En pleine mutation, les centres commerciaux vivent leur crise de la cinquantaine. Concurrencés par le e-commerce et les nouvelles formes de consommation, ils se renouvellent pour évoluer au rythme de la société. Les programmes immobiliers à venir sont hybrides, ouverts sur la ville et ancrés dans un territoire. Offrant plus que du commerce, ils deviennent des lieux de vie, à la croisée du digital et du retail physique.
Par Cécile Buffard
50 ans. Voilà un demi-siècle que le concept de centre commercial a été inventé et ce dernier connaît aujourd’hui une vraie révolution. Sur ce marché mature, le besoin de renouvellement était criant. Avec un chiffre d’affaires et une fréquentation en baisse respectivement, de -2 % et -1,7 % en 2018, les centres commerciaux cherchent la martingale capable de détourner les consommateurs du e-commerce. Transformer en lieux de vie les zones commerciales de périphérie tout comme les centres commerciaux en pied d’immeuble dans les centres-villes, c’est donc le grand chantier dans lequel foncières, investisseurs et promoteurs se sont lancés, afin de répondre aux besoins d’une société en constante évolution. ”En 1969, les Français découvraient le plaisir de faire l’intégralité de leurs courses à la mode américaine, sous un même toit, leur voiture stationnée gratuitement et à proximité immédiate du lieu de leurs achats. Le commencement d’une aventure qui, aujourd’hui encore, continue de s’écrire, enrichie par les diverses mutations qu’elle traverse”, résume Gontran Thüring, délégué général du CNCC. Selon le retailscope 2018 publié par Hammerson, 65 % des Français s’impatientaient de voir les centres commerciaux sortir de la standardisation en élargissant leur offre à de nouvelles activités. Parce que désormais, la corvée des courses ressemble davantage à une virée familiale ludique, les promoteurs rivalisent de créativité pour enrichir l’expérience de visite et d’achat. Complexes de divertissement, cinéma multiplexe, architecture innovante, services personnalisés, espaces de coworking ou de coliving : tous les éléments d’une offre diversifiée, parfois décorrellée du commerce, sont mis en place pour séduire tous les profils de consommateurs. De nouvelles formes de commerce qui nécessitent d’adapter leur écrin.
Plus d’extensions que de créations Ainsi, les projets d’ouvertures de centres commerciaux en 2019 représentent un peu plus de 274 000 m2 potentiels. Parmi eux, 134 000 m2 concernent des extensions / rénovations /restructurations. C’est, par exemple, le cas de la Part-Dieu à Lyon qui s’est vu rajouté 32 000 m2 de surfaces supplémentaires pour en faire un centre commercial de 300 unités après extension, en grande partie consacrées à un multiplexe et un nouveau pôle restauration. “La loi Elan et ses décrets d’application à venir ont apporté un moratoire qui ne dit pas son nom à la création de m2, orientant le marché sur du renouvellement de surfaces commerciales et de l’extension”, constate Gontran Thüring. De fait, les projets “greenfield” se
comptent sur les doigts de la main et se heurtent à de nombreux obstacles juridiques et administratifs. En témoignent, les multiples blocages opposés au projet EuropaCity, porté par Auchan via sa foncière Ceetrus, et par le conglomérat chinois Wanda. En mars dernier, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté le plan local d’urbanisme (PLU) de Gonesse (Val-d’Oise) qui permettait l’urbanisation de 280 hectares de champs situés entre les aéroports de Roissy et du Bourget, dont 80 étaient destinés au méga complexe de commerces et de loisirs EuropaCity. Par ailleurs, la fédération Procos anticipe une baisse de demande de CDAC liée au changement de seuil des centres commerciaux en centre-ville et au renchérissement du coût des CDAC depuis que les études d’impact ont été rendues obligatoires. “Le ralentissement structurel du marché de l’immobilier commercial se confirme en 2019. Son développement se concentre sur les retail parks, les renouvellements et extension ainsi que sur les projets mixtes”, observe Alexandre De Lapisse, directeur des études chez Procos qui prévoit un recentrage des demandes sur les grandes surfaces, notamment alimentaires, de centre-ville ainsi que sur des surfaces non soumises au CDAC. “Il y a un effet d’opportunités sur la restauration et le loisir. Les opérateurs n’ayant pas réussi à obtenir l’autorisation de construire maintiennent leur projet mais en changeant la destination”, précise-t-il.
