Longtemps en déflation, la France connaît, depuis 2021, un taux d’inflation parmi les plus élevés depuis 30 ans. Fruit de la crise sanitaire et du redémarrage économique qui s’en est suivi, d’un choc de la demande et de facteurs exogènes et mondiaux, cette hausse des prix menace le pouvoir d’achat. Et réveille un sentiment de déclassement chez les ménages les moins favorisés.
Doit-on s’alarmer de l’inflation en France ?
Christophe Blot: En l’espace d’un an, l’inflation en France a connu d’importantes variations. En décembre 2020, elle était à zéro, comparé à 2019. En décembre 2021, elle s’élevait à 2,8 %, un niveau relativement élevé. Sans avoir atteint le pic des 3 %, c’est la plus forte évolution que nous ayons connue depuis le début des années 90, avec la crise du pétrole et après la crise de 2008, où les taux d’inflation étaient passés, respectivement, à 3 % et 3,5 %. Cette hausse des prix a plusieurs facteurs et le phénomène n’est pas propre à la France, mais mondial. Ce qui inquiète, aujourd’hui, c’est le risque de faire écho à la situation américaine, où l’inflation a progressé de 7 %. Un tel choc pourrait-il arriver en France ? Cette hypothèse reste difficile à croire car les conditions de la hausse des prix sont différentes entre les deux pays, malgré des facteurs mondiaux communs.
Pourquoi ce phénomène inflationniste mondial ?
CB: La situation s’explique par la crise sanitaire, l’arrêt brutal de l’économie mondiale et de l’activité entre mars et juin 2020 qui a entraîné une baisse de la consommation, de la demande en énergie, pétrole, matières premières, ainsi que l’arrêt des chaînes de production. Le redémarrage de l’économie en 2021 et la forte accélération de la demande à partir de l’été 2020 ont créé des tensions sur tous ces postes, faisant exploser le prix du transport et du fret maritime. L’offre n’était pas suffisante pour répondre à la demande, en raison de difficultés logistiques, d’un manque de bateaux et de l’arrêt momentané de l’activité portuaire en 2020. En conséquence, le prix du baril de pétrole a atteint les 85 dollars et le coût du transport reste élevé. À cela, s’ajoutent la hausse des prix de l’énergie et des matières premières.
Quel impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat ?
CB: Il y a de vraies répercussions. L’indicateur de l’inflation reflète l’évolution d’un ensemble de prix dans le panier d’achat des consommateurs. Si celui-ci diffère selon les individus, pour tout le monde, la valeur d’un euro aujourd’hui est plus faible qu’il y a un an. En clair, avec un euro, j’achète 2 % de moins de produits qu’en 2020. Cette hausse, toutefois contenue, serait indolore si les salaires augmentaient d’autant, comme cela a été le cas dans les années 70. Le problème pour les ménages, c’est que l’inflation n’est actuellement pas liée à la dynamique des salaires qui progressent moins vite. Il y a donc une vraie perte de pouvoir d’achat pour les consommateurs.
Ce qui vaut pour les ménages vaut aussi pour le commerce. La hausse des prix énergie se traduit par une augmentation des couts de production. À court terme, une partie de ces coûts vont être absorbés par les marges ou répercutés sur les prix de vente des produits de grande consommation, affectant ainsi directement le pouvoir d’achat de leurs clients. Si le phénomène est durable, il peut déboucher sur une spirale inflationniste.
Pourquoi la perception de perte du pouvoir d’achat est-elle souvent plus forte que la réalité de l’inflation ?
