Passer de l’efficacité énergétique inscrite dans le temps long à la sobriété énergétique avec une demande de résultats à court terme. Un changement de paradigme complexe auquel doivent répondre les points de vente.
Entretien avec Adrien Virolleaud, directeur marché retail intégré
À quelles problématiques sont confrontées les entreprises avec
la flambée des prix de l’énergie ?
Depuis plusieurs semaines, la crise énergétique rebat les cartes et cristallise les difficultés des entreprises à se projeter plus loin qu’à un horizon de quelques mois, tandis que le gouvernement attend une réduction des consommations énergétiques globales de 10 % en 2 ans. L’impératif de sobriété s’installe, par souci d’économies mais, aussi, par un nécessaire changement de trajectoire de l’autre.
Par ailleurs, à la hausse généralisée des prix de l’énergie s’ajoutent les contraintes réglementaires toujours plus ambitieuses (décret tertiaire, loi Bacs…). Et, sans attendre de devoir avancer à marche forcée, les acteurs du tertiaire, et notamment de la distribution, se sont déjà mobilisés pour mettre en place des mesures immédiates de réduction de leur consommation d’énergie : baisse de l’intensité lumineuse, réduction de la température ambiante, décalage de la production de glace…
Pourtant, même si ces initiatives sont louables, elles ne suffiront pas : il est crucial de les inscrire dans une trajectoire à moyen-long terme de transformation énergétique profonde et durable. Le tertiaire doit, dès aujourd’hui, planifier cette trajectoire sur plusieurs années pour savoir par quoi commencer, avec quelles initiatives poursuivre, comment les financer sans mettre en péril leur trésorerie et piloter l’ensemble.
Comment réagit le marché ?
En fait, deux choses viennent se télescoper. Nous avons besoin d’efficacité énergétique à moyen et long terme, c’est-à-dire que nous sommes engagés collectivement sur des trajectoires de neutralité carbone, de réduction de nos émissions, et donc de notre consommation d’énergie. Mais sur des horizons relativement longs : on parle d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Il y a donc un contexte réglementaire qui met tout le monde dans une dynamique d’efficacité énergétique à long terme où chacun doit améliorer sa consommation avec des objectifs à -40 % en 2030 versus une année de référence à choisir dans les années 2010. Mais il y a encore un an, nous étions dans une logique d’amélioration continue où, lorsque l’on réalisait un investissement, on regardait l’aspect environnemental pour tendre vers quelque chose de plus vertueux. Le moteur principal de rénovation d’un point de vente était donc plutôt commercial.
Aujourd’hui, les factures sont en train de doubler, voire de tripler. Du coup, la part de l’énergie à comparer aux résultats nets d’un point de vente devient très significative. Globalement, pour un grand hypermarché de 10 000 m2 avec un CA d’environ 100 M€, on peut partir sur un résultat net de 2 M€. Quand il y a 3 ans, la facture énergétique tournait autour de 300 à 400 k€, c’est éducatif !
Cette démarche sur le long terme a donc rencontré une crispation soudaine où il faut, déjà, réduire énormément sa consommation.
Une nouvelle temporalité ?
Oui ! Et c’est un vrai changement de paradigme. C’est là où les choses se télescopent. On est passés de -30 % en 10 ans, à 10 % en deux ans. C’est beaucoup plus court et beaucoup plus sévère ! Et le message n’a pas été forcément compris par tout le monde. On ne parle plus d’efficacité énergétique, mais de sobriété énergétique. Alors certes, de nombreuses actions à court terme ont été prises et ont été largement relayées en communication, comme le fait d’éteindre les enseignes, de réduire la climatisation et le chauffage, de ne pas climatiser ou chauffer lorsque les portes du magasin sont ouvertes… Autant de mesures qui relèvent du bon sens, mais qui n’étaient pas forcément réalisées à date.
Or, passer de l’efficacité énergétique à la sobriété nécessite de changer profondément son rapport à l’énergie, sa façon de consommer, son besoin d’énergie de manière structurelle.
Comment aller plus loin ?
