, les opportunités à saisir sont également extrêmement importantes. “Nous ne sommes pas dans la vision inquiète de nos amis britanniques, précise Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Cette triple révolution est une vraie chance: pour le consommateur qui aura accès à plus de services; pour les emplois qui vont naturellement évoluer et se développer; et pour nos villes puisque cela nous permettra de créer de la proximité et de maintenir du lien social. C’est ce qui nous caractérise par rapport à l’autre modèle, celui du pur e-commerce”. Inscrit dans cette dynamique, le Manifeste du CdCF articule ses propositions autour de 4 grands thèmes afin d’accompagner au mieux les commerçants dans les défis qui les attendent: » permettre le développement équilibré de toutes les formes de commerce, physique et digital, grâce notamment à une plus grande équité fiscale entre tous les acteurs économiques; » simplifier la vie des commerçants en allégeant le carcan administratif et réglementaire pour libérer l’investissement et les embauches avec un important volet sur la baisse du coût du travail; » accompagner les commerçants dans leur nécessaire modernisation, notamment digitale, afin de répondre aux nouvelles attentes de consommation des clients; » développer la formation afin d’accompagner les 3,5millions de femmes et hommes du commerce dans la maîtrise de ces nouveaux métiers et nouvelles formes de vente et accroître l’intégration professionnelle des jeunes grâce au développement de l’alternance.
Distorsion de concurrence Fiscalité et coût du travail. Ce sont les deux points clés et fondateurs des requêtes des acteurs du commerce avec la baisse du coût du travail. Si les membres du CdCf assurent ne pas vouloir opposer une forme de commerce à une autre, les signaux d’alerte lancés ciblent largement le e-commerce et, surtout, les pure players qui, pour certains, bénéficient de traitements fiscaux avantageux, Amazon arrivant largement en tête de la cristallisation des ressentiments. Il faut dire que si le chiffre d’affaires du e-commerce n’est encore que de 72 Mds € en France (+ 14 % en 2015 par rapport à 2014), il progresse plus rapidement que celui du commerce dans son ensemble (+0,53% en 2015). En dix ans, les ventes sur Internet ont, ainsi, progressé de 675% indique le CdCF, dont la Fevad (Fédération des entreprises de vente à distance) fait partie. Il faut dire que le e-commerce n’est pas soumis aux mêmes contraintes opérationnelles, fiscales et réglementaires que le commerce physique. Une première rupture est consommée sur la fiscalité où des acteurs comme Amazon ne paie des impôts locaux fonciers que pour ses 5 plateformes logistiques en France. A contrario, une enseigne comme Carrefour doit s’acquitter de son dû sur quelque 5?670 magasins implantés sur le territoire français. “Il y a donc une rupture d’égalité de concurrence au regard de la fiscalité locale liée à un nouveau canal de distribution”, estime Claude Boulle président exécutif de l’Alliance du Commerce qui regroupe les fédérations des enseignes de la chaussure, de l’habillement et l’Union du grand commerce de centre-ville (26?000 points de vente, 200?000 salariés). C’est d’autant plus regrettable qu’une deuxième rupture se produit au niveau de l’emploi puisque “pour réaliser un million de chiffre d’affaires, le travail pour un pure player demande 3 à 5 fois moins de personnel que le commerce physique”, ajoute William Koeberlé. Et qu’un “troisième effet kiss cool pèse avec les contraintes environnementales, comme celle relevant de la loi sur la biodiversité où, par exemple, les créations ou transformations de surfaces commerciales supérieures à 1?000?m2 se voient dans l’obligation de végétaliser leur toiture ou d’y intégrer un moyen de production d’énergies renouvelables, ce qui n’est pas le cas pour les entrepôts des pure players”, précise Gontran