L’idée que l’hyper est mort est morte avant l’hyper lui-même. Cette phrase prononcée par Georges Chétochine il y a plus de 25 ans n’a jamais sonné aussi vraie qu’aujourd’hui. Alors que les distributeurs alimentaires publient, tour à tour, leurs résultats annuels, c’est tout le bilan d’un secteur qui est en train de se dessiner. Et les grands équilibres se mettent en place. Tous chiffres d’affaires confondus, les exercices 2018 de chacun des acteurs s’inscrivent dans une fourchette allant de -1,3 à + 2%. Rien de catastrophique mais rien de flamboyant non plus. Pourtant, ce n’est pas la lecture qu’e n ont eu bon nombre d’analystes en découvrant les mauvaises performances d’Auchan. Le champion de l’hypermarché arrive en queue de peloton, avec une rentabilité, au sein de ses magasins français (l’international ne s’en sort guère mieux), fortement dégradée. Déjà, certains y voient des signes d’agonie du format hyper.
Encore une fois. Donc, Auchan va mal. Normal, l’enseigne nordique n’a jamais vraiment pris le tournant du multiformat et conserve comme modèle dominant ses gros paquebots alimentaires. Or, l’alimentaire ne recrute plus. En tout cas pas assez pour compenser les pertes causées par le mouvement des Gilets jaunes en fin d’année, soit 140 millions d’euros sur le chiffre d’affaires et 35 millions d’euros sur l’Ebitda, selon le groupe. La crise de l’hyper frappe Auchan en plein cœur, là où les indépendants Magasins U, Leclerc, ou Intermarché, de par leur maillage régional et leurs discours identifiable (Intermarché, les producteurs-commerçants, Leclerc, le moins cher et U les commerçants autrement) tirent leur épingle du jeu. La valse des dirigeants qu’a connue Auchan ces dernières années n’a certes pas favorisé la construction d’une identité lisible.
Mais c’est d’un mal plus général que souffre Auchan et qui se cristallise chez le distributeur sur-représenté par ses hypermarchés : celui du non-alimentaire. Rayon délaissé pendant trop longtemps, en perte de vitesse, la catégorie vaut pourtant le coup d’être travaillée. Carrefour a initié le mouvement en se rapprochant de Darty tout en réduisant 400 000 m2 de surfaces commerciales sous-productives, principalement non alimentaires… Le message est clair : la grande distribution entre dans une logique de rapprochement avec la distribution spécialisée pour gérer une catégorie dont ils n’ont jamais vraiment su tirer pleinement profit. Les grands magasins – Les Galeries Lafayette en tête – y sont bien parvenus. Pourquoi pas la GMS ?
Sur ce terrain, Auchan a une carte à jouer. L’enseigne a annoncé vouloir nouer des partenariats avec l’Association Familiale Mulliez (AFM), propriétaire de Décathlon, Boulanger, Leroy Merlin, Norauto…). Cinq hypermarchés devraient tester l’installation d’espaces dédiés à ces marques spécialisées au deuxième semestre 2019. “Une pépite autant qu’une arme fatale pour Auchan”, selon l’expert en retail Frank Rosenthal. Reste à savoir si l’initiative ne sera pas noyée dans l’ensemble des actions programmées dans le cadre du plan “Renaissance” lancé par Auchan Retail. Espérons aussi que le groupe saura trouver les synergies et capitaliser sur ses propres filiales pour redonner de l’attractivité à ses magasins. Le potentiel est là, tout est encore possible. À condition de s’en donner les moyens économiques et humains.
Francis Luzin, Directeur de la publication