Les rues reprennent vie. Depuis le 11 mai, les commerces non alimentaires ont rouvert leurs portes avec le déconfinement. Les clients étaient au rendez-vous. Un rendez-vous différent qui semble marquer une nouvelle étape dans la relation des commerçants avec les consommateurs. La crise sanitaire a modelé les interactions. Son empreinte s’ancre durablement : respect des gestes barrières, distanciation sociale, nouveaux comportements d’achat. Avec, en premier lieu, un lien renforcé avec ceux qui ont su répondre présent, en pleine crise, aux attentes de consommateurs confinés et anxieux à l’idée de ne pouvoir se réapprovisionner en produits essentiels, alors même que les chaînes logistiques devenaient extrêmement tendues, en amont comme en aval.
Une tension essentiellement due par des comportements d’achat irrationnels liés à la crainte de manquer, sans doute sous-tendue par les éléments de langage guerrier des allocutions présidentielles, qui a provoqué une ruée sur les produits essentiels avec une explosion des ventes tous azimuts en début de confinement. Magasins pris d’assaut, longues files d’attente, ruptures d’articles de nécessité parfois difficilement prévisibles comme le papier toilette ou la farine. Les premières semaines de crise enregistrent une hausse des ventes de 20 % en volume comme en valeur.
Sentiment de sidération, peur d’être contaminés, crainte de manquer… Chacun cherche la meilleure solution pour faire ses courses. Tous les circuits sont mis à l’épreuve. La livraison à domicile, en premier lieu. En milieu urbain dense, les places sont chères en début de confinement. La réservation de créneaux de livraison devient un casse-tête quotidien. Les paniers virtuels de courses alimentaires sont prêts à être validés sur tous les sites d’enseignes de grande distribution. Mais quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, pas de place. “Réessayez demain”, nous dit-on. Les drives, eux, tournent à plein régime. Leurs ventes ont augmenté de près de 80 % pendant le confinement.
Puis chacun trouve sa solution : le commerçant de quartier, le supermarché de proximité, les plateformes d’achat en ligne qui regroupent des commerces de bouche, les petits producteurs qui livrent en direct… Au fur et à mesure, acteurs et consommateurs prennent leurs marques, comme ils le peuvent. Les enseignes de la distribution adoptent de nouvelles pratiques : désinfection régulière des espaces, parcours fléchés en magasin, marquages au sol pour répondre aux exigences de distanciation sociale, click & collect, créneaux réservés aux personnes âgées, rempotage des rayons en heures creuses, paiement sans contact, caisses déportées… Et puis, bien sûr, masques, visières, vitre en plexiglas viennent assurer la protection des salariés (et des clients) là, où, au début, chacun devait se protéger individuellement avec les moyens du bord. Reste que la situation révèle et renforce les fractures sociales. Ceux qui peuvent se permettre de s’approvisionner n’importe où, ceux qui restent confinés, ceux qui sont tributaires de circuits discount, ceux qui sont en première ligne, les essentiels, qui assurent quotidiennement l’approvisionnement de tous, en risquant davantage d’être contaminés.
Comme le révèle l’ObSoCo dans une étude, la confiance dans la grande distribution alimentaire s’est améliorée : 76 % des répondants estiment que celle-ci a rempli une véritable mission de service public. Mais attention, les ressentis des consommateurs sont multiples. La grande distribution est aussi perçue comme la grande gagnante de cette crise, ce qui la positionne en situation de dette. Une dette en regard d’un ressenti autour de l’augmentation des prix. Une dette envers les petits producteurs. Mais aussi une dette à l’égard des salariés en première ligne qui suscite empathie et reconnaissance.
22 mai 2020