CB: L’inflation mesure l’évolution du pouvoir achat d’un euro mais ce pouvoir d’achat dépend de l’évolution du revenu global. Il d’agit d’observer l’écart entre le revenu disponible des ménages, une fois les charges payées, et l’inflation des prix. Ces cinq dernières années, cette évolution était globalement positive avec une amélioration du pouvoir d’achat, jusqu’en 2021. Cependant, cette évolution du pouvoir d’achat n’est pas la même selon que l’on habite en ville ou à la campagne, que l’on appartienne à la classe ouvrière ou supérieure. Un CSP+ citadin aura un panier moyen davantage axé sur les loisirs, les restaurants et moindre en dépenses de carburant alors que l’équilibre va s’inverser pour un ménage rural. Il y a par ailleurs un premier biais dans la perception du prix qui nous rend plus sensible au prix d’un produit régulièrement consommé. Tout le monde s’est rendu du compte de la hausse du prix du pain ou de l’essence, par exemple, mais peu ont ressenti la baisse du prix des véhicules. Un second biais consiste à ne pas tenir compte de la montée en gamme des produits consommé. L’évolution technologique des smartphones, notamment, fait qu’un article acheté en 2022 est doté de capacités de mémoire, de stockage, d’appareil photo plus puissants que l’an dernier et cela se traduit dans la hausse des prix. C’est un peu la même chose avec le bio, plus cher mais qualitatif.
Pourquoi une telle cristallisation sur le pouvoir d’achat ?
CB: Cette hyper-concentration sur les questions d’argent tient au fait que le régime de l’inflation demeurait faible sur les 5 à 10 dernières années, et que l’évolution des revenus reste modérée. Les dépenses contraintes ont augmenté et le sentiment de perdre en “niveau de vie”, est davantage marqué. Le mouvement des Gilets Jaunes qui portait au début sur la hausse des prix du carburant, de l’énergie et des prix en général avait pour vocation de traduire le sentiment que l’on avait moins d’argent pour se faire plaisir ou partir en vacances. Une partie de la population dont les revenus leur permettent seulement d’assurer leur subsistance, dans une forme de consommation contrainte qui ne relève pas du loisir, se sent pénalisée. Les inégalités créent un sentiment de frustration, amplifié par l’absence de perspectives d’amélioration. En effet, si la situation économique a pu s’améliorer pour 10 à 15 % de la population française, mais stagner pour d’autres qui ont l’impression que les évolutions n’apporteront pas de changement majeur dans leur vie. L’inflation est venue poser la question du niveau de vie et du pouvoir d’achat au cœur du débat politique.
Faut-il s’inquiéter de la dette de la France ?
CB: Le taux d’endettement de la France a augmenté à un niveau relativement élevé mais cette dette ne menace pas le pouvoir d’achat à court terme. Le scénario de la crise financière américaine de 2008, où les banques ont prêté massivement à des particuliers dont les ressources étaient aléatoires et avec des mécanismes de prêt pervers aux taux révisables ne saura se reproduire en France. Nous bénéficions d’un marché du crédit plus réglementé avec des banques plus vigilantes, des prêts à taux fixes, et un taux d’endettement contrôlé. Le seul risque qui pèse sur l’économie nationale est celui des crédits à la consommation et la spirale du surendettement. Le gouverneur de la Banque de France, qui porte la double casquette de contributeur à la mise en œuvre des politiques monétaires européennes et de pilote des actions de la Banque de France sur la hausse de l’inflation dans la zone euro, a vocation à intervenir sur les questions de règlementation prudentielle, à savoir, l’endettement des ménages et des entreprises. S’il juge que les ménages sont trop endettés et les prix trop élevés, il prendra des mesures pour durcir l’accès crédit via le Haut Conseil de Stabilité Financière et imposera des mécanismes plus contraignants aux banques.
Méthode de calcul de l’inflation
Le calcul de l’inflation par l’INSEE s’effectue sur la base d’un panier de biens et services représentatif de la consommation des ménages français. L’inflation permet alors de mesurer l’évolution du pouvoir d’achat d’un euro. Il est également possible de calculer un indice dit sous-jacent, dans lequel ont été retirés les prix de l’énergie et des matières alimentaires. Ces composantes de l’indice des prix sont effectivement beaucoup plus volatiles et présentent de trop grandes amplitudes de fluctuations. Une fois cet indice corrigé, l’inflation en France évolue de façon plus modérée.