Selon France Stratégie, l’économie circulaire représente 800 000 emplois en France. Exemple : le développement d’activités de réparation des produits usagés, de réutilisation ou de recyclage des déchets génère 25 fois plus d’emplois que la mise en décharge de ces déchets. Pour les entreprises, le premier impact de l’économie circulaire est celui de la réduction des coûts. La Fondation Ellen MacArthur indique que les matières premières constituent 40 à 60 % du coût de base des entreprises manufacturières. Ce coût est d’autant plus important que la plupart de ces ressources sont importées et limitées, notamment les énergies fossiles. Ainsi, l’économie circulaire et la data donnent l’opportunité aux entreprises, au-delà de la réduction de leurs coûts, de faire émerger de nouveaux modèles économiques vertueux en créant de la valeur pour eux et leur écosystème, tout en participant activement à la préservation de l’environnement. Alors comment passer à la vitesse supérieure ?
Souvent l’on entend dire que l’économie circulaire, cela fonctionne, parce que l’on arrive à transformer les déchets. “Mais à y regarder de plus près, on s’aperçoit que c’est un exercice compliqué”, annonce Rémy Le Moigne, consultant, auteur de L’économie circulaire, Stratégie pour un monde durable– 2e éd. Effectivement. Car pour recycler correctement un produit, encore faut-il pouvoir accéder aux informations qui le caractérisent. Quels sont les matériaux utilisés ? Y-a-t-il des substances toxiques ou dangereuses ? comment le produit a-t-il été démonté avant d’arriver chez le recycleur ? quel usage a-t-on fait du produit ? Ainsi, l’équation simple “déchet = ressource” ne fonctionne pas. Pour améliorer le cycle de vie circulaire, il faut s’appuyer sur “déchet + information = ressource”.
Ne pas raconter n’importe quoi
“On voit bien l’importance de la data dans nos activités qui, à l’origine, sont des “trucs” de poubelle, lance Jean Hornain, DG de Citeo, entreprise privée responsable du dispositif national français de tri et de recyclage des emballages ménagers. Aujourd’hui, la poubelle est connectée, digitale. Cela n’empêche, qu’à la base de cette activité, il y a la citoyenneté, la civilité, le respect de l’autre, la gestion du temps long. C’est un sport collectif (ndlr Jean Hornain est un ancien joueur de l’équipe de France de volley-ball) qui engage une responsabilité collective : celle des entreprises, celle des collectivités locales pour collecter, celle des citoyens pour faire ce petit geste au quotidien. C’est ce sens de la responsabilité qui doit être partagé par tous qui va nous permettre de réussir. C’est cette combinaison d’hyper innovation avec la data et ce que nous recherchons tous, l’humain”. Un travail sur les données primordial pour répondre aux enjeux de l’économie circulaire : en amont pour travailler l’écoconception des emballages puis pour organiser sa recyclabilité ou sa substitution, mais aussi en aval pour informer le consommateur de ce qu’il achète. Et là, la granularité de l’information à livrer doit être vraiment pertinente afin de ne pas tromper les citoyens. “Ce n’est pas du marketing, il faut bannir les caricatures qui peuvent tromper le consommateur”, assène Jean Hornain. Exemple : le plastique biosourcé, issu de ressources renouvelables (végétale, animale, résiduelle…), n’est pas forcément biodégradable. Citeo travaille sur ce point avec GS1 sur un projet d’intégration de toutes les données de l’emballage à l’intérieur du code-barres, “ce qui permettrait une simplification des systèmes d’information en amont et, en aval, la restitution d’une information lisible et accessible au consommateur lui garantissant ce qu’il est en train d’acheter”, ajoute-t-il.
