Comment conjuguer cosmétique et circularité ? D’entrée de jeu, Ariane Thomas, directrice du développement stratégique des Opérations chez L’Oréal, souligne la difficulté. L’ancienne directrice de l’environnement du groupe pose les termes clairement : “Quand on est Patagonia et que l’on demande à ses clients de ramener une veste usagée en magasin avec un certain nombre de compensations, c’est assez intuitif, assez simple pour le citoyen en termes de comportement. Quand on a une bouteille de shampooing, dans le meilleur des cas, elle se retrouve dans la poubelle jaune”. Pour elle, l’économie circulaire est un sujet stratégique. C’est un sujet de consommation et de comportement de l’entreprise et de toutes les parties prenantes de son écosystème, non seulement d’un point de vue de responsabilité sociétale, mais aussi d’un point de vue industriel. “L’économie circulaire, c’est du bon sens industriel. Mais ce qui change aujourd’hui, de façon radicale, c’est à la fois le rythme des innovations et le fait que, jusqu’à présent, nous avons évolué dans un monde linéaire. Les changements à venir sont exponentiels. Avec plus de 10 milliards d’humains d’ici quelques années, il nous faudrait 4 planètes pour subvenir à nos besoins”, alerte-t-elle. Sachant que l’Overshoot Day (jour du dépassement) intervient de plus en plus tôt chaque année et que L’Oréal dépend à 80 % de ressources hors d’Europe. Dans ce contexte, “nous n’avons aucun mal à réaliser notre chiffre d’affaires, en revanche, le rythme de nos innovations et le rythme de la transformation pour nos équipes doit être stratégiquement différent”, insiste Ariane Thomas.
Repenser et adapter les business models
Concrètement, il s’agit, pour les entreprises “comme les nôtres, même dans le secteur de la cosmétique, de repenser et d’adapter nos business models. Idem pour les process production. Il faut fermer les boucles de matière, engager le consommateur et nos fournisseurs dans des modes de consommation totalement différents”, estime-t-elle. De fait, L’Oréal s’est engagé, dès 2009, à réduire de moitié son empreinte environnementale, sur les déchets, sur les émissions de CO2 et l’eau. Une démarche relativement complexe pour les déchets, très fragmentés, que ce soit au niveau de la maille des fournisseurs, des usines, des transporteurs jusqu’aux consommateurs puis des recycleurs. “Le sujet est complexe. Nous avons besoin de réponses simples. Ce qui permet de vraiment transformer les comportements, c’est le partage de l’information, davantage que celui de la data. Certes, les IoT, intelligence artificielle et blockchain sont autant de technologies qui vont, petit à petit, s’articuler et permettre des effets de levier extrêmement importants. Mais c’est bien l’engagement de nos équipes et de notre écosystème et le partage de l’information, des bonnes pratiques et des échecs qui est stratégique”, soutient Ariane Thomas. Le groupe a mis en place, depuis dix ans, des programmes d’engagement de ses fournisseurs dans la digitalisation et le développement durable en les mettant en compétition. Une démarche que L’Oréal suit également : “nous mettre en posture pour travailler avec nos compétiteurs, avec d’autres industries permet réellement un effet de masse et une accélération des solutions”, ajoute-t-elle.
Spot
Pour aller plus loin et passer au-delà d’une certaine obsolescence des systèmes d’information conçus dans une logique linéaire, L’Oréal a développé un outil baptisé Spot, pour Sustainable Product Optimization Tool, capable de calculer l’impact social et environnemental de tous les produits du groupe à toutes les étapes de leur cycle de vie. Des informations qui sont échangées en interne (recherche, marketing, packaging…) comme en externe. Des mesures indispensables pour bâtir des démarches d’écoconception. Par exemple, “cet outil permet à nos équipes marketing de changer de paradigme lors du développement de produit en décorrélant l’empreinte environnementale de son impact. C’est bien de se débarrasser d’une matière indésirable mais sans pour autant renforcer de façon désastreuse notre impact sur un autre critère, comme l’eau par exemple. Il n’y a pas de solution miracle. Mais la question de la responsabilité et de la mesure est stratégique”, conclut-elle.