Initiée avant la pandémie, la refonte des grandes gares parisiennes illustre l’évolution d’un concept marchand qui passe d’une logique de massification à une offre granulaire et de proximité pour se rapprocher du client final.
Dans son bilan annuel 2020, la SNCF déclarait que la crise sanitaire avait donné aux activités du groupe “le coup d’arrêt le plus fort et le plus durable jamais connu”. Les activités de transport de voyageurs ont nettement reculé l’an dernier, avec une baisse de fréquentation de -48 % pour l’ensemble de la Grande Vitesse ferroviaire (TGV INOUi, OUIGO, Eurostar, Thalys etc.), dont -45 % en France. Concernant les activités conventionnées, les fréquentations étaient en baisse de -45 % pour Transilien, -32 % pour TER et -30 % pour Keolis (Grands réseaux France) par rapport à 2019. Le chiffre d’affaires sur l’année accusait un retrait de près de -14 % pour atteindre 30,0 Mds€. L’impact de la crise sanitaire sur le chiffre d’affaires global atteignait – 6,8 Mds€ en 2020, dont -4,8 Mds€ pour l’activité Grande Vitesse. Le chiffre d’affaires de l‘ensemble de la Grande Vitesse ferroviaire accusait une baisse de -54 %. Celui de SNCF Réseau reculait de -9 %, impacté par la baisse des redevances d’infrastructures du fait de la réduction de l’offre de transport. Le chiffre d’affaires de SNCF Gares & Connexions chutait de -4 %, pénalisé par des redevances commerciales en baisse de -31 %.
Une reprise timide
Au premier semestre 2021, le chiffre d’affaires du groupe s’est établi à 16,1 Mds€, en progression de +13,5 % comparé à 2020 mais en recul de -10 % versus 2019. Les activités Voyageurs ont été directement impactées par les restrictions de déplacement (3e confinement) qui ont pénalisé la fréquentation, notamment celle de la clientèle professionnelle. Le dynamisme des activités de logistique et de transport de marchandises compense en partie cette situation. La marge opérationnelle-EBITDA se redresse à 1,3 Md€ mais reste en retrait par rapport à celle au premier semestre 2019 (-1,6 Md€). Le cash-flow libre est négatif à hauteur de -745 M€ et le résultat net est déficitaire à hauteur de -780 M€. Si la dynamique est bonne, le groupe affirme “rester prudent sur ses perspectives de fin d’année, compte tenu des incertitudes sur l’évolution de la crise sanitaire”. Il souhaite également axer son développement sur la reconquête des clients voyageurs.
Incidence du télétravail
Alors que le télétravail s’est généralisé en entreprises, la SCNF encourage la mobilité inter-régionale en proposant aux travailleurs un abonnement annuel domicile/travail, payable mensuellement (forfaits de 348, 351 et 367 euros) et donnant droit à 250 voyages par an, sur TGV et INTERCITÉS, avec un tarif 40 % inférieur au forfait annuel classique, du lundi au jeudi. Reste à compenser la baisse de la consommation sur les lieux de flux, nécessairement induite par la réduction des déplacements quotidiens. “La baisse du rendement financier sera mécaniquement plus marquée dans le commerce en gare que pour les centres commerciaux en raison d’un cadre contractuel et d’un mode détermination de la valeur locative différents”, observe Jérôme Le Grelle, Executive Director Retail chez CBRE. En effet, le principe de redevance quasi exclusivement corrélée au chiffre d’affaires provoque un ajustement immédiat des valeurs qui pourrait pénaliser d’autant plus les gestionnaires de gares, que comme le rappelle le spécialiste, “les dernières négociations datant d’avant la crise sanitaire se sont basées sur des chiffres d’affaires et de croissance très dynamiques qui ne correspondent plus du tout à la conjoncture actuelle”. Aussi, augmenter la performance financière est un chantier prioritaire pour les gares, confrontées, elles aussi, aux évolutions des modes de consommation.
Densification des réseaux
Les grands acteurs du secteur (Lagardère, SNCF) mais également les développeurs de centres commerciaux (Altarea Commerces, Unibail-Rodamco-Westfield…) n’ont pas attendu la pandémie pour initier une réflexion sur la nouvelle donne du commerce en gare. “L’offre déployée dans les lieux de flux est adaptée aux besoins d’une clientèle pendulaire et nomade et a su démontrer son utilité pour les riverains comme pour les voyageurs”, indique Jérôme Le Grelle. Les gares bâtissent autour d’elle des écosystèmes (laboratoires, cabinets médicaux, restaurants, bars, commerces, pharmacies, services, conciergerie, cinéma…) parfaitement intégrés dans la vie de quartier. C’est le cas, par exemple, de la nouvelle gare Montparnasse qui s’est réinventée comme un lieu de vie et d’échanges entre visiteurs, voyageurs et habitants des 15e et 14e arrondissements de Paris.
Devenue point de contact parmi d’autres, la gare est un élément-clé du maillage des réseaux d’enseignes. “La densification des réseaux, rendue nécessaire par l’éclosion des nouveaux modes de vente et de livraison – dernier kilomètre, drive piéton, click and collect – va modifier la hiérarchie des implantations et des valeurs qui devront se corriger y compris dans les gares de façon à s’ajuster aux réalités du marché”, affirme Jérôme Le Grelle. Lieu de flux et de transit à forte densité, les gares offrent des emplacements stratégiques aux enseignes qui souhaitent se rapprocher des consommateurs. La Fnac, par exemple, qui a réduit son nombre de flagship, s’est associée à Mark & Spencer en 2018 pour ouvrir un concept store hybride : le “combistore” au cœur de la gare Montparnasse.
Granularité de l’offre
Après avoir goûté aux commandes à distance et à la livraison à domicile durant les mois de confinement, les consommateurs attendent désormais des enseignes davantage de services et de souplesse. Si cet ajustement aux modes de consommation fait partie intégrante des grands projets de rénovation des gares parisiennes (Gare du Nord, Gare de l’Est, Montparnasse…), il restait difficile à mettre en œuvre dans les petites gares ou les stations de métro, faute de flux suffisant pour concevoir une offre commerciale complète. Une équation que la digitalisation pourrait bien changer, à l’aube de l’éclosion du projet Grand Paris et de ses nouveaux hubs de transport qui incarneront de véritables pôles de services et de commerce. “Le digital met fin au besoin d’implantations exclusivement situées sur des lieux bénéficiant de flux massif pour mieux glisser vers une logique de maillage de l’offre, avec une granularité qui implique la création de concepts de vente inédits”, assure Jérôme Le Grelle, convaincu que des enseignes telles que Casino ou Sephora qui ont déjà testé le 100 % digital rue de Rivoli (Paris 4e) et avenue Franklin Roosevelt (Paris 8e), sauront trouver de nouvelles formes de contact adaptées à des lieux de flux plus petits tout en engrangeant des rentabilités satisfaisantes. De nouvelles perspectives se dessinent pour le commerce en gare sur le terrain de la proximité.