Équilibre paradoxal à trouver
Même engagement du côté de Valentina Carbone, co-directrice de la Chaire Economie circulaire à ESCP Europe qui rappelle “que beaucoup de volailles estampillées made in France, voire avec un Label, sont nourries au soja transgénique brésilien. La visibilité d’une donnée pertinente est essentielle de bout en bout de la chaîne, sinon le consommateur ne peut faire un choix éclairé”. L’enseignante travaille, d’ailleurs, avec l’Ademe et ses étudiants pour décortiquer les décisions fausses prises par les consommateurs sur la base de ces signaux erronés. Plus globalement, Valentina Carbone tente de tisser des passerelles entre deux mondes. Celui de la Fondation Ellen MacArthur, “le business case de l’économie circulaire qui fait plaisir aux entreprises en donnant comme vision un moteur pour continuer à croître tout en essayant de limiter les effets négatifs sur la société. Mais cela aurait été une faute déontologique de ma part dans mes enseignements : face aux enjeux climatiques, ces pansements sont insuffisants. Il faut complètement repenser nos modèles économiques”, estime-t-elle. L’enseignante s’est donc tournée vers l’autre versant dans sa réflexion : celui de la décroissance, de la permaculture, etc. “Mais là, on se situe déjà aux frontières du système”, et d’ajouter, non sans humour : “Cela ne m’aurait pas emmenée très loin en école de commerce”. Entre ces deux mondes, pour l’instant, s’installe un dialogue de sourd que Valentina Carbone tente de rompre : “Il ne faut pas renier les grands enjeux, il faut les accepter, nous sommes face au mur, vraiment, il faut le dire. Et à partir de là, il faut essayer de créer des espaces de création de valeur, d’innovation, sans renier le paradoxe”, affirme-t-elle. Son leitmotiv étant d’aider les jeunes d’aujourd’hui à devenir des managers de demain avec un esprit critique et la volonté de remettre en question des postulats qui existent encore, comme le PIB, le ROI ou les externalités négatives environnementales qui sont toujours invisibles dans la comptabilité des entreprises. Un constat repris par Jean Hornain qui milite pour “l’internalisation de l’externalité négative dans les entreprises. On ne peut plus produire quelque chose sans intégrer, y compris financièrement, les impacts négatifs dans les comptes. L’entreprise doit être un levier de contribution au bien commun dont les objectifs ne peuvent plus uniquement être à l’horizon de 3 mois : cela va impacter jusqu’aux objectifs des dirigeants eux-mêmes”. Quant aux changements nécessaires en matière d’apprentissage, ils sont partagés par François-Michel Lambert, député des Bouches du Rhône et président de l’Institut de l’Économie circulaire qui propose que des ODD (objectifs de développement durable) puissent être mis en œuvre dans les établissements scolaires. Chaque professeur pourrait ainsi expliquer en quoi les mathématiques ou la philosophie peuvent aider à répondre à des ODD.
Faire circuler la donnée
Quant à la data, Valentina Carbone “ne croit pas au messianisme technologique. Tesla et les autres ne me font pas rêver parce que, souvent, on est dans une posture de technologie pour la technologie en oubliant complètement les effets dévastateurs. En revanche, je suis d’accord sur la data : elle nourrit la possibilité de mettre en place des business models d’économie circulaire. Si, toutefois, elle est ouverte et accessible au plus grand nombre, y compris aux consommateurs qui deviennent, ainsi, partie prenante et acteurs du changement vers l’économie circulaire”.
De son côté, François-Michel Lambert, qui est aussi ingénieur en logistique, insiste sur la nécessaire circulation des matières pour passer d’une économie de stock à une économie de flux : “Nous avons donc besoin de data de très grande qualité, en très grand volume, disponible le plus vite possible et traitée le plus vite possible.” Selon lui, il faut absolument rapprocher le monde de la logistique et de la data avec les ressources, en intelligence. “Nous allons être en tension sur certaines ressources dans les années qui viennent. Il faut d’abord créer de la résilience puis créer des valeurs à partir de ses ressources”, ajoute-t-il avant de prédire que, bientôt, existeront des entreprises de type Cobalt & Co ou Titane & Co qui détiendront ces ressources et les mettront en location en entreprise avant de les récupérer, de les recycler et de les réallouer ailleurs.
