Carlos Moreno, professeur des Universités, spécialiste du contrôle intelligent des systèmes, expert international de la Human Smart City.
“La circularité est un enjeu essentiel majeur. Elle offre de nouvelles pistes pour agir avant qu’il ne soit trop tard face aux défis que nous devons relever, lance Carlos Moreno. Mais avant tout, il s’agit de comprendre les interdépendances qui caractérisent ce monde qui a vu l’émergence du XXIe, siècle des villes et de l’ubiquité, d’une manière concomitante avec le péril climatique”. Pour lui, la vraie compréhension du XXIe siècle passe par l’Anthropocène proposée comme ère géologique depuis 1992. Autrement dit, l’ère transformée par l’action de l’homme. Carlos Moreno nous invite à casser les représentations dans lesquelles nous vivons, à nous décaler, à nous appuyer sur la science qui sert de rempart face à certaines idées stéréotypées qui véhiculent des comportements irrationnels. S’appuyant sur une carte construite par anamorphose de Benjamin Hennig (ratio surface/population) qui, selon lui, est la plus précise du monde, Carlos Moreno montre la bascule du monde sur un axe sud-est (et non plus sur un axe Europe/Amérique du Nord) avec, donc, une surreprésentation de l’Asie là où se trouve, aujourd’hui, le plus d’habitants que dans tout le reste de la planète. On observe alors, sur cette anamorphose, des taches jaunes – des villes – avec une mégapolisation et une hyper régionalisation qui représentent, aujourd’hui, l’endroit où la production est faite. “C’est là où la circularité doit s’adapter, insiste-t-il. C’est là que sont fabriqués des produits à bas prix qui ont traversé toute la planète en porte-conteneurs – l’Asie concentrant les 12 premiers ports mondiaux – sans possibilité de recyclage avec autant de microplastiques retrouvés dans les poissons”. Et le 3e élément de la carte, ces fils bleus qui traversent la planète, sont autant de réseaux de fibre optique sous-marine “qui permettent cette hyper connectivité, cette ubiquité qui permet d’accéder au monde numérique”, ajoute-t-il.
Comprendre les interdépendances
Ainsi, selon Carlos Moreno, on ne peut bâtir un modèle circulaire en faisant l’économie de la compréhension des interconnexions physiques, des interdépendances et des lieux où l’on crée de la valeur. Il faut, aussi, appréhender à quoi
sert cette valeur créée et quel est son bilan social. Si l’on rassemblait toutes ces villes, elles occuperaient 2 % de la surface planétaire tandis que la population mondiale, elle, est devenue à 54 % urbaine. Ces villes États concentrent 80 % de la richesse mondiale et émettent 75 % des émissions de CO2. Dans une dizaine d’années, 60 % du PIB mondial (ou du PUB – produit urbain brut) sera porté par 750 métropoles (140 villes en Europe pour 44 % du PUB européen). Avec des villes qui auront un PUB plus important que le PIB de beaucoup d’États et la prédominance de trois hyper régions chinoises. Parallèlement, les tendances montrent que chaque année, la planète gagne 90 millions d’habitants (soit l’équivalent d’une France et demie) “mais que le taux de pénétration de réseaux sociaux par la mobilité évolue dans un rapport de quasiment 3 avec 300 millions de nouveaux utilisateurs de réseaux mobiles. Ainsi, l’hyperconnectivité et l’ubiquité massive sont étroitement liées au phénomène d’urbanisation. Tant que l’on aura pas compris cela, on aura du mal à développer des propositions concrètes sur la création de valeur”, estime Carlos Moreno.
Et maintenant ?
Des questions essentielles se posent sur le choix du modèle que nous voulons suivre. “Aurons-nous l’humilité de Alexander von Humboldt, naturaliste, humaniste et explorateur, qui nous proposait un monde circulaire prenant en compte les interdépendances ? J’aime aussi citer Edgard Morin qui, selon moi, propose le mot le plus important de la circularité : la régénération dans son Eloge de la métamorphose, avoue Carlos Moreno. Ainsi, je dirais que les enjeux de la création de valeur de la circularité dans le monde urbain doivent être liés à trois composantes : économique pour que la valeur soit partagée et pour lutter contre la pauvreté ; sociale pour gérer la non-inclusion sociale et une meilleure cohésion ; et environnementale pour lutter contre notre ennemi n° 1, aujourd’hui, le dérèglement climatique. Sans devenir pessimiste, il faut comprendre que nous ne pouvons plus continuer à changer de pansements tous les matins. Nous devons penser le changement dans une optique de changement de paradigme”.
La “ville du quart d’heure”
Pour Carlos Moreno, les nouvelles batailles de la circularité urbaine sont à venir : celle de l’air, de l’eau et de l’ombre qui sera de plus en plus acharnée avec les pics caniculaires. Il est donc nécessaire de réinventer le territoire sur lequel nous vivons, de repenser notre champ social, de retrouver un nouveau lien avec la nature, d’imaginer une connectivité servicielle. “C’est ce que j’appelle l’hyper proximité, explique-t-il. Des lieux dans lesquels, à un quart d’heure de chez soi en zone compacte ou à une demi-heure en zone semi dense, l’on est capable d’accéder aux six fonctions sociales et urbaines de base : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre et s’épanouir. Cela veut dire que l’on quitte la mobilité subie pour une mobilité choisie. Cela signifie aller vers un nouveau chrono-urbanisme, avec du temps pour soi, un nouveau rapport à l’espace, pour vivre. Cela signifie que l’on quitte une vision traditionnelle basée sur des infrastructures avec des visions linéaires pour une approche entre moi-même et ceux que j’aime, entre moi-même et le lien social et entre moi-même et la planète. Un monde dans lequel la ville ne sera peut-être pas plus intelligente mais dans lesquelles les femmes et les hommes qui y habitent seront plus heureux”.