La grande illusion ?

En 2008, vous aviez écrit, dans l’un de vos articles: “L’économie sociale et solidaire n’existe pas”. Que vouliez-vous dire par là? C’est, vous l’aurez compris, une provocation. Mais pas tant que ça. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il existe un discours autour du terme économie sociale et solidaire. Et l’illusion serait de croire qu’elle relève d’une autre économie que le capitalisme. Dans le monde, il n’y a pas un univers pur, fondé sur des valeurs, et un autre rempli de gens capitalistes qui marchandent tout. Ces deux tendances-là sont souvent dans les mêmes personnes et la réalité est plus compliquée que le discours visant à opposer économies sociales et capitalistes. L’économie sociale est, au contraire, une économie dominée dans une économie dominante. Il suffit de regarder, par exemple, quelles techniques sont utilisées par les associations pour récolter des dons: toutes sont issues du domaine marchand et du marketing. Le discours de différenciation radicale d’une économie sociale qui serait une alternative à la crise, reste donc une croyance qui, de plus, va de paire avec le développement du capitalisme, en lui apportant une utilité morale.Ca représente quoi, alors, l’économie sociale?Justement, le problème, c’est qu’on ne sait pas trop où elle s’arrête. D’ailleurs, l’une des premières mesures annoncées par le ministère dédié à l’Économie sociale et solidaire sera de définir son périmètre. Car, actuellement, entre une entreprise responsable qui fait des efforts en matière de recrutement, de salaires, de diversité ou d’engagements environnementaux et une association qui exploite ses salariés en contrats aidés, on ne sait plus ce qui relève de l’économie sociale et responsable. Idem concernant les fondations d’entreprises: où les ranger? Le concept est flottant. D’autant que certains veulent étendre les frontières de l’économie sociale aux entreprises lucratives, que l’on pourrait labelliser comme entreprises sociales. Cette forme de capitalisme éthique part de l’idée que l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général et que l’entreprise a aussi des choses à dire, en matière d’utilité sociale.L’économie sociale ne serait donc pas sociale?Attention, je ne remets pas en cause l’ensemble des activités de l’économie sociale: le microcrédit ou l’insertion sont, bien sûr, des missions utiles. Mais quant à une volonté d’émancipation par rapport à l’ordre économique existant, cela relève de l’utopie. Et l’on se rend vite compte que, dès qu’il y a généralisation du principe, l’équation se complique. Cela donne des produits financiers comme Natixis, fruit de la coopération entre la Banque populaire et les Caisses d’épargne, que n’importe quelle banque commerciale aurait pu sortir. Pire, certains se servent de l’étiquette sociale et solidaire comme alibi pour justifier des pratiques injustifiables. On s’est ainsi rendu compte que le rapport salarial dans les entreprises sociales n’étaient pas si différent qu’ailleurs et pas toujours conforme au droit. Le pourcentage de salariés du secteur associatif qui ne relèvent d’aucune convention collective s’élève, notamment, à 30%, contre 8% pour le secteur marchand. Et certaines de ces associations peuvent être pires que des employeurs classiques dans leur organisation du travail. Sauf qu’elles véhiculent un idéal social au nom duquel les salariés acceptent de travailler jusqu’à 75 h par semaine pour un faible salaire avec, en prime, un dévouement qui ferait rêver n’importe quel patron du système capitaliste !