Alors voilà, la vie reprend ses droits. Les terrasses de café sont de sortie, les centres commerciaux et les grands magasins ont rouvert leurs portes, les commerçants de centre-ville relèvent peu à peu le rideau. Piano, piano. Passée l’euphorie des premières heures du déconfinement, des foules de consommateurs qui se sont pressées devant Zara ou la Fnac-Darty, grisées par le sentiment d’une liberté retrouvée, le soufflé est un peu retombé. Et la reprise tarde à s’installer. Bénéficiant de mesures de chômage partiel et, pour certaines, exemptées de loyer, les enseignes ont passé le cap de la fermeture administrative, comme elles le pouvaient. Celles qui étaient déjà affaiblies, en difficulté financière ou luttant contre des problèmes d’ordre structurel depuis des années – La Halle, Camaïeu, Naf Naf, André- n’ont pas résisté. Elles ne seront sans doute pas les seules.
L’Alliance du Commerce anticipe une baisse de l’activité de 50 % et 50 000 commerces qui jetteront l’éponge. Confrontées à 4 ans de bouleversements de natures diverses – économiques, sociaux et sanitaires – les enseignes affichent des résultats dans le rouge. Baisse, voire absence, de trafic en magasin, paniers d’achats réduits à l’essentiel, équipements sanitaires coûteux à intégrer dans les charges : les mois qui vont suivre la période de confinement s’annoncent moroses. Alors que les commerçants s’attendent à retrouver leur chiffre d’affaires seulement en 2021, les coûts d’exploitation, eux, reviennent à la normale. Les salariés de retour en magasin, et surtout, les loyers qui représentent jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires, auront tôt fait de plomber une trésorerie exsangue. Un état de fait qui pousse les fédérations du commerce à demander l’indexation des loyers sur l’activité réelle des exploitants.
Éternel serpent de mer, la variabilité des loyers est un sujet majeur de crispation entre les bailleurs et les locataires. Bien qu’intelligible, le principe du “zéro recette, zéro dépense” prôné par Bercy n’est pas si facile à mettre en place. Tous les bailleurs n’ont pas la capacité financière de se passer des loyers de leurs commerçants. Et si certains se montrent solidaires, d’autres font valoir que le loyer reste la clé de voûte de l’équilibre économique d’un commerce physique. Un dialogue de sourds, que la médiatrice Jeanne-Marie Prost a pour mission de transformer en négociation constructive. Y parviendra-t-elle ? À vrai dire, au vu de la récession économique qui se profile, les deux parties n’ont guère d’autre choix que de s’entendre. Si quelques-uns iront s’écharper devant les tribunaux, quitte à perdre plus en procédures coûteuses qu’ils n’espèrent gagner, la majorité choisira le consensus. Car l’enjeu est de taille. Le commerce à lui seul compte 2,6 millions de salariés pour 400 000 entreprises. Pour un bailleur, faire courir aux enseignes le risque de défaillance, c’est prendre celui d’être exposé à une hausse de la vacance, destructrice de valeur de l’actif immobilier.
Tout laisse à croire, alors, que l’on sauvera le soldat commerce. Seule inconnue, le retour des consommateurs en magasins. Or, seul le désir des Français à s’adonner aux sorties shopping et leur envie d’effectuer des achats plaisir pourront redonner l’impulsion salutaire et le rebond tant attendu. Difficile d’y croire tant le pays semble encore engourdi par la menace de la pandémie, freiné, dans ses élans par les mesures de distanciation sociale. C’est pourtant là que se trouve le terreau de la croissance.
Plus que jamais, alors, le commerce doit capitaliser sur ce désir. On l’a vu, le e-commerce n’a pas profité de la crise comme on l’aurait imaginé. Signe que le magasin physique est bien dans le cœur des consommateurs. Autre point positif à retenir de cette pandémie, et cela peut être envisagé comme un message d’espoir, c’est l’énorme engagement des commerçants et restaurateurs à poursuivre leur activité malgré le contexte de crise : livraisons à domicile, click and collect, repas à emporter, intermédiation sur des plateformes numériques : le commerce n’a jamais aussi vite et bien intégré le digital dans son fonctionnement pour s’adapter aux nouvelles contraintes des consommateurs. Cette propension à se transformer et à s’ouvrir à d’autres canaux démontre la capacité de résilience et, espérons-le, de renaissance des commerçants français.
Francis Luzin, Directeur de la publication