Difficile d’entreprendre dans cette période d’incertitude. Après plus d’un mois de confinement, les impacts de la crise du Covid-19 sur le commerce s’amplifient. Et l’inquiétude des entreprises grandit sur le devenir de leurs activités. Avec une forte disparité entre les secteurs. Là où le commerce alimentaire, considéré comme activité essentielle, réussit à tirer son épingle du jeu avec, parfois, des résultats insolents, le commerce non alimentaire, lui, contraint de fermer ses portes depuis le 16 mars dernier, est beaucoup plus touché. Selon une étude menée par le Conseil du Commerce de France du 31 mars au 8 avril, 91 % des commerces non alimentaires n’enregistrent aucune activité depuis mi-mars. Cette disparité s’exprime, aussi, en regard de la fragilité financière de certaines entreprises avant la crise mais, aussi, de leur capacité à se réorganiser, à se réinventer.
Si les pure players tirent, évidemment mieux, leur épingle du jeu, compte tenu de leur organisation, seuls 5,5 % des indépendants et 6,1 % des franchisés issus du commerce physique non alimentaire ont pu maintenir une activité de vente à distance de leurs produits (18,8 % pour les chaînes) en réalisant des livraisons à domicile en direct ou par un tiers. Et les acteurs demeurent très inquiets quant à une reprise rapide de leur activité : 21 % d’entre eux pensent à une fermeture définitive.
Pour autant, côté e-commerce, 76 % des sites ont enregistré un recul des ventes depuis le 15 mars (de plus de 50 % pour la moitié d’entre eux). La mode et l’équipement de la maison figurent parmi les secteurs les plus touchés. À l’inverse, les plus fortes hausses sont enregistrées dans l’alimentaire, la téléphonie-informatique, le sport et les produits culturels et éducatifs. 40 % de sites marchands déclarent, d’ailleurs, avoir déjà des difficultés d’approvisionnement. Avec, à la clé, une logistique perturbée aussi bien dans les entrepôts que chez les prestataires logistiques avec des conséquences sur les délais de livraison.
De son côté, la grande distribution profite d’une moindre concurrence avec la fermeture des autres points de consommation (restaurants, cantines, marchés…). Mais Nielsen observe une érosion de la croissance exceptionnelle observée au début du confinement, où la panique des consommateurs avait porté la croissance à +237 % sur les ventes alimentaires le lundi 16 mars. Après avoir dépassé les +30 % par rapport à l’an dernier, la progression des ventes hebdomadaires de PGC-FLS se stabilise, depuis deux semaines, autour des +6 %. Reste que, pour la première fois, le e-commerce alimentaire a capté plus de 10 % des ventes.
Autre impact : avec le confinement, une majorité de consommateurs change de comportement. Les courses sont davantage lissées dans la semaine, le samedi étant même devenu la plus petite journée. C’est en particulier le cas de 150 magasins en France, dont 40 % se situent en région parisienne. Impensable encore, il y a quelques semaines. Une répartition à mettre en regard de l’accélération des ventes en e-commerce (drive et livraison à domicile) et en proximité.
Face à ces mutations contraintes, que restera-t-il, demain ? Joëlle de Montgolfier, du cabinet Bain & Co en est convaincue : “Les prévisions sont très optimistes. Mais pour réussir à naviguer dans cette crise, on doit se préparer au pire”. Avec des changements drastiques : une forte différenciation, un réinvestissement de la supply chain pour lui redonner de l’agilité, un alliage d’achats lointains peu chers avec des achats locaux plus chers, un renforcement de la sécurité des approvisionnements… “Il est important de ne pas débrancher cette organisation de crise avant d’en avoir tiré les enseignements. Il faut que de cette crise effroyable sortent des choses encourageantes”, conclut-elle.
Francis Luzin, directeur de la publication