Tendances 2019 Ce n’est donc pas un hasard si le loisir et le food & beverage sont devenus les deux tendances majeures du marché. Le nombre de cellules dédiées à la restauration dans les centres commerciaux représente aujourd’hui entre 4 % et 20 % de l’offre, selon les sites, remplaçant peu à peu des enseignes textile en déclin. “La restauration a la vertu de fixer le consommateur sur le lieu de shopping et de créer une récurrence dans la fréquentation. De plus, contrairement aux autres activités, le e-commerce, sur ce marché, agit en supplétif et non en soustractif. Il vient élargir la zone de chalandise et le chiffres d’affaire du web incrémente celui du centre commercial”, explique Christian Dubois, Head of Retail Services chez Cushman and Wakefield. Non seulement l’offre food & beverage n’est pas un frein à la hausse de la valeur locative mais elle en est même le vecteur car, sur un même point de vente, elle permet d’obtenir un taux d’effort plus faible. En outre, elle souligne l’identité d’un centre commercial. On pense, dans ce sens, à la toute récente Gare de Nice, restructurée par Urban Renaissance et qui dispose du premier food hall français mettant en avant les cuisines du sud. Loin des restaurants de chaînes qui uniformisent l’offre food, ces chefs locaux et indépendants ont vocation à devenir des ambassadeurs de la gastronomie du centre commercial et générer l’envie des consommateurs. Nulle recette magique, toutefois, comme le souligne Christian Dubois : “l’offre de restauration doit accompagner un changement profond du marketing mix, notamment en intégrant une offre de loisirs”. C’est ainsi qu’en Moselle, le centre commercial B’Est (Trophée CNCC 2019) propose ainsi 18 000 m2 de “shopping hyper fun”, avec des espaces dédiés aux loisirs (Soccer park, fun park outdoor avec tyrolienne et tour de saut, parc de trampolines, bowling, billards, mur d’escalade, laser games, etc.). Une forme de retailtainment qui vise, en priorité, les millennials.
Mixité des usages Cette offre plurielle s’intègre dans des programmes immobiliers mixtes. “La mixité offre de nouvelles opportunités de commerce et peut-être l’une des réponses aux difficultés que rencontre le commerce aujourd’hui”, suggère Jérôme Le Grelle, directeur exécutif retail de CBRE France. Il n’y a qu’à regarder les lauréats du concours Réinventer Paris : tous proposent des concepts mixtes alliant commerces, logements, bureaux et services. “Le principe de grands ensembles concentrant l’offre commerciale afin de créer une destination est partiellement remis en cause”, ajoute le directeur. Le
commerce doit être capable d’adapter son offre et son concept de magasin à l’environnement où il se situe. D’où la multiplication des formats compacts et urbains (Leroy Merlin, Ikea ont ainsi investi les cœurs de ville). Pour les Ateliers Gaité, programme de restructuration de la galerie commerciale du quartier Gaité-Montparnasse qui ouvrira ses portes fin 2019, Unibail-Rodamco-Westfield a poussé très loin la notion de mixité. Pas moins de dix programmes cohabiteront dans cet ensemble, allant du food court à l’hôtellerie, en passant par le logement, un centre de shopping revisité et des espaces de coworking. “La mixité permet d’avoir une ville animée avec des pieds d’immeubles variés et jamais vides. C’est aussi une façon vertueuse d’améliorer son bilan carbone. La densité de la construction et les programmes mixtes limitent les déplacements”, démontre Alexis Dubois, directeur du développement chez Unibail-Rodamco-Westfield. Les 1 500 usagers des bureaux des Ateliers Gaité pourront ainsi descendre directement dans le centre commercial pour faire leurs courses entre midi et deux, utiliser le centre de conférence de l’hôtel Pullman, ou encore boire, un verre