Il est des combats qui semblent impossibles à gagner. Pot de fer contre pot de terre. En effet, que peut prétendre Carrefour (environ 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018) face à Amazon et ses 233 milliards de dollars, et surtout, en progression de 31 % sur un an ? Alors que le concept du “tout sous le même toit” se voit ébranlé par la puissance du e-commerce, difficile d’imaginer que le groupe français puisse rivaliser à armes égales avec le rouleau compresseur logistique américain. Et pourtant. Si Carrefour quitte la Chine, comme il vient de l’annoncer, pour céder 80 % de ses actifs à Suning.com, c’est, d’une part parce que le groupe a accusé une perte nette de 578 millions de yuans (73 millions d’euros) dans le pays, écrasé par un Alibaba dominant dans un pays où le commerce cède clairement la place au e-commerce, de l’autre, parce qu’il souhaite se concentrer sur un autre combat : la concurrence avec Amazon. Tandis que Casino a accru sa présence sur la plateforme, Carrefour joue sur le terrain du pure player en inaugurant, dans son siège de Massy, le “labstore” un petit magasin sans caisse et automatisé, à la façon d’un Amazon Go.
Preuve que nos distributeurs ne manquent ni d’audace, ni d’imagination pour continuer à exister dans l’univers du retail. C’est aussi la leçon que l’on peut retenir de la dernière édition des Cannes Lions, le festival international de la créativité qui s’est déroulé sur la croisette du 17 au 21 juin dernier. Carrefour, encore lui, s’y est démarqué, avec sa campagne publicitaire “Black Supermarket” (réalisée par l’agence Marcel) en remportant le Grand Prix de la catégorie Creative Effectiveness, un prix qui récompense l’impact de la créativité sur un segment d’activité sur le long terme. Recueillant 14 récompenses dont 4 Gold, Black Supermarket a été le spot le plus primé de la cérémonie. Il retrace l’histoire d’un marché interdit ouvert en septembre 2017, lorsque Carrefour a décidé de commercialiser des légumes issus de semences de variétés paysannes bio interdites à la vente, dans 38 magasins de Bretagne et d’Ile-de-France. Un combat pour la biodiversité qui a été salué par le jury et qui a eu pour effet de faire évoluer la législation qui interdit le commerce de plus de deux millions de variétés de semences. Grâce à son action et une pétition qui a récolté plus de 80 000 signatures, le distributeur a fait changer la loi. La libre commercialisation des semences paysannes a ainsi été votée en avril 2018 au Parlement européen et celles-ci seront autorisées à la vente pour les agriculteurs bio en janvier 2021.
Le Palmarès des Lions cannois et les multiples concepts déployés par les enseignes hexagonales ces dernières années marquent l’élan de créativité qui sous-tend le marché français de la distribution. Pop-up stores, magasins-restaurants, appartements connectés, showroom expérientiel : le commerce pousse les murs, se réinvente, emprunte les codes d’autres secteurs, se transforme. Les spécialistes de la périphérie (But, Leroy Merlin, Ikea) deviennent urbains et citadins, les marques du web ouvrent des boutiques physiques (Le Slip Français), les alliances se nouent entre grands magasins (Les Galeries Lafayette) et les franchises internationales (Eataly) dans le but de renforcer et ré-enchanter l’expérience client. Apporter de la nouveauté et de l’innovation sur un marché en pleine mutation digitale. Si la fable de La Fontaine ne préconise de ne s’associer qu’avec nos égaux, faute de se voir pulvériser par plus fort que nous, force est de constater que dans la distribution, la puissance ne se résume pas à la taille mais repose, avant tout, sur la capacité à évoluer et à épouser les tendances et les mouvements de la société. Agilité et créativité : tels seront les atouts des nouveaux lions de la distribution.
Directeur de la publication : Francis Luzin