Ça commence à bouger…
Des initiatives où l’on essaie d’associer le plus possible les informations avec le produit commencent à se déployer sur des biens d’une valeur de plus en plus faible. Exemple avec le mobilier de bureau dont 8,5 millions de tonnes se retrouvent dans les décharges du monde entier, retirant de manière permanente des matériaux utilisés de la chaîne de valeur. Dans ce domaine, Steelcase procède à une analyse exhaustive de tous les matériaux utilisés qui est partagée avec l’ensemble de son écosystème. L’entreprise intègre des capteurs pour mesurer l’utilisation des chaises et des bureaux afin d’optimiser le parc des entreprises – le mobilier sous utilisé peut être récupéré – et de détecter les points d’usure afin que le matériel puisse être remis à neuf (changement de tissu, de roulettes, de vérin, nettoyage des pièces…), “ce qui coûte beaucoup moins cher financièrement et au niveau environnemental puisque les grandes mécaniques sont conservées”, précise Rémy Le Moigne. Steelcase a mis en place des programmes de récupération et de redéploiement (Eco’Services en France) aidant les entreprises à inventorier leur mobilier et établir des plans de redéploiement optimisés. Ces programmes impliquent un vaste réseau de partenaires dans une approche circulaire désolidarisant la croissance économique de la consommation de ressources et contribuant au redéploiement, à la remise en état, à la revente ou au don, au transport vers des opérateurs de recyclage, à la refabrication.
Le textile s’engage doucement, il était temps !
Dans le secteur textile, les initiatives émergent également. Avec une durée de vie très courte liée à la mode, le textile est également un bien de consommation polluant dans ses process de fabrication (eau, pesticides, composants toxiques, recyclage compliqué…). La marque américaine de vêtements “outdoor”, Patagonia, a initié le mouvement il y a presque dix ans en faisant réfléchir sur l’hyperconsommation. Dans une page de publicité dans le New York Times, elle incitait les lecteurs, le jour du Black Friday, à ne pas acheter ses produits : “Dont’ buy this jacket”. En 2015, son programme Worn Wear pousse un peu plus loin son approche de l’économie circulaire. Il vise à sensibiliser les consommateurs au gaspillage et les aide à réparer leurs vêtements ou à les récupérer pour les recycler. Patagonia dispose d’un centre de réparation dans le Nevada et au Portugal. Sur son site, l’entreprise vend des articles de deuxième main provenant directement des clients et propose des tutoriels de réparation de vêtements réalisés en partenariat avec iFixit. La démarche fait sens. “Plusieurs industriels se sont réunis autour de GS1 afin de réfléchir à un standard d’identification des vêtements qui pourrait être partagé entre tous les acteurs et utilisateurs de l’industrie textile. Si, demain, nous parvenons à avoir cette carte d’identité pour chaque vêtement, avec toutes les informations utiles, cela facilitera cette économie circulaire du textile qui, aujourd’hui, a du mal à trouver ses marques”, précise Rémy Le Moigne. Beaucoup de vêtements finissant enfouis ou brûlés.
Côté emballages et contenants, là aussi le recyclage est délicat. D’abord au niveau de la collecte. Par exemple, “seuls 13 % du plastique que nous mettons sur le marché chaque année est collecté, rappelle Valentina Carbone, professeur de Supply chain management & Sustainable business models et co-directrice de la Chaire Economique circulaire à ESCP Europe. Le reste part en déchetterie et les 35 % restants en mer”. Selon la Fondation Ellen MacArthur, 8 à 10 millions de tonnes de plastique finissent dans l’océan chaque année. Et lorsque les produits parviennent jusqu’au recycleur, celui-ci ne sait pas forcément comment les traiter (usage, historique, composition, toxicité…). Une situation amplifiée avec les innovations constantes en matière d’emballage et une information qui ne suit pas. “Le tri optique et les technologies existantes ne suffisent pas pour suivre toutes les nouveautés qui arrivent sur le marché”, remarque Rémy Le Moigne. De nombreuses initiatives émergent, néanmoins, en particulier sur les plastiques : utilisation de plastiques recyclés, réutilisables, recyclables, compostables. Un acteur important des PGC réfléchirait, selon Rémy Le Moigne, à l’insertion de traceurs invisibles dans les emballages plastiques qui, lus par des caméras ou smartphones, permettrait de visualiser l’identifiant du contenant afin que l’opérateur de recyclage puisse avoir accès aux informations nécessaires pour réaliser sa mission. Car c’est une nécessité : pour faciliter le recyclage, les produits qui circulent au sein des supply chains devront, impérativement, demain, être accompagnés tout au long de leur parcours, d’informations sur la composition de leurs matériaux, leur provenance, leur usage et leur gestion en fin de vie. La généralisation de certaines technologies comme les capteurs à bas coût, l’IoT ou encore la blockchain devrait faciliter la collecte, le stockage et l’échange de ces données.