Ça s’est passé l’été dernier. Fin juin, une soixantaine de marques digitales regroupées au sein du collectif We are lucioles lancent un appel au secours dans une lettre ouverte à Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, intitulée “Chronique d’une mort annoncée”.
“Monsieur le Ministre,
On a beaucoup parlé des licornes ces dernières années – ces animaux fantastiques à plusieurs milliards de dollars qui se comptent sur les doigts de cinq mains.
Nous, nous sommes les lucioles : plus nombreuses, mais moins médiatisées. Lumineuses mais fragiles. Une luciole, c’est une entreprise qui croit en un modèle plus éthique (…) Les lucioles visent une croissance saine et rentable, et misent sur le web pour se développer. Nous nous comptons déjà par milliers. Et aujourd’hui, nous avons besoin de votre aide, car la moitié d’entre nous risque de mourir”.
Avant la crise sanitaire, on comptait quelque 350 marques nées sur le web. Aujourd’hui, les DNVB – Digital Native Vertical Brands – sont plus de 600 et ont représenté, l’an dernier, près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Sauf qu’après avoir bénéficié des confinements successifs et enregistré une explosion de leur activité lors de la fermeture des commerces non essentiels, ces lucioles sont aujourd’hui à la peine, encore plus fragilisées que d’autres entreprises compte tenu de leur business model. Cessation de paiements, redressement judiciaire… Le couperet tombe lourdement et pourrait s’amplifier d’ici à la fin de l’année.
Au-delà du contexte actuel inflationniste où la guerre en Ukraine et la crise économique post-Covid ont fait flamber le prix des matières premières, de l’énergie et du transport et suscité de graves tensions sur les chaînes d’approvisionnement, les DNVB voient leur business model chamboulé avec la réelle mise en application de la RGPD. La récente bascule des systèmes des géants de la publicité en ligne pour s’adapter au nouveau contexte réglementaire a, aussi, fait flamber les prix. Résultat : le prix d’acquisition d’un client a plus que doublé pour les DNVB. Avec, à la clé, une rentabilité qui, mathématiquement, a fondu d’autant.
Pour faire face, ces entreprises nées du digital n’ont d’autre choix que d’adapter leurs modèles économiques et de se transformer en ONVB – Omnicanal digital vertical brands – avec d’autres caractéristiques : apprendre à marger pour plus de rentabilité ; offrir une gamme entière et non plus un seul produit phare pour augmenter le panier client et atteindre un taux de réachat plus important ; ou, encore, concevoir dès le départ des produits pouvant être présentés en magasin. Pour réduire leur dépendance aux Gafa, ces nouvelles lucioles travaillent sur les communautés, créant parfois des partenariats avec des marques ou des distributeurs proches de leur identité. Si les plus importantes ou celles qui ont réussi à se diversifier, vont probablement pouvoir changer de stratégie d’acquisition ou se restructurer, pour les autres, les mois à venir risquent d’être décisifs… D’autant que la hausse des taux d’intérêt et l’inflation ont fini de rendre plus circonspects les investisseurs.
De leur côté, les membres du collectif We are lucioles attendent toujours une réponse à leur demande de soutien financier pour la mise en place des nouvelles normes RGPD. Ils réclament, aussi, des subventions égales entre les sociétés dites “tech” et les autres, tout aussi innovantes puisqu’elles réinventent elles aussi des secteurs, des facilités pour l’obtention de prêts bancaires à des conditions préférentielles, et une aide à l’investissement pour les investisseurs du secteur privé. On peut espérer qu’il n’y aura pas de tombeau pour les lucioles. “En tant qu’entrepreneur.es, nous savons transformer les problèmes en solutions”, lance le collectif. Monsieur le Ministre, la balle est aussi dans votre camp.
Directeur de la publication : Francis Luzin