L’architecture traditionnelle des marchés de grande consommation vacille, entraînant dans son sillage un bouleversement de la chaîne de valeur. Sous l’effet des mutations du capitalisme, des transformations sociétales, de l’urgence climatique et de l’avènement des technologies numériques, de nouvelles formes de commerce émergent, où le consommateur est roi. Les frontières entre producteurs et distributeurs s’estompent. Une nouvelle architecture, dite servicielle, se met progressivement en place. Le tout dans un contexte de retour de l’inflation structurelle qui complexifie singulièrement la tâche. Le point avec quelques intervenants de la Journée Partage & Prospective, organisée par l’Institut du Commerce, le 19 mai dernier. Par Catherine Batteux
Enfin ! Après deux éditions en virtuel pour cause de crise sanitaire, la Journée Partage & Prospective, organisée par l’Institut du Commerce, s’est tenue au Jardin d’Acclimatation à Paris, le 19 mai dernier. Elle a rassemblé plus de 150 industriels, distributeurs et prestataires autour des nouveaux enjeux du commerce sur le thème : “Comment repenser nos modèles face aux bouleversements de la chaîne de valeur ?”. Des modèles qui devront aussi prendre en compte l’inflation structurelle et l’urgence écologique. “Nous préparons cette journée depuis 6 mois avec une dizaine d’adhérents. Très rapidement, le thème des nouvelles formes de commerce a émergé. Nous étions tous d’accord pour constater que la chaîne de valeur du commerce bouge énormément avec une valeur du produit qui se partage, désormais, de manière complètement différente, souligne Xavier Hua, directeur général de l’Institut du Commerce. Nous avions aussi identifié le défi lié à l’inflation structurelle qui n’a fait que se renforcer depuis l’automne avec, à la clé, des hausses des prix de l’énergie et des matières premières. Et, évidemment, le prisme de l’urgence écologique que ces nouveaux modèles de commerce devront nécessairement prendre en compte”.
Les bouleversements de la chaîne de valeur
Il est vrai que la conjoncture actuelle ne nous laisse pas beaucoup de répit. A peine sortie de la crise sanitaire, une poussée inflationniste vient contraindre notre quotidien. “C’est là qu’il est important de parler de tendances longues, car le piège, c’est de traiter les choses toujours en urgence, toujours sur l’écume de la vague, et d’oublier qu’en dessous, un tsunami se prépare”, prévient Philippe Moati, économiste, professeur d’économie à l’Université Paris Cité. Le cofondateur de l’ObSoCO s’est attaché à évoquer l’évolution de l’architecture des marchés de grande consommation à laquelle nous sommes habitués avec, en amont, des producteurs qui assument des fonctions économiques de conception des produits, les confient à des distributeurs qui les vendent aux consommateurs. “Ce modèle descendant est historiquement daté et est en train d’être profondément remis en cause. On voit très clairement que la frontière entre les producteurs et les distributeurs est en train de s’effacer”, ajoute-t-il. Sous l’effet des mutations du capitalisme, des transformations sociétales, de la nécessité de répondre à l’urgence climatique et de l’avènement des technologies numériques, les acteurs sont, désormais, obligés de s’intéresser à la demande des consommateurs dans un modèle inversé. Si l’une de ces nouvelles architectures s’est imposée autour des marketplaces avec de nouveaux intermédiaires puissants, une autre est en train de voir le jour. “En sortant du modèle fordien, très vertical, un nouveau défi s’est imposé, celui de l’environnement. Et l’architecture dite servicielle me semble être une clé prometteuse, compatible avec ces enjeux environnementaux dans la mesure où les acteurs vont davantage chercher à apporter des solutions à des problèmes ciblés, plutôt qu’à vendre des produits, en intégrant des biens et des services complémentaires afin d’accompagner les consommateurs dans leur problématique”, précise Philippe Moati. Avec, à la clé, une façon de créer de la valeur qui se détache des volumes et qui redéfinit en profondeur les business models, “ce qui est absolument indispensable par rapport aux enjeux environnementaux. Il faut créer de nouveaux concepts pour être en phase avec ces nouvelles réalités”, conclut-il.
De nouvelles offres de commerce
“Il y a 45 ans, on nous prédisait la fin du magasin physique. Nous avons toujours cru en son bien-fondé, mais à condition de le transformer et de le réinventer”, lance Tina Schuler, DG Casino Supermarchés, Géant et Proximité. Afin d’enrichir l’expérience d’achat, “nous avons pris en compte la digitalisation du parcours et l’attente d’omnicanalité du client : c’est lui qui décide de tout, quand il veut, où il veut, comme il veut : c’est le roi”, ajoute-t-elle. Le groupe a, ainsi travaillé sur le digital – notamment avec l’application Casino Max qui réalise, aujourd’hui, 30 % du CA –, mais aussi sur les encaissements, le e-commerce, le commerce conversationnel avec des réseaux comme WhatsApp, la digitalisation du catalogue, le divertissement ou encore le live shopping et le shop-in-shop, notamment sur le textile. De son côté, Jacques Trottier, co-président de Labeyrie Fine Foods, estime que de ces nouveaux modèles émergent “des opportunités incroyables qui nous permettent d’imaginer de nouvelles formes de commerce en offrant la possibilité aux consommateurs d’avoir une expérience plus complète de nos produits, ce qui est plus difficile à mettre en scène en magasin”. Labeyrie Fine Foods (1 Md€ de CA) est essentiellement présent dans l’univers du frais