Ce que demande la sobriété énergétique, c’est de changer de comportement, de changer la façon d’utiliser de l’énergie, pour en utiliser structurellement moins. Il faut peut-être se demander comment faire son métier avec moins d’équipements énergivores, offrir moins de mètres linéaires de congélateurs ou de réfrigérateurs dans le point de vente, donc moins d’offres, jouer sur les horaires d’ouverture… Ce sont des changements de fond qui se précisent et qui ne se contenteront pas de mettre en place des armes d’efficacité énergétique, comme les Leds par exemple. Cela ne suffira pas. Et je ne suis pas certain que les acteurs aient perçu une telle subtilité derrière le terme sobriété, entreprises comme consommateurs.
Cela veut dire aussi qu’au lieu de surveiller sa consommation dans une optique de réduire sa facture énergétique mensuelle, on va s’intéresser à des notions beaucoup plus fines. Par exemple, à quelle heure consommer de l’énergie. C’est une vraie nouveauté, non pas pour les grands industriels, mais pour les PME aux consommations relativement faibles de manière individuelle, comme la plupart des sites tertiaires et des points de vente. Les dispositifs mis en place pour cet hiver vont inciter à décaler les consommations à certains horaires. Or, les points de vente sont, aujourd’hui, dans une logique de réduction de consommation par la régulation globale ou le remplacement d’équipements, mais pas dans une finesse horaire.
Quels outils utiliser face
à ce changement de paradigme ?
Cela nécessite de se poser les bonnes questions en matière d’organisation, de moyens de contrôle et de pilotage. Il faut donc mettre en place un système de management de l’énergie. Il faut une organisation qui vise à sensibiliser la gestion de la problématique énergétique. Il faut une vision centralisée pour savoir finement où l’on en est, afin de pouvoir agir, de façon automatisée, sur l’éclairage, le chauffage, la climatisation, le système frigorifique… Cette centralisation permet, en conséquence, d’être alerté en cas de dérive, de savoir mettre en place les actions correctives et d’être capable d’identifier des lots de sites avec de bons indicateurs. Sinon, c’est se priver de 5 % à 10 % de gains, hors investissement, qui sont facilement atteignables. Evidemment, en GSA, beaucoup d’acteurs travaillent sur ce sujet. Mais c’est une problématique qui va toucher de plus en plus de monde, avec une granularité beaucoup plus fine.
Cette vision centralisée va aussi permettre d’identifier les points sensibles où il et intéressant d’investir. Nous intervenons d’ailleurs avec nos équipes de terrain pour préconiser un schéma directeur, un arbre de décisions où l’on va choisir la technologie, solliciter des fournisseurs pour commander les matériels, les faire installer et s’assurer du bon fonctionnement.
Et pour le pilotage ?
La régulation du pilotage se situe entre le système de management et les équipements. Il s’agit de tous les systèmes connectés, ou ce que l’on appelle la gestion technique du bâtiment (GTB), qui permettent d’optimiser les réglages mais, aussi, de mettre en interaction les différents systèmes entre eux. Par exemple, dans un magasin de prêt-à-porter, les spots éclairés et l’affluence de clients chauffent l’espace : donc le chauffage peut être baissé automatiquement par le GTB. La centralisation permet d’adopter cette régulation sur l’ensemble des sites. Autre exemple avec les bornes de recharge électriques que les enseignes doivent mettre à disposition des clients : on peut permettre une charge plus rapide quand les panneaux photovoltaïques fonctionnent. Et l’on va surtout arrêter d’observer chaque système énergétique de manière complètement indépendante et se rendre compte qu’ils vivent sous un même bâtiment et qu’ils ont une influence les uns sur les autres. Globalement, il faut, dès à présent, se poser la question de son schéma directeur à 3 ou 5 ans. Et, d’ici là, consommer moins mais mieux, aux bons horaires. Le Kwh le moins cher est celui que l’on ne consomme pas.
Greenflex en bref
GreenFlex est une société au service de la transition énergétique et environnementale des entreprises. Elle regroupe, au sein d’une même structure, différentes expertises et métiers et accompagne les entreprises dans une déclinaison opérationnelle des stratégies autour de la décarbonation et de l’efficacité énergétique. GreenFlex propose, également, des solutions de financement, soit au travers de dispositifs régulés, comme les certificats d’économie d’énergie (CPE), soit avec des banques. Sont notamment concernés les équipements énergivores (systèmes de chauffage, de refroidissement, de maintien des produits à température dirigée) qui permettent de réduire rapidement la consommation et l’impact carbone. Enfin, GreenFlex a développé, il y a dix ans, une plateforme digitale afin de gérer et mesurer les impacts carbone des équipements et des consommations d’énergie.