Alors voilà, nous sommes en guerre. Une situation que les peuples d’Europe de l’Ouest n’avaient plus connue depuis 1945. Face au drame humain, en Ukraine, aux difficultés d’approvisionnement, aux risques encourus par ceux qui continuent à faire vivre le commerce sous les bombes, s’oppose un autre dilemme, impossible à résoudre, pour les enseignes françaises : partir ou rester en Russie. C’est à ce choix cornélien que sont aujourd’hui confrontés Auchan, Leroy Merlin, Decathlon et bien d’autres. Jamais tel cas de conscience ne s’était encore posé pour ces commerçants du quotidien. Et si certains choisissent le positionnement idéologique en quittant le marché russe, d’autres prônent la sauvegarde de l’emploi et le soutien aux populations locales soumises aux sanctions européennes. Deux postures irréconciliables.
Deux ans après la crise sanitaire, le monde du retail ne pouvait imaginer pareille crise géopolitique. Car ce conflit entraîne des conséquences sur l’ensemble des filières, agroalimentaires ou industrielles, et par ricochet, sur la distribution. Explosion des coûts de production, pénurie des matières premières, hausses du prix des intrants, inflation dépassant les 5 % : au temps de la pandémie succède celui de la crise économique qui plonge les entreprises déjà fragilisées – TPE et PME en premier lieu – dans la tourmente à l’heure où les questions de souveraineté industrielle et alimentaire n’ont jamais été aussi essentielles à la survie de notre économie. Jusque-là résilientes, en partie parce qu’aidées par l’État au plus fort de la crise sanitaire, combien de temps celles-ci résisteront-elles aux aléas des marchés mondiaux ? Les fédérations appellent le gouvernement à renforcer ses aides aux filières touchées par la guerre en Ukraine.
Alors que la campagne présidentielle offre, habituellement, une fenêtre de tir privilégiée aux filières professionnelles pour solliciter les élus et futurs candidats déclarés sur leurs besoins et revendications, cette année, ces échanges sont bousculés par le contexte d’urgence de la guerre et les priorités, révisées pour chacun des partis. Une chose est sûre, le pouvoir d’achat s’impose, plus que jamais, comme le sujet majeur de cette campagne. Car si les industries et les commerces souffrent déjà des répercussions de la guerre, finalement, ce sont les consommateurs qui voient aussi grimper leurs factures d’électricité, d’essence, et leur ticket de caisse en hypermarchés. Et pour eux, boucler les fins de mois sera certainement (à 63 % selon un sondage réalisé par Havas Commerce) le principal argument de vote au moment de se rendre dans les urnes.
Dans son rôle de défenseur du pouvoir d’achat, la grande distribution ne pourra pas absorber toutes les hausses de prix à venir même si elle tâchera, tout au moins, de les atténuer grâce au levier de la promotion. Toutefois, pour que les commerçants puissent continuer à accompagner les consommateurs, encore faut-il qu’ils en aient les moyens, comme le réclament de concert la FCA, la FCD, le CNCC ou le Cdcf. Que les pouvoirs publics considèrent (enfin !) le secteur à sa juste mesure – 3,2 millions d’emplois et 10,4 % de la valeur ajoutée de la France –, lui assurent une équité fiscale face au e-commerce, allègent les impôts de production et contribuent à la transformation numérique des magasins. Enfin, dans cette période trouble, qu’ils soutiennent les enseignes qui font des choix, en leur âme et conscience, de se retirer d’un marché économique ou non, au lieu de les condamner. Un engagement, à leurs côtés, que les professionnels attendent du prochain président de la République française.
Francis Luzin
Directeur de la publication