Elles sont innovantes, agiles, inventives. Les start-ups de l’alimentaire – les fameuses “Food Tech” – s’installent progressivement dans le paysage économique français. La crise sanitaire et les 8 semaines de confinement ont donné un coup d’accélérateur à la digitalisation des usages. Et précisément sur un secteur jusque-là relativement épargné par le numérique : l’univers food et les produits frais. Privés de sortie, les Français se sont mis à commander en ligne tout ce qu’ils avaient l’habitude de manger au quotidien : des fruits, des légumes, du poisson, de la viande. Bref, la place du marché s’est rapidement transformée en places DE marché, sur lesquelles nos choix sont guidés par la science des algorithmes. FoodChéri, Seazon, Pourdebon.com sont autant de “digital natives” qui ont vu dans la crise une opportunité de développement. Ces jeunes pousses ont définitivement fait tomber le mur entre commerce physique et commerce en ligne.
Pas étonnant, alors, que les grands acteurs de l’alimentaire s’y intéressent. Carrefour a racheté en 2008 Quitoque, FoodChéri-Seazon sont désormais dans le giron de Sodexo, Epicery appartient à Monoprix et Pourdebon.com vient de s’allier à Cdiscount. Conscients de leur immaturité digitale, les géants de la distribution ou de la restauration traditionnelle ont senti le vent tourner. Si le marché de l’alimentaire en ligne reste marginal (6 % du retail food), les ventes poursuivent leur irrésistible ascension. Durant la période de confinement national, elles ont atteint le niveau record de 10 %, plaçant la France en tête de l’alimentaire online en Europe. Et plus que les chiffres, ce sont les comportements qui changent. Dans l’urgence, les commerçants de proximité, les commerces de bouche ont adopté des outils numériques qu’ils avaient toujours boudés et confié la livraison d’une partie de leurs produits à des plateformes digitales. Une petite révolution culturelle et surtout, un grand pas en avant dans la digitalisation. Car si la fréquentation des sites de ventes en ligne a naturellement chuté après le confinement, le savoir-faire technologique est désormais acquis.
L’autre apport des start-ups digitales au secteur agroalimentaire est celui de l’innovation produit. Faisant écho aux préoccupations environnementales et de santé d’une partie des Français (en témoigne, le succès de l’applications Yuka), ces entreprises ont fait du végétal leur principal objet d’étude. Menus végétariens, substituts à la viande, légumineuses et fruits sous toutes leurs formes et états : la Food 2.0 joue à fond la carte du “green”. C’est d’ailleurs dans ce domaine que la Food Tech se révèle la plus prometteuse. À en croire Bruno Parmentier, consultant spécialisé dans les questions agricoles et alimentaires, notre avenir alimentaire repose sur “l’alliance du silicium et du carbone”, ou comment la technologie va nous permettre d’explorer le potentiel encore méconnu de l’espace agricole. Car derrière les simples tendances de consommation ou de marché, c’est bien l’enjeu de nourrir la planète en 2050 de manière durable qui compte. Le réseau territorial Food Tech accompagne, ainsi, toutes les jeunes pousses qui travaillent à des solutions pérennes et reposant notamment sur l’IOT et l’intelligence artificielle.
Ces sujets sont encore embryonnaires mais suffisamment visionnaires pour attirer l’attention des fonds d’investissement. Au premier semestre 2020, les start-ups françaises de la Food Tech ont levé plus de 200 M€ et sont en passe de battre le record de l’année dernière, selon DigitalFoodLab. Yooji qui a récemment clôturé avec Oaklins une levée de fonds de plus de 7,50 M€ ou encore Glovo (2 fois 150 M€ levés depuis décembre 2019) témoignent du dynamisme du marché. Fin septembre, le groupe Casino a également lancé le dispositif d’investissement “Services for Equity” pour aider les start-ups de la Food Tech à accéder à de nouveaux marchés en contrepartie d’une prise de participation minoritaire. Si la marge de progression reste importante sur ce marché de niche, porté par des entreprises aux modèles économiques souvent fragiles, tous les ingrédients sont là pour que les jeunes pousses deviennent un jour de vrais écosystèmes qui inventeront l’alimentation de demain.
Francis Luzin, Directeur de la publication