Les années fastes semblent loin. Après des années de croissance à deux chiffres, le marché du bio marque sérieusement le pas. Un recul initié dès 2019 avec un brusque retournement en 2021. Alors, la faute à l’inflation ? Pas seulement. Certes, les arbitrages des consommateurs, face à un pouvoir d’achat qui s’est fortement déprécié, se font de plus en plus drastiques. Et même si les prix des produits bio ont plutôt mieux résisté à l’inflation, ils restent toujours plus chers que les produits conventionnels.
Pour les acteurs de la bio, l’affaire est entendue. Si le consommateur boude le bio, c’est surtout la faute aux… autres.
La profession, dans sa grande majorité, fustige les labels alternatifs, les accusant de concurrence déloyale. Il est vrai que la multiplication récente de ces labels brouille le message et participe au sentiment de confusion des consommateurs. À force de segmenter tous azimuts, l’offre n’est plus lisible. Du coup, le 22 janvier dernier, un collectif de 7 organisations du bio a saisi le Conseil d’État avec l’objectif de faire interdire un de ces labels, le HVE (Haute Valeur Environnementale), « pour faire reconnaître la tromperie du consommateur qui dure depuis plus de 10 ans et mettre un terme au greenwashing entretenu par cette mention ». Mais pourquoi interdire un label qui répond à certaines attentes du consommateur ? Pourquoi interdire un label qui ne s’est jamais prétendu bio ? Pourquoi interdire un label qui accompagne les exploitations dans leur transition agroécologique avec la mise en place de meilleures pratiques ? Peut-être faut-il regarder du côté des aides dont pourront bientôt bénéficier les démarches HVE dans le cadre de la nouvelle PAC 2023-2027 alors que, jusque-là, elles n’étaient pas subventionnées comme le bio.
Les autres, selon les pionniers de la bio, c’est aussi la grande distribution, qui s’est engouffrée sur ce marché il y a plus de 10 ans, flairant, à juste titre, des débouchés porteurs et entraînant, désormais, une surexposition de l’offre dans les rayons au regard de leur poids réel dans la consommation. Montrés du doigt pour de ne pas porter les « vraies » valeurs de la bio dans cette industrialisation du marché, les distributeurs ont d’ailleurs reçu, en novembre dernier, une lettre ouverte signée par trois organisations de la filière bio dans laquelle elles accusent certaines enseignes de se désengager du marché bio dans un contexte d’inflation. De fait, les acteurs de la grande distribution ont révisé leur copie : fermeture ou retrait des concepts spécialisés, refonte et rationalisation de l’offre, redéploiement des produits bio dans leurs rayons d’origine… Reste que ces distributeurs, qui se sont engagés depuis plusieurs années auprès des producteurs pour les accompagner dans la création de filières bio (ou de conversion ou d’agroécologie), sont clairs : ils répondent présents et continueront à construire des accords tripartites et à soutenir la filière. Tout comme certaines marques et coopératives.
Alors pour redonner des couleurs au marché, les acteurs de la bio comptent actionner le levier de la pédagogie et de l’éducation du consommateur. Une nouvelle campagne de communication sera lancée par l’Agence Bio prochainement avec un nouveau financement de l’État à hauteur de 750 000 €. Avant cela, des moyens financiers complémentaires lui seront accordés. Objectif : engager des études pour avoir rapidement une compréhension plus fluide de la crise et, notamment, des motifs de la diminution de la demande, afin, ensuite d’engager… une étude prospective visant à réfléchir au scénario de consommation du bio en 2024… Bien.
À entendre bruisser les réseaux sociaux depuis quelque temps, on peut déjà largement se rendre compte que les consommateurs sont en proie à une très vive crise de confiance vis-à-vis du bio. Et l’on peut très vite comprendre, aussi, que le marketing manichéen du bio, flou et changeant, y est largement pour quelque chose. À force d’opposer systématiquement les agricultures et les acteurs, de taper sur l’autre au lieu d’asseoir ses promesses sur des preuves scientifiques et transparentes, le bio se caricature lui-même. Et se prive de la confiance de citoyens pourtant jusque-là convaincus. Espérons que la future campagne de communication ira au-delà des intentions dogmatiques où le bio ne serait qu’un lobby comme les autres, et qu’elle portera les piliers de solutions économiquement acceptables, garantissant souveraineté alimentaire et développement d’une agriculture vertueuse et durable pour tous.
Directeur de la publication : Francis Luzin