Ébranlé par la crise sanitaire, le marché du travel retail (shopping de voyage) peine à se relever. La fermeture des frontières, depuis plus de 18 mois, a mis un coup d’arrêt à cette niche pourtant si prometteuse, il y a encore quelques années. Entre 2010 et 2020, le commerce en gares, ferrys, aéroports et zones touristiques a doublé, passant de 40 Mds$ à 80 Mds$. Les projections pour 2028 s’établissent entre 145 et 165 Mds$, essentiellement dus au dynamisme du marché chinois. Seul pays à avoir vu ses activités croître durant la pandémie, la Chine est le principal moteur d’un marché porté par le luxe, les cosmétiques, la mode et les parfums. Les marques prestigieuses s’y bousculent, tout comme les grands opérateurs qui n’hésitent plus à nouer des partenariats avec des acteurs nationaux (Lagardère Travel Retail et le e-commerçant chinois JD. Com).
En Europe, l’absence de trafic aérien international a entraîné une chute brutale des ventes dans les duty free. En juillet 2021, la fréquentation aérienne accusait encore une baisse de 60 %, comparé à 2019, dont un recul de 91 % entre l’Asie et l’Europe, de -92 % entre l’Asie et l’Amérique du Nord et de -85 % entre l’Asie et le Moyen-Orient. En France, Roissy-CDG et Orly ont accueilli 10,8 millions de passagers cet été, soit deux fois moins qu’en 2019. En conséquence, les opérateurs du travel retail ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 70 %. Les marques de beauté, premier segment de croissance du marché, ont perdu 20 %. En France, l’activité a baissé de -59,7 %, en raison du renforcement des mesures de restriction des déplacements domestiques. La crise a généré un effet déflationniste, avec une logique de promotions agressives destinées à écouler des stocks d’invendus et une concurrence exacerbée entre enseignes.
Seul point positif de l’année 2020, le marché du travel retail s’est digitalisé à vitesse grand V. Le e-commerce, devenu l’unique levier de valeur en périodes de confinement, s’est peu à peu imposé dans les aéroports et les gares du monde entier. À Dallas, le concept store “Hudson Nonstop” propose désormais la technologie “Just Walk Out” d’Amazon, qui permet aux voyageurs d’éviter les files d’attente avant de prendre leur vol. Le click and collect et la livraison à domicile ont également été déployés dans l’ensemble des duty free. Prochaine étape, la généralisation du paiement mobile. Avec 1,2 milliard d’utilisateurs chinois de WeChat et Alipay, l’achat mobile devient une nécessité. La digitalisation du travel retail répond aux attentes de voyageurs qui désirent consommer dans les airs, sur mer ou entre deux gares, de la même façon que chez eux, en suivant un parcours d’achat “sans couture”. À peine initié, le chantier numérique est un enjeu de taille pour les opérateurs.
Et pour cause, les jeunes générations donnent de la voix et ouvrent, déjà, de nouveaux horizons au marché du travel retail. La préoccupation environnementale, doublée des technologies de réunions à distance qui tendent à rendre obsolète le très énergivore voyage d’affaires, ont modifié les attentes des consommateurs. Le tourisme domestique a notamment retrouvé des couleurs, cet été, avec des taux de fréquentation en hausse dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et sur le littoral. Les formules d’éco-tourisme séduisent des vacanciers souhaitant combiner loisirs et convictions écologiques. Par ailleurs, et suivant le même mouvement que le retail classique, le travel retail doit apprendre aujourd’hui à miser sur la qualité, plus que la quantité, en affinant son offre en fonction des différentes populations de voyageurs et insuffler un vent de modernité sur un marché en pleine ébullition et résolument tourné vers l’Orient.
Francis Luzin
Directeur de la publication