Le succès chinois

Pour un internaute lambda occidental, Alibaba est l’entreprise la plus énigmatique parmi les quatre grandes marketplaces de la planète. La firme chinoise, créée en 1999, dans la méconnue - mais pourtant gigantesque - ville de Hangzhou dans le Zhejiang (Est du pays) voit son chiffre d’affaires flirter avec celui de eBay ou Rakuten, alors même que la moitié de la planète n’aura jamais l’occasion de visiter les sites que la société exploite. En bref, à moins d’être un sinophile averti, il y a peu de chances que des noms comme taobao.com ou tmall.com évoquent quoi que ce soit aux Européens, ni que les utilisateurs de PayPal, le service de paiement lancé par eBay, se retrouvent sur Alipay, celui d’Alibaba. Sans remettre en cause la fluidité de la place de marché taobao.com et la formidable aventure que représente l’empire Alibaba - à l’origine: alibaba.com, site de B-to-B local fondé par l’entrepreneur du web Jack Ma- le succès réside plus sur l’effet de levier de la démographie chinoise que sur une réelle innovation. La force de Jack Ma, souvent comparé à Steve Jobs pour son côté précurseur et sa sérénité à toute épreuve, est d’avoir compris le potentiel d’une Chine connectée sur la toile, au beau milieu des années quatre-vingt-dix, quand le web grand public en était à ses balbutiements et à peu près inexistant en Chine. Ouverture au webCapitalisant sur la difficulté des firmes étrangères à s’implanter en Chine et sur la proximité culturelle d’Alibaba et de ses marques avec le public chinois, l’ouverture du pays au web a fait le reste. Quatorze ans après son lancement, la place de vente chinoise présente des chiffres prodigieux sur sa propre aire culturelle: plus de 500millions d’utilisateurs enregistrés, 71% de toutes les transactions en ligne effectuées en Chine. Mission accomplie pour Jack Ma, l’ancien professeur d’anglais devenu milliardaire du web, qui a décidé, en mai dernier, à l’âge de 48 ans, de transmettre les rênes de son groupe, de ses 24?000 employés et de ses sites qui ont hébergé pour 157?milliards de dollars de ventes en 2012. Si les performances du groupe chinois restent méconnues du grand public occidental, c’est d’abord parce que Jack Ma n’a jamais cherché à s’opposer aux géants américains sur son terrain, préférant miser sur le potentiel de croissance des pays émergents d’Asie. Une position stratégique qui a véritablement été un pilier dans la carte mondiale de la stratégie des marketplaces. L’ascension chinoise d’Alibaba a, à la fois, rendu très délicat l’accès pour Amazon ou eBay à ces marchés prometteurs, où leurs résultats demeurent décevants mais, également, contraint le Japonais Rakuten à se lancer à la conquête de l’Europe et de l’Amérique du Nord, en quête de nouveaux débouchés. Captant la clientèle des Huaqiao, ces Chinois de l’outre-mer, Alibaba s’est durablement implanté dans des marchés à forte croissance, à Singapour ou en Malaisie, en attendant de se développer dans le reste de l’Asie du Sud-Est. Alors qu’avant 2010, le commerce en ligne représentait moins de dix milliards de dollars sur la zone, il devrait constituer un gâteau de 25?milliards en 2020, avec la plus grosse part dans l’escarcelle de la firme de Hangzhou. Dans cette nouvelle illustration de la rivalité sino-japonaise, l’avantage est clairement à Alibaba. Mais le regain d’intérêt des industriels nippons pour le sud-est asiatique laisse penser que Rakuten et ses 84millions d’utilisateurs n’ont pas dit leur dernier mot. Amazon Machine de guerre Amazon est loin de faire l’unanimité en France et se voit régulièrement attaqué sur sa politique fiscale ou sa gestion du droit du travail. Pourtant, le géant du web reste l’une des dernières entreprises à ouvrir en France, à pourvoir des milliers d’emplois malgré la crise grâce à ses centres de distribution. Après l’implantation à Saran (Loiret) d’un entrepôt de 70?000?m2 (l’équivalent d’une dizaine de terrains de football) en 2007, et un similaire en 2010 à Montélimar (Drôme) de 36?000?m2 , Amazon a continué son expansion dans l’Hexagone avec un troisième centre à proximité de Châlon-sur-Saône en 2012 (40?000?m2 ). Un quatrième à Lauwin-Planque, à côté de Douai est annoncé pour 2013 et devrait couvrir 90?000?m2 . En tout, depuis six ans, la firme de Seattle a créé 1?400 emplois en France et annonce 2?500 nouveaux postes d’ici à 2015. La petite librairie en ligne des années 90 est aujourd’hui l’une des dix entreprises qui crée le plus d’emplois en France.