151 mds€. C’est le poids que pèsent les neuf marques de luxe françaises les plus valorisées. Louis Vuitton, Chanel, Hermès, Lancôme, Cartier, Dior, Hennessy, Saint Laurent et L’Oréal s’affichent donc comme les fers de lance de notre économie, vitrines glamour de la France et pourtant essentiellement tournés vers la Chine, premier pays consommateur de luxe dans le monde. Il faut dire que les temps ont changé. À l’heure où l’on parle volontiers de décroissance, de consommation responsable et d’achats raisonnés, les pays matures se détournent du luxe pour lui préférer son pendant “affordable” : le masstige. Savant mélange entre premium et prestige, le luxe abordable a inondé nos rues et nos enseignes. Sandro, Maje, The Kooples, Zadig et Voltaire, Coach ou Michael Kors donnent aujourd’hui le la de la mode grand public, tout comme Chanel et Dior écrivaient l’histoire de la haute couture.
Les marques y voient un intérêt : capter une clientèle plus jeune, moins encline à se laisser séduire par les discours de marques et, par conséquent, à ouvrir leur portefeuille. Pour cela, les plus grands noms du luxe flirtent avec le street-wear (Louis Vuitton X Suprême), troquent leurs égéries hollywoodiennes contre des chanteuses de R&B (Rihanna chez LVMH) et des actrices en devenir (Chanel et Lily-Rose Depp), s’associent avec les stars du web : ces influenceuses qui font trembler la toile jusqu’au conseil d’administration des grands groupes. Sur Internet, les réputations se font et se défont en un seul clic et gare aux marques qui manquent de transparence sur ses produits et ses process, aux stratégies de communication virales balbutiantes ou aux impairs éthiques (Abercrombie et Fitch, plombé par les discours anti-gros et anti-pauvres de son PDG). La génération Z a pris le pouvoir, le luxe se plie à ses grâces et se réinvente.
En Chine aussi, les jeunes consommateurs sont tyranniques, volatiles et “indignés”, comme l’indique Éric Briones, auteur du “Choc Z”. Mais à la différence des Z français, ils achètent, cher et beaucoup. Ces “petits empereurs”, fruits de la politique de l’enfant unique, disposent de moyens financiers inégalés et d’un goût prononcé pour les produits de luxe français. Objets de valorisation sociale mais également voies d’expression d’une identité et d’une individualité au sein de la communauté, les marchés du luxe comme de l’art trouvent sur le marché chinois des relais de croissance uniques et prometteurs. Selon Boston Consulting Group, il devrait représenter 41 % des ventes du luxe d’ici à 2025. Un eldorado vers lequel toutes les marques tendent, parfois au risque de tout miser sur un colosse aux pieds d’argile ?
Car si, aujourd’hui, la croissance et les importations vont bon train en Chine, nul n’est à l’abri d’un grain de sable (ou d’un virus) qui vienne enrayer la machine géopolitique. Dans un contexte économique mondial fragile, l’agilité est donc devenue le maître mot du luxe, contraint à sortir de ses codes et son milieu naturel, pour embrasser de nouveaux horizons et innover. C’est ainsi que les magasins de luxe, autrefois sanctuaires ritualisés destinés à une clientèle élitiste, deviennent des concept-stores ouverts à tous. C’est aussi pour cela que les emblèmes de la haute couture (Chanel), rejetant d’abord Internet, se dévoilent désormais sur Instagram. Le digital et son champ des possibles – le rôle des plateformes de revente sur le marché de l’occasion – gomme les frontières culturelles, géographiques et économiques pour offrir au luxe une nouvelle jeunesse et un autre visage.
Francis Luzin, Directeur de la publication